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Wintzenheim

Le sinistre 1er juin 1943

Auguste Sontag, membre du Réseau Wodli Patriote résistant, condamné à mort pour son action contre le régime nazi, et exécuté le 1er juin 1943.

Le premier juin 1943, trois jours après la constitution sur le territoire français du Conseil National de la Résistance*, quatre résistants haut-rhinois du réseau Georges Wodli, accusés de haute trahison envers le IIIe Reich, furent décapités à la hache par les nazis. Tous les quatre étaient des dirigeants communistes : Adolphe Murbach, menuisier de Colmar, originaire de Sundhoffen, Eugène Boeglin et Auguste Sontag, instituteurs de Wintzenheim, et René Birr, cheminot de Réguisheim. 

Le 29 juin, quatre autres responsables communistes connaissent le même sort. Il s'agit d’Édouard Schwartz de Lutterbach, Marcel Stoessel et Alphonse Kuntz de Mulhouse, et René Kern de Niedermorschwihr. 

Plus de 300 communistes alsaciens, dont 180 du Haut-Rhin, furent internés dans le sinistre camp de Schirmeck. 

Le 27 mai 1943, face à la France occupée, fut créé le Conseil National de la Résistance, présidé par Jean Moulin. Ce Conseil avait pour but de rassembler et de coordonner toutes les actions pour libérer la France. Au sein de ce conseil, toutes les sensibilités étaient représentées : gaullistes, chrétiens, socialistes, communistes. 

Georges Wodli : cheminot strasbourgeois, membre du comité central du PCF. Arrêté le 30 octobre 1942 par la police de Pétain et livré à la Gestapo. Il fut assassiné par celle-ci le 2 avril 1943 dans les caves de la rue Sellenick à Strasbourg. 

1941 : la résistance s'organise

Auguste Sontag en 3ème année d'École Normale à Colmar en 1934

Auguste Sontag est né le, 28 septembre 1915 à Wintzenheim, dans une famille républicaine antifasciste, éprise de justice. Son père, Laurent Sontag, fondeur chez Haren, était très estimé par toute la population. Auguste se distingua vite par son intelligence, et c'est sur l'incitation de son instituteur qu'il a continué ses études. C'est ainsi qu'Auguste Sontag a été admis à l'École Normale des Instituteurs de Colmar. Il fut nommé successivement à Réguisheim puis à Ensisheim.

Mais déjà les nuages s'amoncellent et le danger de guerre se précise. On est en 1939, la, drôle de guerre, puis l'attaque sur le Rhin, la défaite, puis l'Armistice signée par Pétain et les Vichystes. Cependant, notre population ne se résigne pas, et se livre à des actes de résistance, de révoltes et de sabotages. Comme un peu partout, après l'entrée en guerre de la Russie, les communistes s'étaient regroupés en Alsace pour organiser la résistance. Dès 1941, on tenta de remettre sur pied en Alsace le parti communiste ; c'est lui qui publia le premier et peut-être le seul journal clandestin, L'Humanité écrit en allemand et répandu surtout parmi les mineurs des environs de Mulhouse et de Rouffach. Il eut 18 numéros, aujourd'hui introuvables.

Auguste Sontag avait lui aussi mis sur pied un réseau très structuré, ayant pour mission d'aider les familles des clandestins, et participé à la rédaction du journal de lutte clandestine contre le fascisme, L'Humanité d'Alsace Lorraine. C'est là que Lucien Brenner, Louis Haas, la famille Mader, les Weinmann, les Ulmer, Paul Beyer, René Furstoss, etc, donne l'image de notre Alsace. Bien que cela fut très dangereux, mais dans l'enthousiasme, ils parcourent à vélo les routes de la région, avec ces fardeaux de dynamite que constituent ces journaux illégaux, les distribuant dans les boites aux lettres de sympathisants et dans les entreprises. Mais la Gestapo veille et remonte la filière en partant de Strasbourg. 

René Furstoss se souvient

René Furstoss

Auguste Sontag et Eugène Boeglin, instituteurs, furent des résistants de première heure. Ils étaient de ceux qui, de tous temps, combattirent la propagation de la peste brune en Alsace. Ils vécurent mal le désastre de 1940. Au début de l'été 1941 ils entrèrent dans l'action. Sous leur impulsion et leur autorité furent mises sur pied des équipes de jeunes patriotes. Après la rupture du pacte germano-soviétique, j'ai été contacté par André Weimann, qui m'a invité à rejoindre ces groupes créés et dirigés par Auguste Sontag et Eugène Boeglin. Les groupes, autonomes les uns par rapport aux autres, comportaient chacun trois jeunes patriotes. J'étais avec André Weimannet Émile Mader. Dans d'autres équipes se trouvaient Lucien Brenner, Paul Beyer, Jacques Ulmer, Louis Hass, etc.

Lucien Brenner

Par le respect et la confiance qu'ils inspiraient, nos chefs surent nous galvaniser et nous conduire à la résistance active, organisée contre les nazis et les fascistes. Nous fûmes d'emblée acquis à leur cause : il fallait, par tous les moyens, rendre inopérante la pieuvre du national socialisme pour nous libérer de l'étreinte mortelle de ses tentacules.  Notre groupe avait pour mission de contacter et de rassembler les patriotes, de fournir des renseignements  d'ordre social et stratégique, et de distribuer les tirages du journal clandestin L'Humanité d'Alsace. 

Le groupe a cessé son activité dirigée par suite de l'arrestation de son chef Auguste Sontag le 25 mai 1942.

J'ai rencontré Auguste pour la dernière fois en avril 1942, quand il a pris le tram allant à Colmar pour partir à Waldshut. Des bruits couraient déjà sur les répressions menées par la Gestapo envers les résistants communistes. Je lui ai dit : Auguste, Waldshut n'est pas loin de la Suisse. Sauve ta peau, et passe la frontière. Perdu dans ses pensées, il n'a pas répondu. C'est la dernière vision que j'ai de lui.

Yvonne Beyer raconte :

Avec Paul Beyer, je participais aux activités du réseau clandestin. Je tapais sur une vieille machine à écrire les stencils ronéo qui servaient à l'impression des tracts. Pour cela, je venais dans la maison des parents Sontag, à l'angle de la rue des Trois-Epis et de l'actuelle rue Sontag. Un jour, Raymond, le frère d'Auguste, en revenant du tram, m'a dit : Fais attention et ferme la fenêtre, on entend résonner ta machine à écrire jusqu'à la gendarmerie ! Après les premières arrestations, Paul Beyer s'est rendu à Waldshut pour prévenir Auguste Sontag du danger, et lui conseiller de ne pas revenir en Alsace. Auguste lui a répondu : Si je ne rentre pas, j'avoue ma culpabilité, et je mets en danger tous les camarades de mon réseau. Seule précaution, il confie à Paul des courriers et un paquet de tracts pour ne pas les porter sur lui lors d'une éventuelle arrestation.

25 mai 1942 : l'arrestation

Eugène Boeglin

Quand il a appris qu'il était recherché par les nazis, Auguste enseignait en Allemagne, à Waldshut près du Lac de Constance. Des douaniers allemands avec qui il déjeunait lui proposèrent de le faire passer en Suisse. Mais Auguste préféra revenir en Alsace pour continuer la lutte avec ses camarades. Et c'est l'arrestation à son domicile, 35 rue du Mal Joffre à Wintzenheim, le lundi de Pentecôte 25 mai 1942 en fin d'après-midi. Il venait de fêter en famille l'anniversaire de sa sœur Andrée, dite Suzie. Sont arrêtés vers la même époque : Émile Minéry, cordonnier de Réguisheim, Ernest Korb, mineur de Réguisheim, Eugène Boeglin de Wintzenheim, Adolphe Murbach de Sundhoffen, et René Birr de Réguisheim. Tous avaient, selon l'occupant, participé à un complot contre la sécurité de l'État. Emprisonnés pendant quelques jours à Colmar et à Strasbourg, ils furent transférés au camp de Schirmeck jusqu'en novembre, puis enfermés à la prison de Buhl (pays de Bade). 

Les rafles se multiplièrent, et ce sont 33 Alsaciens qui seront déférés devant un tribunal du peuple. Leur procès eut lieu le 23 janvier 1943 à Strasbourg devant le Volksgerichtshof. Ce tribunal populaire de sinistre mémoire avait été créé le 24 avril 1934, Hitler comptant sur lui pour anéantir les derniers noyaux de résistance en Allemagne et combattre surtout les milieux communistes (et notamment le parti d'Ernest Thaelmann). Composé de 2 juges de carrière et de 3 assesseurs honoraires non juristes nommés par le Führer, il prononçait des jugements sans appel. 

23 janvier 1943 : le procès

L'une des six photos de dirigeants de la Résistance communiste, héros de la résistance patriotique contre les nazis, figurant en page 2 du numéro spécial Résistance de l'Humanité d'Alsace et de Lorraine de Janvier 1965.

Avec un procès présidé par le redoutable Dr Roland Freisler, qui jugera les auteurs de l'attentat contre Hitler et les condamnera à la pendaison, nos quatre résistants n'avaient aucune clémence à attendre. 

Le tribunal Volksgerichtshof, 1. Senat était composé de :

Juge : Präsident des Volksgerichtshofs Dr Freisler, Vorsitzer,
Juge : Landgerichtsdirektor Stier,
Juge : Generalarbeitsführer Stoll,

Juge : SA-Gruppenführer Damian,
Juge : Obererreichsleiter Worch,
Procureur : Erster Staatsanwalt Figge (als Vertreter des Oberreichsanwalts)
Greffier en chef :  Justizobersekretär Peltz (als Urkundsbeamter der Geschäftsstelle)

Ont comparu :
le cheminot (Eisenbahner) René Birr, de Réguisheim, né à Réguisheim le 2 novembre 1922
le cordonnier (Schuhmacher) Émile Minery, de Réguisheim, né à Réguisheim le 7 avril 1916
le mineur (Bergmann) Robert Korb, de Réguisheim, né à Réguisheim le 13 janvier 1922
l'instituteur (Lehrer) Auguste Sontag, de Wintzenheim, né à Wintzenheim le 28 septembre 1915
l'instituteur (Lehrer) Eugène Boeglin, de Wintzenheim, né à Obermichelbach le 8 novembre 1912
le menuisier (Schreiner) Adolphe Murbach, de Colmar, né à Sundhofen le 12 juillet 1902.

L'acte d'accusation précisait que les 6 Haut-rhinois avaient, en temps de guerre, favorisé l'ennemi du Reich en se rendant coupables de haute trahison et en faisant de l'agitation communiste. Sontag, Boeglin et Birr étaient de plus accusés d'avoir préparé et caché des armes pour le jour où ils entreraient en lutte ouverte contre les nazis. Eux trois et Murbach ont été condamnés à la peine capitale et à la perte définitive de leurs droits civiques. Émile Minéry a écopé de 6 ans de réclusion, Ernest Korb de 12 ans de réclusion. Les condamnés eurent une attitude très digne. C'est ainsi que le jeune Birr, qui n'avait que 20 ans, apostropha Freisler en lui disant Nous allons mourir, et pour une noble cause, mais d'ici un an, vous allez payer vos crimes. Les condamnés à mort furent enfermés à Stuttgart, dans la prison centrale de l’Urbanstrasse. Auguste Sontag put recevoir la visite de sa famille à trois reprises. Son frère Raymond fut l'un des derniers à le voir, un mois avant son exécution. 

1er juin 1943 : l'exécution

L'affiche du 1er juin 1943

Le 1er juin 1943, très tôt le matin, des placards rouges annonçaient l'exécution de quatre résistants haut-rhinois : René Birr, 20 ans, de Réguisheim, Auguste Sontag, 27 ans, de Wintzenheim, Eugène Boeglin, 36 ans, d'Obermichelbach, et Adolphe Murbach, 40 ans, de Sundhoffen.

Voici des extraits du journal de Stuttgart Die Volksstimme du 7 juillet 1949 : Le matin à 5 heures, les candidats à la mort furent réveillés et on leur donna à nouveau lecture de la condamnation à mort du Procureur de la République. Puis ils durent se déshabiller totalement et revêtir la chemise de la mort en papier, au col découpé. Ils furent conduits à la cour du bâtiment de justice, où les valets du bourreau, ivres, attendaient leurs victimes. Les condamnés furent brutalement couchés et attachés à l'échafaud. Le valet appuya sur un bouton, le couperet s'abaissa et l'on passa à la prochaine victime. Ce même jour, 35 personnes furent exécutées de cette façon.

Des compagnons de cellule rapportent qu'Auguste et ses trois camarades chantèrent la Marseillaise en montant à l'échafaud.

Le 29 juin de cette même année, d'autres résistants haut-rhinois furent exécutés de cette manière, à savoir Marcel Stoessel de Mulhouse-Dornach, René Kern de Morschwiller-le-Bas, Alphonse Kuntz de Mulhouse et Édouard Schwartz de Lutterbach. Durant longtemps, on ne put savoir ce qu'il advint des corps des victimes et les membres de leurs familles ne furent jamais informés. Seul Marcel Stoessel put être enterré à Dornach. Grâce au VVN (association allemande de persécution du régime nazi), le secret put être levé ; même après leur mort, on ne laisse pas de paix aux victimes. Le régime nazi transféra leurs corps à la faculté de médecine de Heidelberg, où ils servirent de sujet d'expérience, pour l'anatomie, puis ils furent enterrés dans une fosse commune au cimetière de montagne de Heidelberg.

Le 7 juillet 1968, à l'occasion d'une cérémonie de commémoration, une plaquette du souvenir fut posée sur les tombes, portant les noms des victimes. Rappelons que le nom d'Adolphe Murbach est également gravé sur la plaquette de la place des Martyrs de la Résistance à Colmar.

 

L'organisation de la Résistance en France libre: des Alsaciens à Lyon

Paul Hirlemann

Hommage aux bistrotiers résistants de Lyon

Un petit café-épicerie-charcuterie de Lyon, tenu par des Alsaciens, a servi de plaque tournante à des réseaux locaux de résistance. Voici, recueilli par René Meyer, le témoignage d'un évadé alsacien, Paul Hirlemann, devenu agent du B.C.R.A.

Durant toute la guerre, le café-épicerie-charcuterie du n° 156 de la rue Créqui, à l'angle de la rue Le Royer, 3e arrondissement, en plein centre de Lyon, fut un haut lieu de la Résistance. L'établissement était tenu par les époux Woehrlé, Alsaciens originaires d'Éguisheim. Le mari, Alphonse Woehrlé, déserteur de l'armée du Kaiser durant la première guerre mondiale et condamné à mort par contumace, était venu s'établir à Lyon. D'abord lieu de rendez-vous des Alsaciens évadés, le café devint le quartier général clandestin des agents de liaison des réseaux Action-Londres, Électre-Bouleau et Combat.

Des Alsaciens incorporés de force en tenue verte fréquentaient les lieux, ce qui faisait fuir les habitués et provoquait des interrogations chez les voisins mais détournait l'attention de la Gestapo lyonnaise qui avait l'œil sur le café.

Plusieurs Alsaciens ont eu à connaître l'établissement lyonnais.

Paul Hirlemann de Wintzenheim, agent du Réseau Action-Londres

Paul Hirlemann en 1944. La photo est signée F. Soubrier, 77 rue Pierre-Corneille. Ce photographe lyonnais faisait souvent des photos pour les fausses cartes d'identité des incorporés de force alsaciens qui souhaitaient déserter de la Wehrmacht. Stationnés au Fort Lamotte, ils se retrouvaient le soir au café Woehrlé. Le photographe leur prêtait une cravate et une veste civile en remplacement de l'uniforme allemand, le temps de faire la photo.

Paul Hirlemann en juin 1945 à Wintzenheim avec René Koch, son compagnon d'évasion.

Paul Hirlemann est décédé le 20 décembre 2006

Je me suis évadé d'Alsace avec un camarade, René Koch, le 7 octobre 1941, pour me soustraire au RAD. Nous sommes entrés en Suisse par l'enclave de Neuwiller. Par les bons soins du consulat de France à Bâle, nous sommes partis le samedi 11 octobre suivant sur Genève puis sur Lyon où, le 13 au soir, nous avons été pris en charge par un centre de la rue Scaronne. Dès le lendemain, deux sous-officiers alsaciens y sont venus pour recruter des jeunes. Mon camarade s'est immédiatement engagé mais moi je n'étais pas intéressé par l'armée de Vichy. Voulant me faire délivrer une carte d'identité, un commissaire de police, auquel je n'avais pu exhiber que le document délivré par le consulat de Bâle, m'a rabroué en me disant qu'il ne pouvait rien faire pour moi et que je n'avais qu'à retourner chez moi. J'ai finalement obtenu cette carte après intervention de l'antenne de la préfecture du Haut-Rhin repliée à Lyon.

La première carte d'identité obtenue à Lyon le 8 novembre 1941, comportait sa véritable identité et sa véritable date de naissance, le 7 juin 1922 à Wintzenheim

Par un autre camarade de mon village, Lucien Goetz, également évadé, j'ai fait la connaissance d'Alsaciens établis à Lyon depuis avant la guerre, la famille Woehrlé, qui tenait un café-épicerie-charcuterie. Le soir de mon arrivée, oh surprise ! Nous nous trouvions à sept jeunes évadés de Wintzenheim réunis autour d'une table. A cette époque, les restrictions étaient sévères et nous étions bien contents de recevoir des casse-croûte sans tickets. Un gradé de l'armée, alsacien, m'a placé comme civil au 11e régiment de cuirassiers jusqu'en avril 1942, date à laquelle j'ai été embauché à la mairie centrale de Lyon. Alors que je me trouvais affecté au bureau des distributions des bons de chauffage, j'y étais enregistré comme requis, ce qui m'a valu d'échapper à l'enrôlement dans les Chantiers de Jeunesse et dans les Compagnons de France. Entre-temps, j'ai revu deux autres camarades de mon village, Robert Clor et René Schmitt, eux aussi évadés, ce qui faisait déjà neuf hommes. Après l'invasion de la zone dite libre par les Allemands, le 11 novembre 1942, il a fallu redoubler de précaution. Mon identité a été modifiée : je suis devenu Jean Pegaz, né à Bougie (Algérie). Dans ce temps-là, les réseaux de résistance se multipliaient et c'est ainsi que je suis entré au réseau Action-Londres et devenu agent P2, chargé de mission. Ce réseau, comme beaucoup d'autres, dépendait du BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) dirigé par le colonel Passy (Dewavrin) à Londres.

Par la suite, Paul Hirlemann deviendra Paul Pegaz ou Jean Pegaz, né en 1919 à Bougie en Algérie

Tout en me laissant continuer à travailler à la mairie centrale de Lyon, qui me servait de couverture, mon chef dans la Résistance m'a demandé de quitter cet emploi en novembre 1943 pour me consacrer entièrement au réseau. Mon premier travail a été de porter des télégrammes à Heyrieux, à bicyclette, pendant trois semaines ; après quoi, il m'a fallu assurer la liaison avec Saint-Martin-en-Haut. Peu après, j'assurais la liaison avec Villefranche-sur-Saône. Après l'arrestation d'un agent de liaison qui effectuait le trajet Lyon-Paris et retour, on m'a demandé de le remplacer, ce qui impliquait de passer la ligne de démarcation à chaque voyage. Cette ligne avait été maintenue après l'invasion de la zone libre, mais on pouvait la traverser avec des papiers en règle. J'ai pu assurer cette liaison jusqu'au 30 juillet 1944, date à laquelle je suis resté bloqué à Paris. J'ai effectué plus de soixante allers-retours de Lyon à Paris en sept mois, avec à chaque fois un contrôle par les Allemands ou par les miliciens de Vichy, tout en gardant mon sang-froid. Je possédais toujours une attestation (fausse) de la mairie centrale de Lyon qui me permettait d'être couvert, mais le fait de comprendre l'allemand m'était d'une grande utilité. Les marchandises transportées consistaient surtout en postes émetteurs-récepteurs, en armes, mais aussi argent et messages. Lors de mon premier voyage, j'avais une grosse valise renfermant un poste émetteur-récepteur et deux gros accus lorsque j'ai été interpellé en sortant de la gare de Lyon à Paris par trois civils. L'un d'eux voulant savoir ce qu'il y avait dans la valise, je l'ai ouverte séance tenante en lui répondant : un voltmètre pour camion et deux accus. Il a jeté un coup d'œil et m'a répondu avec un petit rire méphistophélique, en me regardant dans les yeux : Ca va, fermez la valise, vous pouvez partir. Encore aujourd'hui, je suis persuadé que ce policier de la préfecture de police de Paris avait compris.

Poste radio émetteur-récepteur avec ses écouteurs

J'ai véritablement eu peur à trois reprises. La première fois, en mars 1944, quand deux Allemands, casqués et armés, sont venus au café Woehrlé. Me trouvant dans la cuisine, j'ai immédiatement pris la fuite. En réalité, il s'agissait de deux Alsaciens incorporés de force qui amenaient du courrier d'Alsace destiné à madame Woehrlé comme je l'ai appris plus tard. Les Allemands, en raison des attentats, devaient marcher par deux, casqués et armés. La deuxième fois, le 18 mai 1944, en apprenant l'arrestation de deux camarades et de plusieurs autres, j'ai cru que mon heure était arrivée, mais aucun d'eux n'a parlé. La troisième fois, le 9 juillet 1944, lors d'un contact qui devait avoir lieu place Voltaire à Lyon. A l'heure dite, j'ai aperçu un monsieur portant un imperméable gris avec double empiècement autour du col : ce ne pouvait être qu'un policier allemand en civil. Je lui ai échappé en pénétrant dans un magasin. De cet endroit, j'ai aperçu d'autres messieurs non loin. Au café Woehrlé, dans le petit local attenant à la cuisine, se trouvait le stock sans cesse renouvelé de postes émetteurs-récepteurs, accus, armes et documents divers. Les allées et venues, mais également la venue de soldats portant l'uniforme vert, éveillaient l'attention des voisins et des clients, mais les tenanciers arrivaient toujours à endormir leur méfiance. Peut-on s'imaginer dans une même salle de café des membres de réseaux de résistance au milieu de soldats allemands!

Spécimen de télégramme codé

Radio clandestine : description d'une émission

Quelques minutes avant l'heure du rendez-vous avec Londres, l'opérateur arrive au lieu d'émission. Un ou plusieurs guetteurs extérieurs sont en place. Sortir l'appareil de sa cachette, le poser sur une table, dérouler le fil d'antenne sur dix à quinze mètres (à la campagne, il va se perdre dans un arbre, à la ville, il zigzague d'un mur à l'autre de la pièce), relier l'appareil à une prise de courant (ou à une batterie), enficher le quartz fixant la longueur d'onde prévue, régler l'émetteur et le récepteur : tout cela se fait en quelques minutes lorsque les conditions sont normales.

A la seconde prévue pour la prise de contact, l'opérateur lance cinq ou six fois son indicatif d'appel. Dès que la Centrale de Londres le perçoit, elle répond en émettant son propre indicatif. A partir de ce moment, le trafic s'enchaîne : calmement mais rapidement les signaux morse crépitent, les messages sont transmis un par un, le tout entrecoupé de quelques changements de longueur d'ondes. Pendant tout ce temps l'opérateur radio reste très conscient de l'écoute ennemie qui alerte immédiatement les stations allemandes de repérage par goniométrie. Seul un grand entraînement lui permet de se défaire d'une certaine nervosité, préjudiciable à la qualité et à la précision du travail, car les messages reçus ou transmis sont codés, de telle sorte qu'une lettre manquante ou mal transmise ne peut être devinée ou rectifiée par référence au reste du message. Vingt à trente minutes plus tard, le signal de fin de transmission est échangé, quelquefois accompagné d'une appréciation de la Centrale : (FB) (fine business : bon travail). Il ne reste plus qu'à tout replier, détruire les messages transmis, effacer toute trace de ce qui vient de se passer.

Pendant ces trente minutes ont été transmis des renseignements sur l'ennemi, des comptes-rendus de sabotages et d'opérations aériennes la liaison vitale entre les Forces de l'Intérieur et les alliés de l'extérieur a été maintenue. Cette émission de trente minutes réalisée par l'opérateur radio a également nécessité un long et dangereux travail de préparation assumé par les agents de liaison et de protection. Il fallait bien que les postes émetteurs soient régulièrement changés d'emplacements, les émissions couvertes par des gens armés, les boites aux lettres relevées, les emplacements d'émissions renouvelés, etc, et cela c'était le travail dangereux des auxiliaires des radios clandestines.

Robert Clor au 151e Régiment d'Infanterie vers 1941-42

Robert Clor, victime de Klaus Barbie, raconte :

Je suis né le 4 février 1922 à Wintzenheim. Je me suis évadé d'Alsace le 11 juillet 1941, en compagnie de René Schmitt, pour ne pas être enrôlé de force dans le RAD (Reichsarbeitsdienst) allemand. Le 18 juillet 1941, je signais un engagement de trois ans au 151e R.I. à Lons-le-Saunier (Jura). J'ai été démobilisé le 28 novembre 1942 après que les Allemands aient occupé la France entière et j'étais titulaire d'une permission renouvelable jusqu'au 28 février 1943. Enfin, je fus placé en congé d'Armistice le 1er mars 1943. 

Bien avant cette date, c'est-à-dire le 15 décembre 1942, j'ai signé un engagement pour la durée de la guerre comme agent P2 dans le Réseau de Renseignements et de Transmissions Électre Bouleau, commandé à ce moment-là par le colonel Jean Fleury. 

Ma première mission consistait à ramasser chaque jour, matin et soir, les télégrammes dans différentes boîtes aux lettres se trouvant aux quatre coins de Lyon. Ces télégrammes étaient destinés soit à Londres, soit à Alger. Tous les jours, j'ai changé le poste émetteur d'emplacement parce que, à ce moment-là, nous ne possédions qu'un seul poste. De plus, je m'occupais de la protection des opérateurs pendant leurs transmissions. Je me rappelle de quelques noms de Réseaux, dont nous étions responsables des transmissions : Vector, Raoul, François, Etienne et, bien sûr, Max dont nous ignorions à cette époque la véritable identité, Jean Moulin.

Notre adjoint au Colonel Jean Fleury, nommé Cazenave, nous a malheureusement quittés à la suite d'un accident d'avion sur la route de Londres. Il fut aussitôt remplacé par Jacques Salomon Richet, alias commandant Renal. Début 1943, nous possédions deux postes émetteurs et comme agents : moi-même, Robi alias Jules Bizet et deux radios opérateurs de la Marine, des vrais : Félix - Berger ou Suchard.

De jour en jour, les télégrammes devenaient plus nombreux et, de ce fait, il fallait élargir notre champ d'action. Richet, commandant Renal, m'a confié une mission très délicate, qui consistait à créer d'autres secteurs, à chercher des emplacements pour faire nos émissions dans d'autres villes que Lyon. A Lyon, les Allemands avaient installé une centrale de goniométrie avec cinq ou six voitures pour détecter les radios clandestines. C'était vraiment une mission difficile que de chercher des emplacements pour pouvoir travailler avec un poste émetteur dans une ville où je ne connaissais personne. Souvent, lorsque je frappais à une porte, les gens se méfiaient et il leur fallait un certain temps de réflexion, voire des journées, avant de donner leur accord. N'oublions pas que les rues pullulaient d'Allemands. Tout de même, j'ai réussi dans cette délicate mission, et non sans difficulté à Valence, à Grenoble, à Charolles-sur-Saône et à Beaujeu (Rhône).

Grenoble et Beaujeu devinrent nos secteurs préférés. Dans ces deux régions, les emplacements étaient des fermes situées sur les hauteurs. On recevait les émissions 5 sur 5 et, pour la protection des opérateurs, on voyait facilement à deux ou trois kilomètres à la ronde l'approche des voitures gonio qui essayaient de nous repérer. Il faut dire que depuis février 1944, elles n'avaient plus d'antenne circulaire sur le toit, et les reconnaître devenait de plus en plus aléatoire.

Maintenant que j'avais les emplacements, il ne me manquait plus que les agents de liaison et des radios expérimentés. De mon côté, j'ai contacté quelques Alsaciens et Lorrains dont j'avais fait la connaissance au 151e R.I. Ils étaient tous évadés d'Alsace comme moi. J'ai eu la chance de récupérer une bonne dizaine d'entre eux. Le recrutement des opérateurs était du ressort de mes chefs Fleury et Richet. Notre Réseau Électre Bouleau s'était bien organisé. Nous transmettions au début de l'année 1943 quelque trois à quatre télégrammes par semaine, alors qu'en 1944 nous en transmettions des dizaines et des dizaines par jour. La preuve, le 17 mai 1944, jour de mon arrestation à la boîte aux lettres rue Victor Hugo à Lyon, j'étais en possession d'une centaine de télégrammes destinés à Londres ou à Alger, et en plus de neuf quartzs pour nos postes-radios. Heureusement, les télégrammes étaient tous en groupes codés. Les Allemands ne m'ont laissé aucune chance de me débarrasser de cette marchandise qui nous était très chère. Voici comment les choses se sont passées. 

Je me dirigeais vers notre boîte aux lettres de repêchage en compagnie d'un agent de liaison, originaire de Strasbourg, Henri L., que je venais de recruter deux ou trois mois auparavant. Brusquement, un policier en civil m'a fait traverser la rue Victor Hugo, le pistolet pointé dans mon dos, et m'a poussé dans une librairie-papeterie située juste en face de cette boîte aux lettres. Arrivé dans le bureau du magasin, le policier demanda à un des employés une corde ou cordelette, ce qu'il lui fournit aussitôt. Alors ils se mirent à deux pour me ficeler les mains dans le dos. Le policier téléphonait à la Gestapo et en même temps il déposa son pistolet sur la table, à moins de trente centimètres d’Henri qui ne bougea point. Inutile de me casser la tête, j'avais vite compris qu’Henri marchait avec eux et qu'il m'avait trahi. Au téléphone, le flic parlait au pluriel en disant : On a arrêté l'agent de confiance Robi, alias Jules Bizet. Peu de temps après, deux gorilles dans une traction 15 CV sont venus nous chercher. Nous prîmes la direction de l'École de santé militaire. Henri marchait toujours librement. A l'école, commencèrent les interrogatoires, pendant quatre jours. De temps en temps, on me descendait à la cave pour récupérer un peu, mais jamais trop longtemps. C'est dans cette cave que j'ai trouvé quelques-uns de mes camarades qui s'étaient fait prendre de la même façon que moi, toujours accompagnés par Henri.

La prison de Montluc à Lyon, vers 1945-46 

Le cinquième jour, je fus transporté à la prison de Montluc. Je n'avais ni mangé ni bu pendant cinq jours. Rien que des interrogatoires. Voici le nom de quelques camarades de combat rencontrés dans cette cave : Clément, René alias Serge Riffart, et Christophe qui était même accompagné de son épouse. Il y avait aussi un chef du Réseau Vector, dont j'avais perdu la trace. Il m'accompagnera dans le même convoi en direction de Compiègne.

Dans la cellule de Montluc, j'eus la visite de M. Farragi, adjoint de Richet, qui me posa pas mal de questions. Dans ma tête, il y eut un déclic. Pourquoi ? Parce que c'était le seul de tous les agents de ce Réseau qui possédait l'adresse exacte de notre chef, Renal. Richet et son épouse avaient été arrêtés, mais pas à la boite aux lettres.

La navette entre Montluc et l'École de santé militaire dura jusqu'au jour où l'École fut bombardée. Dès lors les interrogatoires continuèrent au siège de la Gestapo, place Bellecour.

Un jour, on me fit entrer dans un bureau. Que vis-je ? Henri L. assis à une table, devant lui une assiette et une bouteille de vin d'Alsace. En face de lui, un certain Francis qui se retourna et me dit : C'est toi Robi ? Tu aurais mieux fait d'aller planter des choux à la campagne que de faire ce métier. Et, en plus, il ajouta : Tu vois, Henri mange. Je pense qu'il croyait m'intimider avec çà, mais j'en avais vu d'autres avant lui.

L'interrogatoire le plus dur fut la confrontation avec mon chef Richet, alias Renal, qui était presque méconnaissable, assis dans un fauteuil. Il y avait aussi deux brutes qui étaient présentes, armées chacune d'un nerf de bœuf et qui me posaient plusieurs fois la même question : Regarde bien ce salaud et dis-nous que c'est bien lui Richet, chef du réseau Électre Bouleau et que vous étiez toujours en liaison avec les Russes. Inutile de vous faire un dessin du traitement qu'ils me réservaient quand je leur répondais que je ne connaissais pas ce Monsieur. Il faut dire franchement qu'il fallait bien regarder pour le reconnaître : il subissait des tortures inimaginables. Après cela, les deux anges gardiens s'occupèrent un peu de moi et me firent valser à coups de nerf de bœuf dans une autre chambre. En rentrant dans celle-ci, je croisais mon camarade d'évasion René Schmitt, alias Serge Riffart, qui sortait dans un état lamentable. C'était justement René qui était le responsable du bon fonctionnement du secteur Grenoble.

Robert Clor le 26 mai 1987 devant le Palais de Justice de Lyon pendant le procès Barbie

A l'intérieur de cette chambre se trouvait Klaus Barbie, les mains sur les hanches. Je l'ai tout de suite reconnu d'après les photographies faites en 1945 et montrées à la télévision française après son arrestation. Il y avait aussi deux autres sbires qui m'accueillaient de la même façon. Ils ne me laissaient pas le temps de me déshabiller ou de souffler un peu et me bousculaient immédiatement dans une baignoire pour mon premier bain de santé. Dans un intervalle de deux heures, j'en ai subi six.

Durant ce séjour de six semaines à Monluc, et faisant la navette Montluc-École de santé militaire ou Montluc-place Bellecour, j'ai subi vingt-quatre interrogatoires, plus cruels les uns que les autres et toujours menés par d'autres bourreaux.

Pendant ce temps, deux de ces chiens enragés (Bluthunde) s'occupaient d'une jeune fille d'environ vingt ans et nue. Elle était accrochée par les menottes au-dessus de la porte d'entrée de cette fameuse chambre. Derrière elle se trouvait les deux sbires sous le commandement de Barbie, chacun un fouet à la main et ils tapaient et tapaient ; mais pour Barbie, jamais assez fort. Et cette fille refusait de cracher le morceau. Les seuls mots que j'ai entendus d'elle sont : Je ne sais rien. Ils me sont restés gravés dans la mémoire. Pour moi, cela me faisait l'effet d'une piqûre qui augmentait mon courage et me donnait des forces supplémentaires pour la suite de mes interrogatoires.

A un moment donné, Barbie donna l'ordre à mes anges gardiens de me laisser par terre pour souffler un peu. Au même instant, les deux autres décrochèrent la jeune fille. Elle ne parlait toujours pas. La fille s'écroula la tête la première sur le sol, comme une personne frappée par la foudre. A ce moment-là, il se passa une chose que je ne voudrais plus jamais revoir, une chose inhumaine. Barbie donna l'ordre à un de ces hommes d'infliger à la fille des tortures d'une incroyable bestialité. Barbie, voyant que le sbire de service ne réagissait pas tout de suite, prit le fouet et s'occupa lui-même de cette ignoble besogne. Cette pauvre fille ne criait et ne pleurait plus, mais elle hurlait et ne disait toujours rien. Je ne crois pas que l'on puisse se faire une idée de l'effet que cela m'a fait d'être obligé d'assister à une telle torture, sans pouvoir secourir la malheureuse, couchée sur le sol à deux ou trois mètres de moi. Je me sentais vraiment incapable face à ces cinq chiens enragés.

Déposition de Robert Clor le 28 mars 1983, en vue du procès Barbie qui s'est tenu à Lyon en 1987

Après un séjour d'un mois et demi, je fus transféré à Compiègne puis expédié vers le sinistre camp de Neuengamme (matricule 36974). Avril 1944 : le camp est évacué vers Lubeck. Mai 1945 : échange de prisonniers avec la Croix Rouge suédoise dans le cadre de la mission Bernadotte, bombardement tragique des bateaux Cap Arcona, Thielbeck et "Deutschland" (10.000 morts), arrivée en Suède puis, le 28 juin 1945, rapatriement à Paris et, le 14 juillet 1945, convoqué par mes chefs de la Résistance, j'assiste à Colmar au magnifique défilé de la victoire.

Neuengamme : les commandos de ramassage des bombes non éclatées

Robert Clor n'a pas connu les camps pendant une longue période. Il a cependant eu le temps de côtoyer et de vivre les plus inimaginables horreurs. Jules Bizet, c'est son nom de code, a été arrêté sur dénonciation le 17 mai 1944 à Lyon. Après 24 interrogatoires, il est conduit à la prison de Montluc. Puis on l'envoie à Compiègne durant une quinzaine de jours. Enfin, le wagon à bestiaux, direction le camp de Neuengamme. Six jours sans rien avaler.

A peine arrivé au camp, Robert Clor est affecté au commando qui est chargé de déterrer à Hambourg les bombes qui n'ont pas explosé. Ces bombes étaient envoyées par les alliés, et Hambourg faisait partie des villes les plus visées. 80 Français ont été attelés à ce travail. Cinq semaines plus tard, moins d'une dizaine revenaient au camp. Ils avaient été répartis par équipes de 6 et étaient accompagnés d'un policier et d'un artificier.

- Nous creusions, raconte Robert Clor, à la pelle ou à la pioche pour déterrer une bombe qui risquait à tout moment d'éclater. Un jour, nous avons désamorcé une bombe de 250 kg qui était tombée sur des rails de chemin de fer, près d'une usine d'aluminium. Deux jours plus tard, nous eûmes la satisfaction de voir que cette même usine avait été bombardée et détruite.

Si bas dans la déchéance.

Fin avril 1944, à l'approche des alliés, le camp est évacué et Robert Clor est chargé sur un bateau à Lubeck qui fait la navette entre le port et le Cap Arcona. Au début, on croyait que le bateau était chargé de ravitaillement, mais en réalité on revenait avec un chargement de cadavres de déportés. Puis les déportés sont entassés dans la cale d'un autre bateau, L'Athen qui stationnait dans un petit port près de Lubeck. Les malades du typhus voisinaient avec les morts. Impossible de savoir combien de personnes contenait la cale. Heureusement, la distribution d'un colis de la Croix-Rouge permet à de nombreux internés de survivre en attendant la libération qui arrive sous forme d'un échange de prisonniers par l'intermédiaire de la Croix-Rouge suédoise. Le souvenir des jours passés dans ces bateaux ne quittera jamais Robert Clor :
C'était chacun pour soi. Je n'aurais jamais imaginé qu'un homme puisse tomber si bas dans la déchéance. Notre comportement était pire que celui d'un animal. Robert Clor est décédé à Colmar le 9 novembre 1993.

René Schmitt vers 1941-42 dans l'uniforme du 151e R.I. René, patriote ardent, né le, 12 octobre 1921 à Wintzenheim, est mort en déportation. Il a succombé dans le train de la mort le 2 juillet 1944, à Dachau, Allemagne.

Mars-avril 1944 : René Schmitt à L'Ile Roy avec son amie Simone

Une rue de Wintzenheim porte son nom : René Schmitt

René Schmitt est né le 12 octobre 1921 à Wintzenheim. Après l'école primaire de Wintzenheim, il fréquente l'école primaire supérieure de Colmar jusqu'au brevet industriel. Passionné dès son jeune âge pour l'automobile, il ne put résister à acquérir une formation pratique dans cette branche. L'occupation allemande le surprit mais René n'accepta pas un seul instant l'idée de servir l'Allemagne. Pour éviter son enrôlement dans le R.A.D. (Reichsarbeitsdienst), il quitta l'Alsace clandestinement le 11 juillet 1941 en compagnie de Robert Clor, et s'engagea dès son arrivée en zone libre au 151e R.I. à Lons-le-Saunier. Après l'occupation de la zone libre par l'armée hitlérienne, c'est-à-dire après le 11 novembre 1942, René entre dans la Résistance de Lyon (sous le nom de code Serge Riffart) et plus précisément dans le réseau Électre Bouleau faisant partie du B.C.R.A. de Londres. A partir de ce moment, ce fut pour lui une vie mouvementée à l'extrême dans ce réseau de renseignements des Forces françaises libres, et où il fut chargé par la suite de l'installation et du commandement d'une unité d'émission radio dans les murs de l'établissement des époux Woehrlé, 156 rue de Créqui. Hélas, mi-mai, un traître devait le vendre à la Gestapo, ainsi que plusieurs autres agents du réseau. Arrêté le 17 mai 1944 à Lyon en même temps que Robert Clor, il est interrogé par la Gestapo dans les locaux de l'École de santé militaire, puis interné à la prison Montluc de Lyon. Il dû subir toute la gamme des sévices et des tortures faisant partie du répertoire de la Gestapo, et sans parler, sauvant ainsi bon nombre de ses camarades. Puis il fut chargé dans un wagon du tristement célèbre train de la mort, à destination de Dachau, via Compiègne. Hélas, de ces wagons où ils étaient entassés à raison de 120 déportés en moyenne, il ne devait plus sortir, une fois les portes ouvertes le long de la rampe d'arrivée à Dachau, qu'une petite poignée de vivants, les autres étant déjà morts ou sur le point de mourir. René Schmitt était déjà parmi les morts. René Schmitt qui a donné sa vie à la patrie, a été un exemple de dévouement, d'abnégation et de courage pour tous ses camarades. Il a gagné l'estime de tous ceux qui l'ont connu.

Camp de Compiegne-Royallieu

Sous administration allemande, le camp de transit avant déportation de Compiègne-Royallieu est situé au nord de Paris, sur le territoire de la commune de Compiègne (Oise). Ancienne caserne, il est composé de plusieurs quartiers séparés par huit bâtiments.

Camp de Dachau

Dachau est une ville allemande située au nord-ouest de Munich. Himmler, chef de la police de Bavière, y a fondé le premier camp de concentration S.S. en mars 1933. Initialement destiné aux Allemands antinazis, le camp de Dachau renferme des déportés jusqu'au 29 avril 1945, jour de sa libération par l'armée américaine. Camp central, il comporte cent quatre vingt-trois Kommandos extérieurs. Au moins 200.000 personnes y ont été déportées, au moins 30.000 y sont mortes (selon les dernières recherches).

 Lucien Goetz en 1946-47

Lucien et Germaine Goetz à Lyon : 

Lucien Goetz est né à Wintzenheim le 12 août 1921. En juillet 1941, pour fuir le régime nazi, Lucien quitte l'Alsace en franchissant les Vosges par la Tête des Faux. Avec 3 camarades du lycée Bartholdi de Colmar, il passe en zone non occupée et aboutit à Lyon. Il est nommé instituteur à Oullins (Rhône) et à Poncin (Ain) puis, en raison de ses qualités sportives (ancien champion d'Alsace d'athlétisme, handballeur, très bon nageur), il devient professeur d'éducation physique et sportive à Lyon. En mars 1942, il revient en Alsace avec un copain de Turckheim, pour  retrouver à Logelbach celle qu'il aime, Germaine Marbach, sa future épouse. Avec elle il franchit une nouvelle fois la ligne de démarcation, passant par Mittlach et le lac de l'Altenweier, servant par la même occasion de guide à une dizaine de prisonniers évadés. La course n'est pas facile à travers la neige. Heureusement, tout se passe bien jusqu'à Lyon.
Là, rue Rabelais, de nombreux israélites de Wintzenheim, les Klein, Dreyfus, Bloch et autres vivent dans la crainte des rafles et perquisitions. Lucien, qui exerce encore la fonction de professeur d'éducation physique, a quelques contacts qui lui permettent d'obtenir soit des cartes d'alimentation, soit des papiers d'identité. C'est son épouse Germaine qui les remet à ces démunis. Un ami de la famille, M. Blatz de Turckheim, fait partie de ces résistants bénévoles. Lucien retrouve aussi ses amis de Wintzenheim, Paul Hirlemann et René Schmitt, Léon Muller d'Eguisheim, et quelques autres. Il s'engage alors à fond dans la Résistance. 

Lucien Goetz en 1941 à Lyon, en compagnie de Paul Hirlemann

Après un déménagement à Craponne (Rhône), à quelques kilomètres à l'ouest de la grande ville, son domicile, impasse des Landes, devient pendant un an le siège-refuge d'un émetteur radio en liaison avec Alger et Londres. A l'époque, les transmissions se faisaient en morse. Lyon est un haut lieu de la Résistance mais, hélas, aussi grand centre pour la Gestapo dans ses basses oeuvres ! Il n'est donc pas étonnant que Lucien et ses camarades demeurent nuit et jour sur le qui-vive. Suite à une dénonciation, des amis du couple, René Schmitt et Robert Clor sont arrêtés. Avec une chance inouïe, Lucien Goetz parvient à se sauver. Prévenu par Germaine, il saute par la fenêtre et court vers la forêt. Une voisine lui apportera des vêtements et un vélo. Son épouse doit remettre le poste émetteur, et elle comprend dans une conversation entre Gestapistes (en allemand) qu'ils viendront l'arrêter le lendemain, puisque dans un premier temps ils ont trouvé ce qu'ils voulaient. Suite à cette alerte, le couple Goetz rejoint le Maquis de la Vallée d'Azergues. A Lamure-sur-Azergues, Lucien est incorporé dans le bataillon F.T.P. du 14 juillet. Avec cette unité, il participe à la libération de Lyon puis, amalgamé dans la 1ere Armée Française, à celle de l'Alsace (Belfort-Thann) avec le 20e Bataillon de choc.

Alphonse Woehrlé

Né le 1er décembre 1897 à Éguisheim, Alphonse Woehrlé est Alsacien de souche. Déserteur de l'armée allemande en 1915, il a été jugé puis condamné à mort par contumace. Installé à Lyon, il a repris en 1928 le fonds de commerce de son patron, 156 rue de Créqui. Toujours à la même adresse en 1939, il exploite avec son épouse une charcuterie-comptoir-épicerie pour la fabrication et la vente à emporter ou à consommer sur place de spécialités alsaciennes. Au moment de la débâcle, il accueille nombre d'Alsaciens qui, ne voulant pas retourner au pays, sont dans l'attente d'un hébergement à Lyon. Jusqu'en juin 1942, époque où les frontières suisses et la crête des Vosges sont bouclées, il loge avec son épouse des évadés ou des jeunes Malgré-nous, incorporés contre leur gré dans la Wehrmacht. Il brûle leur uniforme dans la chaudière de son local. Après l'invasion de la zone (dite) libre le 11 novembre 1942 par les Allemands, Paul Hirlemann, Robert Clor, Charles Ingold et Léon Muller transforment, avec son plein accord, le lieu en un dépôt de documents, d'armes, de postes émetteurs et de matériel clandestin. Dans la cuisine et la salle à manger de son établissement, des agents codent ou décodent, tandis que d'autres sont dans l'attente de liaisons à effectuer, ou que d'autres, encore, dépannent du matériel ou prennent du repos. Alphonse Woehrlé est décédé à Lyon le 9 juillet 1968.

Maria Woehrlé

Née Helderlé à Colmar le 28 novembre 1905, Maria Woehrlé agit dans la clandestinité aux côtés de son mari. Leur établissement sert de centre de rencontre à des agents de la Résistance, originaires d'Alsace. Aux voisins intrigués par les nombreuses allées et venues de jeunes hommes, en remplacement d'une clientèle sans cesse en baisse, elle affirme qu'il s'agit là de jeunes gens de son village d'Alsace, sans famille en zone sud et heureux de pouvoir trouver un lieu de rencontre. Agent de la Résistance, elle oeuvre, comme son mari, dans le cadre du Réseau Amarante. Elle rend visite à des Alsaciens internés à la prison Montluc de Lyon pour récupérer leur linge sale, renfermant des messages. Maria Woehrlé est décédée à Lyon le 3 juin 1995.

Réseaux

Réponse à des besoins immédiats, le plus souvent militaires, les Réseaux sont orientés vers l'action. Ils travaillent soit pour les Services de renseignements de la France libre (qui se transforme en France combattante), soit pour les Services secrets britanniques ou américains. Les Réseaux renseignent sur les effectifs, l'armement, la situation ou le mouvement des troupes allemandes, l'activité des usines et des arsenaux... Certains prennent en charge les évasions ou l'acheminement de personnes désireuses de gagner Londres ou l'Afrique du Nord (soldats britanniques bloqués en France pendant la débâcle, aviateurs tombés sur le sol français avec leur appareil, volontaires pour les services de la France libre, personnalités, prisonniers de guerre évadés). D'autres encore effectuent des sabotages pour éviter des bombardements coûteux en vies humaines. Organisation de renseignement créée à l'initiative du B.C.R.A., le Réseau Électre-Bouleau est homologué aux Réseaux renseignements et évasion des Forces françaises combattantes à compter du 1er juin 1942.

B.C.R.A. - BUREAU CENTRAL DE RENSEIGNEMENT ET D'ACTION

En juin 1940, le général de Gaulle forme à Londres un embryon de Service de renseignements des Forces françaises libres (F.F.L.) dont il confie la direction au capitaine Dewavrin (alias Passy). Le Bureau central de renseignement et d'action (B.C.R.A.) remplace en août 1942 le Bureau central de renseignement de l'action militaire (B.C.R.A.M.). Il prend en charge l'action politique en France. Les liaisons entre le B.C.R.A. et les Réseaux qu'il a organisés en France s'effectuent par radio, parachutages ou courriers transmis par la Suisse, l'Espagne ou le Portugal, et le plus souvent par avion. En 1943 à Alger, le B.C.R.A. devient la Direction générale des Services secrets (D.G.S.S.), avec Jacques Soustelle à sa tête.

Radio

Chaque jour, la B.B.C. accorde quelques minutes de ses émissions aux résistants des différents pays occupés. L'émission Les Français parlent aux Français donne quelquefois la parole au général de Gaulle. Sa prise de parole est alors annoncée par la formule : Honneur et Patrie, voici le général de Gaulle !. La B.B.C. égrène, avec des formules codées, des messages personnels dont la véritable signification n'est connue que des seuls destinataires : arrivée d'un résistant à bon port, annonce d'un parachutage... Le trafic radio en France occupée ne peut être que clandestin. Les Réseaux gèrent le renseignement au moyen de postes émetteurs et récepteurs, parachutés d'Angleterre. Les émissions radio se déroulent de préférence en ville pour éviter un repérage trop rapide par les appareils allemands de goniométrie qui, par triangulation, localisent les emplacements des postes clandestins. A l'heure convenue, l'opérateur radio entre en contact avec son correspondant au moyen d'un langage chiffré à l'aide d'un code.

Faux papiers

La police du gouvernement de Vichy et la Gestapo ont des listes noires. Les juifs, les résistants et les réfractaires au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) sont obligés de vivre dans la clandestinité complète. Toutes ces personnes traquées doivent se refaire une identité. Des complicités dans les préfectures, mairies et commissariats de police permettent à des faussaires de la Résistance de récupérer des exemplaires vierges de papiers officiels et les tampons pour leur authentification. Le lieu de naissance indiqué est souvent une ville bombardée où les archives d'état civil ont été entièrement détruites. Après le débarquement allié de novembre 1942, le choix des identités se porte souvent sur une ville d'Afrique du Nord, où toute vérification est désormais impossible. Certains maires résistants ajoutent une naissance au bas d'une page de registre d'état civil ou repèrent les noms de disparus ou morts en bas âge (nés dans leur commune) dont l'âge correspond à peu près à celui du demandeur.   

Agent de liaison

Les moyens de communication que sont les Postes, le téléphone et le télégraphe étant étroitement surveillés par les Allemands et les agents de la collaboration, les mouvements et Réseaux - pour faire face à cette situation - ont recours à des porteurs de messages qui se déplacent en train, à bicyclette ou à pied. Par précaution, ces agents de liaison ne connaissent en principe ni l'expéditeur, ni le destinataire des messages. Les plis sont déposés dans une boite à lettres qui peut être soit un boîtier placé dans le hall d'entrée d'un immeuble, soit le domicile d'une personne volontaire. Les femmes sont beaucoup utilisées pour ces missions car, moins suspectées, elles sont moins fouillées. Les agents des Réseaux sont immatriculés en France et en Angleterre. Ils sont classés par catégories (P2, P1 et P0) :
Les agents P2 signent un engagement jusqu'à la fin des hostilités. Ils sont à la disposition permanente et complète du Réseau. A ce titre, ils touchent une solde correspondant à leur grade ;
Les agents P1 donnent une aide régulière, tout en conservant leur activité professionnelle. Ils reçoivent des indemnités ;
Les agents P0 sont des agents occasionnels.

Courrier

Les informations à destination des Forces françaises libres ou des Britanniques ne peuvent pas toujours être transmises par la voie des ondes (plans, photos et rapports). Des agents de liaison ont la responsabilité de transporter des documents à l'intérieur du territoire, mais aussi au-delà des frontières. Ces missions les conduisent à franchir la ligne de démarcation, les voies d'eau, les montagnes. Des avions atterrissent de nuit sur des terrains clandestins pour acheminer ou ramener des agents munis de sacs de documents. 

Boite à lettre

Pendant l'Occupation, l'expression boite à lettres désigne soit un boîtier, situé dans un hall d'entrée d'immeuble et portant un nom imaginaire, soit une personne disposant d'un local (appartement discret, bistrot, magasin très fréquenté.) qui, volontairement, le met à disposition de l'action clandestine.

 

Le Maquis du Hohlandsbourg

René Furstoss

En route pour le maquis

En octobre 1944, j'ai reçu mon ordre d'appel pour être incorporé dans l'armée allemande, mais j'ai refusé de me soumettre à la Wehrmacht. Et au lieu de partir, j'ai contacté Aloyse Koch (père) le soir de mon mariage, le 16 octobre 1944, par l'intermédiaire de mon ami Raymond Sontag, le frère d'Auguste. Je voulais convenir avec lui d'un rendez-vous afin de rejoindre le groupe de maquisards réfugiés dans la forêt.

Le 18 octobre 1944 à 4 heures du matin, après une courte nuit passée chez une de ses tantes, Mme Kannengieser à Wintzenheim, je me sépare de mon épouse avec la promesse et l'espoir de nous retrouver bientôt.

Chargé de mon sac à dos bourré de victuailles, avec par dessus un carton de 5 kilogrammes de pâtes, armé d'un pistolet 08 allemand provenant de la collection de Raymond Sontag, et de munitions que m'avait procurées mon beau-frère Paul, je me présente au rendez-vous fixé au lieu-dit Baerenthal. J'y retrouve Aloyse Koch qui me remet une carabine allemande, son fils Marcel, Jules Miclo, Pierre Straehli, Paul Arnold et trois jeunes Ukrainiennes (Alexandra 18 ans, sa sœur Nina 16 ans, et Valentina 18 ans) qui s'étaient échappées de l'usine Daimler-Benz G.m.b.H., rue du Grillenbreit à Colmar où elles travaillaient de force depuis le 20 septembre 1943.

Chargé comme un mulet, je me fonds dans le groupe, et nous prenons des raccourcis pour monter en direction du Hohlandsbourg. Le trajet est pénible. Arrivés près du château, nous empruntons un sentier en direction du sud-ouest, puis un chemin conduisant à une châtaigneraie. Après avoir gravi un raidillon, nous arrivons près d'un contrefort où se trouve notre bunker.

Le bunker

Il s'agit d'une casemate allemande, vestige de la guerre de 1914-18, à 632 mètres d'altitude, située entre le Hohlandsbourg et le Stauffen, à environ 1h30 de marche du village. Elle est déjà sommairement aménagée. La tranchée, menant à l'entrée fermée par une porte rudimentaire en bois, est débroussaillée. Dans un angle, quelques moellons de granit forment un foyer pour la popote. A l'intérieur, une pièce unique fait 7 mètres sur 3, avec un plafond voûté haut de 2,50 mètres environ. Adossée au mur, une estrade faite de petits troncs d'arbres est couverte de branches de sapins : ce sera notre couche. En guise de porte-manteaux : des clous. Un banc nous sert à la fois de table et de siège. Pour limiter les courants d'air, la sortie de la casemate est camouflée et fermée par des pierres et des branches.

Je me souviens de la première nuit, passée sous la même couverture avec Alexandra, qui se blottit contre moi, grelottante de froid. Elle ne me raconte ni la Place Rouge, ni le café Chez Pouchkine, mais pendant des heures, elle me parle de Victor Hugo, de Racine, de Chaliapine.

Début des années 2000, René Furstoss fait visiter le bunker à son ami Lucien Brenner

Survivre dans la forêt

Restant toujours sur nos gardes, nous partons chaque jour dans la forêt, par petits groupes, ramasser des champignons et des châtaignes que nous cuisine notre camarade Jules Miclo. Des tentatives de chasse restent vaines. Par contre, la corvée de bois doit être assurée quotidiennement, de même que l'approvisionnement en eau à l’Eberschebrennla, dont le débit est très faible. Les jeunes filles en profitent pour se rafraîchir. Chercher de l'eau nécessite une bonne heure de marche à travers la forêt. Le ravitaillement en vivres est assuré par des camarades qui descendent au village deux fois par semaine. Marcel Vogel, qui loge dans un bunker voisin, descend chez des amis de Wettolsheim, chez le garde forestier Keller à Saint-Gilles, ou chez Charles Burghart où il récupère des denrées et du linge de rechange que lui déposent là-bas ses parents. Marcel vit dans la forêt depuis début septembre.

Un jour, en compagnie de deux camarades, je rends visite aux occupants du bunker voisin, situé en amont, dans une futaie à environ 500 mètres au sud du nôtre. Dans cette casemate, qui avait été aménagée par le garde forestier Keller, se réfugient les frères Marcel et Paul Vogel, Alfred Geissler et René Schee, tous de Colmar. Je suis frappé par la carrure de Marcel. Avec sa mitraillette à l'épaule et son regard aux aguets, il est le type même du partisan. Quelques jours plus tard, il me sauvera la vie.

Durant ce séjour dans la forêt, je descends une seule fois au village, un samedi soir, pour rejoindre mon épouse. L'oncle et la tante ont la délicate attention de nous laisser leur logement. Cette nuit là, ils dorment ailleurs avec leurs trois enfants. La prudence est de règle. Le lendemain matin, vers 4 heures, nous nous disons un au revoir que nous mettons tacitement entre les mains du destin. 

Quelques mètres après la synagogue, une ombre surgit :
Halt ! Was machen sie hier ?
Ich gehe Käse holen in den Vogesen.
Gut.

Il s'agit d'une sentinelle allemande, mais probablement pas de la pire espèce. J'avais mon 08 armé dans la poche, mais son utilisation en plein village aurait déclenché une alerte générale, et m'aurait été fatale, et sans doute aussi pour d'autres. Je rejoins mes camarades au Baerenthal, puis ceux restés au bunker.

Et soudain, c'est le drame

Extrait du Kolmarer Kurier du 7 novembre 1944

Tout va pour le mieux jusqu'au jour où des camarades, remontant du village, nous apprennent qu'un ressortissant d'origine allemande s'est vanté à l'épicerie Stoll d'avoir découvert un refuge de partisans près du Hohlandsbourg et qu'il allait faire le nécessaire pour qu'ils soient dénichés. Un membre de notre groupe veut descendre sur-le-champ au village pour régler son compte à l'individu. Nous arrivons à l'en dissuader, car un tel acte en plein village pouvait entraîner des représailles sur la population. Il est décidé de le supprimer dans la forêt, à la première occasion qui se présentera. C'est ce qui se produit le vendredi 27 octobre 1944. L'homme est abattu par un maquisard et aussitôt enterré dans la forêt.Le lendemain, la Landwache (garde territoriale) avec une vingtaine d'hommes, effectue une battue mais elle rentre bredouille. Il faut dire que la battue s'est arrêtée juste avant de pénétrer dans le périmètre où se trouvent les bunkers. Le 30 octobre 1944, deux gendarmes, Karl Marquardt, le chef du poste de gendarmerie de Wintzenheim et Willi Höhn un gendarme de Turckheim, guidés par la fille de l'individu, se rendent dans la montagne. Au bunker, ils arrêtent trois maquisards et une femme russe tandis qu'Aloyse et Marcel Koch, Henri Eichholtzer, et cinq autres parviennent à s'échapper. On apprend la suite par le journal.En effet, le 21 novembre 1944, alors que les troupes françaises libératrices entrent à Mulhouse, le Kolmarer Kurier publie un long communiqué sur l'affaire des deux gendarmes tués, ce qui est tout à fait inhabituel. Il tend à faire passer les faits pour un vulgaire meurtre ayant pour mobile le vol. Une récompense est offerte (10.000 marks) pour chaque meurtrier arrêté. Cette énorme récompense n'a cependant tenté aucun Alsacien : Une grande récompense est offerte pour la découverte des meurtriers de deux gendarmes de Wintzenheim.

Dans l'après-midi du 30 octobre 1944, deux fonctionnaires de la Gendarmerie, au moment de l'arrestation de quatre personnes dans la forêt de Wintzenheim, arrondissement de Colmar, ont été assassinés par des coups tirés d'une mitraillette calibre 9mm, et dévalisés. Trois coupables sont en fuite, un a pu être arrêté (il s'agit de Nina, l'une des Ukrainiennes). Signalement des coupables :

1) Miclo Jules, célibataire, ouvrier d'usine, né le 26.1.1916 à Guémar, arrondissement de Ribeauvillé, taille 1,70 m, svelte, cheveux châtain, parle le dialecte alsacien, vêtu d'un pantalon de golf brun, vareuse brun-clair, feutre brun, bas de sport vert foncé, chaussures brunes sans tiges, pardessus beige avec ceinture.

2) Furstoss René, marié, employé de bureau, né le 27.4.1922 à Roppentzwiller, arrondissement d'Altkirch, taille 1,75 m, svelte, cheveux blond foncé, parle le dialecte alsacien, porte un pantalon de golf verdâtre, veste brun clair, casquette à visière bleu foncé et chaussures noires à tiges.

René Furstoss après la guerre. Il est décédé à Wintzenheim le 6 août 2004

3) Prénom présumé Paul, à peu près 20 ans, taille 1,65 m, svelte, porteur de lunettes, cheveux blond foncé, parle le dialecte alsacien, vêtu d'un pantalon sombre rayé, veste de pluie verdâtre, sans couvre-chef.

Ont été volés :
1) un pistolet 08 N° 9145 et 2 chargeurs avec à peu près 20 balles,
2) une carabine polonaise N° 1084K avec environ 30 cartouches
3) une montre homme-réveil matin en métal blanc, de taille passablement grande, cadran blanc avec chiffres arabes en noir de 1 à 12, aiguille à secondes, au verso couvercle à ressort muni d'un remontoir à clef.
4) Un porte-monnaie en cuir brun foncé avec 2 compartiments intérieurs, fermeture avec bouton pression ; contenu : un billet de 20 RM et quelques petits billets.
5) Une trousse avec une clef d'appartement, une clef pour table de bureau et une petite clef.

Pour la coopération à la découverte et à l'arrestation des coupables, une récompense se montant à 10.000 RM par coupable est offerte. Cette récompense est uniquement destinée à la population et non aux fonctionnaires dont la répression d'actes punissables est dictée de par leur devoir professionnel. La répartition de la récompense sera faite hors procédure légale. Les indications y afférentes qui, sur demande, seront traitées confidentiellement, sont à faire à la Police criminelle Mulhouse/Alsace - Commission de Meurte, ou à n'importe quel autre bureau de police.

Cet avis de recherche comporte plusieurs erreurs. Le signalement des partisans recherchés a probablement été fourni à la Police par la fille de l'individu, qui accompagnait les deux gendarmes pour les mener au bunker. Elle connaissait René Furstoss pour l'avoir déjà croisé au village. Par contre, Jules Miclo n'était plus au bunker le jour du drame. Elle voulait probablement désigner Marcel Vogel qui avait été menotté à son frère Paul après leur arrestation au bunker. Et c'est eux qui, au cours de la descente vers le Saint-Gilles et à la faveur d'une bousculade, ont réussi à s'emparer d'un pistolet mitrailleur et à neutraliser les deux gendarmes avec le concours de René Furstoss. Toujours est-il que les trois maquisards ont réussi à prendre la fuite. Ils se sont réfugiés au presbytère de Zimmerbach, avec d'autres évadés et réfractaires cachés par l'abbé Vuillemin. C'est là que René Furstoss apprend que, suite à cette affaire, sa mère et son épouse ont été arrêtées et incarcérées à la prison de Colmar.

Il s'agit de Karl Marquardt, Meister der Gendarmerie, né le 18 octobre 1893 à Leopoldshafen Kreis Karsruhe, et Willi Höhn, Bezirksoberwachtmeister, né le 26 novembre 1889 à Mönchröden Kreis Coburg. Leur acte de décès précise qu'ils sont morts le 30 octobre 1944 à 16h30 à Wintzenheim, dans la forêt (Flur 85/1 Abteilung VII Eichwald). Todesursache : ist bei einem Dienstgang durch Unbekannte erschossen worden (cause de la mort : fut abattu lors d'une ronde dans l'exercice de ses fonctions).

Voici les photos des trois Ukrainiennes qui ont partagé le campement des maquisards du Hohlandsbourg



02/03/2013
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