histoire-de-resistance-blog4ever-com

LA RÉSISTANCE EN ALLEMAGNE 3e partie

L’orchestre Rouge

Arvid et Mildred Harnack

Au début des années 30 se formèrent des cercles de résistance autour du conseiller supérieur du gouvernement et scientifique Arvid Harnack et du lieutenant Harro Schulze-Boysen, employé au ministère de l'aéronautique. Ces deux cercles, qui rassemblaient une centaine d'opposants au régime nazi, se rejoignirent à la fin des années 30, et formèrent ainsi l'Organisation Harnack / Schulze-Boysen, qui fut nommée par la Gestapo l'Orchestre Rouge (Rote Kapelle). 

Harros et Liberta Schulza-Boysen

Les membres de cette organisation, unis par leur volonté de mettre fin au régime nazi et à la guerre, venaient d'horizons divers et de couches sociales différentes. Leurs activités étaient multiples. Pour attirer l'attention de la population allemande sur le caractère criminel du régime nazi, ils écrivirent de nombreux tracts et les distribuèrent. Grâce à la diversité de ses membres, le groupe put se procurer maintes informations sur les crimes et les projets du régime nazi, dont il voulait faire part à la population.

Mais le travail de résistance de ce groupe ne se limitait pas aux tracts et aux affiches. Lorsque les résistants apprirent le projet nazi de conquérir l'Europe, ils en avertirent les pays menacés. Ils informèrent entre autres l'Union soviétique de l'attaque imminente de la Wehrmacht, mais ils ne furent pas pris au sérieux. A partir de la fin de l'année 1941, ils coopérèrent avec les bureaux des renseignements soviétiques à Paris et à Bruxelles, sans pour autant devenir des agents soviétiques et perdre leur indépendance, comme les autorités nazies l'ont prétendu par la suite. L'organisation souhaitait plutôt œuvrer pour une Allemagne socialiste mais souveraine.

Le travail du groupe consista alors à rassembler des informations, à rédiger des tracts, à les reproduire et à établir le contact avec d'autres groupes de résistance à Berlin, à Hambourg, en Allemagne centrale et en Bavière. Le groupe réussit ainsi à élargir la zone de distribution de ses tracts, et parvint même à en envoyer aux soldats du front. Pendant l'hiver 1942, il entra en contact avec le groupe de résistance La Rose Blanche à Munich par l'intermédiaire du frère d'Arvid Harnack, Falk Harnack, qui rencontra des membres de ce groupe.

Outre le travail visant à informer la population allemande des crimes commis par le régime nazi, en particulier dans les territoires occupés à l'Est, l'organisation œuvrait de toutes ses forces pour la défaite militaire de l'Allemagne nazie. Dans ce but, ils transmirent des secrets militaires à l'URSS par radio, à l'aide d'émetteurs fournis par les renseignements soviétiques. Les transmissions présentaient un grand risque, et les résistants devaient toujours changer très rapidement de lieu d'émission pour ne pas être découverts par la Gestapo. La maintenance et la réparation des émetteurs-radio posaient de grands problèmes. Les membres du groupe organisèrent des rencontres avec des agents parachutistes soviétiques qui pouvaient alors effectuer les réparations les plus compliquées.

A la fin de l'année 1942, l'organisation fut démantelée par la Gestapo, et 119 personnes furent arrêtées. 50 personnes furent condamnées à mort et exécutées.

Le groupe de résistance La Rose Blanche fut fondé au printemps 1942, à l'université de Munich, par Hans Scholl et Alexander Schmorell.

Alexander Schmorell

Hans et Sophie Scholl, Christoph Probst

Les jeunes étudiants refusaient d'accepter le totalitarisme dans lequel avait sombré l'Allemagne, et voulaient sauvegarder leur indépendance d'esprit face au nihilisme intellectuel que représentait le nazisme. Ils parlèrent de la situation politique avec Kurt Huber, professeur à l'université de Munich, réputé pour ses cours de philosophie qui impressionnaient et influençaient beaucoup les étudiants. Kurt Huber les encouragea à résister et devint le mentor de la Rose Blanche.

Révoltés par  la dictature hitlérienne et les souffrances causées par la guerre, les étudiants se décidèrent à agir pendant l'été 1942. Hans Scholl et Alexander Schmorell rédigèrent les quatre premiers tracts ; ils les envoyèrent par la poste de la fin du mois de juin à la mi-juillet à des destinataires soigneusement choisis à Munich, principalement des intellectuels. Les étudiants se référèrent dans leurs tracts à d'éminents penseurs et écrivains comme Schiller, Goethe, Novalis, mais aussi Lao Tseu, Aristote, et citèrent également la Bible. Les destinataires de ces tracts, pour la plupart écrivains, professeurs d'université, directeurs d'établissements scolaires, libraires et médecins de Munich et de ses environs, étaient censés reproduire les tracts et les envoyer au plus grand nombre possible de gens. 

En juillet 1942, Hans Scholl, Alexander Schmorell et Willi Graf furent incorporés dans la Wehrmacht en tant qu'étudiants en médecine,  pour servir comme infirmiers au front de l'Est ; ils furent envoyés en URSS pour trois mois. De retour en Allemagne, ils prirent contact avec d'autres groupes de résistance. Hans Scholl et Alexander Schmorell se mirent ainsi en relation avec Falk Harnack, le frère d’Arvid Harnack, l'un des dirigeants de l'organisation Harnack-Schulze-Boysen. Pendant l'hiver 1942-1943,  lorsque la bataille de Stalingrad atteignit son paroxysme, les étudiants rédigèrent avec leur professeur Kurt Huber le cinquième tract de la Rose Blanche. Des milliers d'exemplaires furent imprimés et distribués non seulement à Munich, mais aussi à Augsbourg, Francfort, Stuttgart, Salzburg, Linz et Vienne.

Les étudiants écrivirent sur les murs des slogans pacifistes et antifascistes, collectèrent du pain pour des détenus de camps de concentrations et s'occupèrent de leurs familles. Les actions de la Rose Blanche furent prises en exemple à partir de janvier 1943 par des intellectuels du sud de l'Allemagne et de Berlin. Leurs tracts furent également recopiés et distribués à Hambourg par un groupe de jeunes gens en contact avec la Rose Blanche, qui s'était constitué autour de Hans Konrad Leipelt, étudiant en chimie. En février 1943, après la défaite de Stalingrad, Kurt Huber rédigea le sixième tract. Il fut imprimé à plus de 2 000 exemplaires, distribué et envoyé par la poste. Le 18 février 1943, Hans Scholl et sa sœur Sophie lancèrent des centaines de tracts dans la cour intérieure de l'université de Munich ; le concierge les arrêta et les livra à la Gestapo. Ils furent condamnés à mort, car leurs appels au ressaisissement éthique des consciences allemandes furent considérés par les nazis comme un crime politique majeur. Le réseau de Hambourg fut lui aussi démantelé par la Gestapo à l'automne 1943. Hans et Sophie Scholl, ainsi que Christoph Probst, un autre membre du groupe, furent guillotinés le jour même de leur condamnation, le 22 février 1943 ; d'autres résistants, Alexander Schmorell, Willi Graf et le Professeur Kurt Huber furent exécutés quelques mois plus tard. Dix autres membres de la Rose Blanche furent assassinés les années suivantes, dont huit à Hambourg. 80 personnes furent arrêtées dans le sud de l'Allemagne, et 50 personnes dans la région de Hambourg ; elles furent condamnées à des peines de prison allant jusqu'à cinq ans, pour avoir été en contact avec la Rose Blanche.

Le cercle de Kreisau

Le cercle de Kreisau était un cercle de discussion et de réflexion constitué d'amis unis par le rejet du régime hitlérien et soudé par la volonté de préparer le renouveau de l'Allemagne post-hitlérienne. Il comptait, de 1938 (depuis la crise des Sudètes) jusqu'à l'attentat du 20 juillet 1944, vingt membres actifs et environ vingt sympathisants. Son nom de cercle de Kreisau, qui lui a d'ailleurs été assigné par la Gestapo, se réfère au lieu de rencontre du cercle de discussion, le domaine de la famille von Moltke, situé à Kreisau, en Silésie, où se sont réunis de 1940 à 1943, pour réfléchir aux mesures à prendre contre le régime nazi et à une nouvelle Allemagne après la dictature, des fonctionnaires, des ecclésiastiques des deux confessions chrétiennes, des officiers ainsi que des politiciens sociaux-démocrates et conservateurs. Une grande partie des membres du cercle avait appartenu à des mouvements de jeunesse qui mettaient l'accent sur le dialogue entre les générations et les différentes couches sociales, en organisant des camps et des activités en plein air qui permettaient aux enfants de fréquenter des gens de tous les milieux et de tous les âges. Cette expérience a donné à ce cercle son profil caractéristique, qui consistait en la consultation mutuelle de personnes issues d'horizons divers, en un échange alliant expérience et idées progressistes.

Helmut James Graf von Moltke

Le cercle a été créé par Helmut James Graf von Moltke, petit-neveu du Feld-maréchal du XIXe siècle. Sa mère étant originaire d'Afrique du Sud, il a reçu une éducation de tradition britannique. Il s'est intéressé très tôt, pendant sa jeunesse passée à Berlin, à des problèmes sociaux, ce qui lui a valu le surnom de comte rouge. Il s'est engagé entre autres dans les camps de travail volontaires en Silésie, sensés ouvrir le dialogue entre les différentes couches sociales et les générations. Von Moltke fit des études de droit, mais refusa après la prise du pouvoir d’Hitler en 1933 un poste de juge, préférant être actif en tant qu'avocat et essayer d'agir contre l'injustice et les jugements arbitraires, en offrant son aide juridique à ses amis et connaissances juifs. Sa mère l'incita à aller en Angleterre pour entrer en contact avec des amis de sa famille, et il y passa des examens qui lui permirent d'ouvrir un cabinet d'avocat en Angleterre et de conserver ainsi des contacts dans le monde libre.

Von Moltke, qui n'hésitait pas à énoncer ses critiques ouvertement, condamna dès le début l'ascension et la prise du pouvoir d’Hitler. Le régime nazi allait à l'encontre de sa vision du monde humaniste fondée sur l'éthique chrétienne, et déjà avant la prise de pouvoir d’Hitler en 1933, il mit son entourage en garde contre le NSDAP et Hitler, étant persuadé que celui-ci, s'il était au pouvoir, représenterait un danger de guerre immédiat. Très tôt, il fut au courant des crimes commis par le régime nazi en Pologne, envers les prisonniers de guerre et les juifs en Europe. En octobre 1942, il apprit l'existence des fourneaux SS où étaient traitées 6 000 personnes par jour. Von Moltke fut arrêté au début de l'année 1944, condamné à mort le 11 janvier 1945 et exécuté le 23 janvier 1945.

Peter Graf Yorck von Wartenburg

Au début de l'année 1940, une autre personnalité, qui elle aussi allait énormément déterminer le travail et les objectifs que le cercle se fixait, se joignit au cercle de Kreisau : Peter Graf Yorck von Wartenburg, un cousin lointain de von Moltke, qui avait également fondé en 1938 un groupe de résistance. Haut fonctionnaire de l'État depuis 1938, il portait lui aussi un grand nom de l'histoire allemande, lié à la fin de l'occupation napoléonienne et au rapprochement germano-russe. Au début, le jeune juriste vit dans le national-socialisme une chance pour surmonter l'humiliation du peuple allemand après la défaite de 1918. Mais avec le temps, il s'en détourna de plus en plus, la violence, l'injustice et le traitement de la population juive lui ayant ouvert les yeux sur le véritable visage de l'idéologie nazie. 

En 1938, il se mit alors à la recherche de gens partageant ses idées. C'est au printemps 1940 que Yorck et von Moltke se revirent lors d'une rencontre familiale, et qu'ils échangèrent leurs avis et préoccupations. Par la suite, ils firent connaissance de leurs cercles d'amis respectifs, ce qui fit s'agrandir entre 1940 et l'automne 1941 le cercle de Kreisau. C'est dans la maison de Peter Graf Yorck von Wartenburg à Berlin-Lichterfelde qu'eurent lieu la plus grande partie des rencontres de discussion. En 1942, il fut incorporé dans la Wehrmacht, ce qui lui permit de fortifier et d'élargir ses contacts avec des opposants du régime au sein de l'appareil militaire. A la suite de l'arrestation de von Moltke en janvier 1944, il proposa ses services à Claus Schenk Graf von Stauffenberg pour la préparation et l'exécution du putsch du 20 juillet 1944. Il fut arrêté pendant la nuit du 20 au 21 juillet, quelques heures après l'attentat, et fut exécuté le 8 août 1944.

En 1938, les résistants comprirent qu'il serait illusoire de tenter un putsch contre Hitler, étant donné qu'une grande partie de la population soutenait le dictateur après l'Anschluß et l'annexion des Sudètes. Ils se rassemblèrent alors pour essayer de concrétiser un renouveau de l'Allemagne, et prirent contact avec des spécialistes divers pour discuter les fondements d'une nouvelle Allemagne post-hitlérienne.

Le lien qui unissait les membres du cercle était le refus du régime national-socialiste et la protestation - motivée pour la plupart des résistants par l'éthique chrétienne - contre les crimes de ce régime et la guerre, beaucoup d'entre eux ayant fait l'expérience douloureuse de la Première Guerre Mondiale. Mais l'on ne peut pas dire qu'il s'agissait d'un cercle religieux. Certes, les valeurs chrétiennes étaient pour la plupart des membres du cercle une base fondamentale de discussion, mais ce sont surtout des thèmes étatiques, économiques et culturels qui prévalaient dans les débats. Ce groupe n'était pas pour autant un cercle d'intellectuels sans relation avec la pratique, car tous les membres étaient confrontés dans leur vie professionnelle et dans leurs engagements personnels aux réalités de l'existence et faisaient preuve de réalisme.

Les membres du cercle de Kreisau se représentaient l'Allemagne post-hitlérienne comme un État démocratique et civil, un État de droit assurant le respect des droits de l'homme. Le droit au travail et la socialisation du secteur économique étaient deux autres principes fondamentaux pour le nouvel État, dans lequel la propriété privée serait protégée, mais où les unités de production les plus importantes seraient pour le bien commun entre les mains de l'État. Les citoyens, et c'est là que réside l'aspect le plus moderne du "programme" du cercle de Kreisau, devaient pouvoir bénéficier de libertés et d'une large responsabilité dans la nouvelle Allemagne. Celle-ci, débarrassée du modèle du Deuxième Reich d'un État autoritaire, devait être reconstituée à partir de la base, c'est à dire que l'État devait reposer sur des petites communautés bénéficiant d'une autonomie administrative. Cet aspect dénote la méfiance conservatrice à l'égard des sociétés de masse modernes. Mais ceci ne représentait en aucun cas un repli sur soi. Le cercle de Kreisau, qui défendait des valeurs humaines, s'opposait à ce que l'Etat soit dominé par l'économie, et souhaitait que la nouvelle Allemagne soit ouverte au monde occidental, dans la perspective d'une union européenne.

Mais avant tout, l'État allemand devait être renouvelé de manière démocratique en commençant par la base. Von Moltke et Yorck savaient que les Allemands auraient besoin d'une éducation pour apprendre à faire bon usage de leur nouvelle liberté, dont ils avaient été démunis pendant plus d'une décennie. Ceci ne pouvait selon eux se réaliser sans les principes éthiques chrétiens. C'est pour cette raison que le cercle n'était pas en faveur d'une séparation stricte de l'Église et de l'État, parce que les Églises catholique comme protestante devraient être ancrées dans une société œcuménique et y agir en tant qu'instances politiques et morales. Le citoyen serait alors en mesure de s'épanouir et de découvrir ainsi par lui-même l'ordre naturel, puis d'œuvrer vers sa réalisation dans la société. Pour réaliser ce renouveau de la société et de l'État à partir du bas, les membres du cercle voulaient transformer l'appareil administratif anonyme et oppressant en une administration plus immédiate et concrète, permettant le maximum d'autarcie aux plus petites unités locales ainsi reliées dans un système démocratique et extrêmement décentralisé.

Une autre revendication essentielle du cercle de Kreisau était la sécurité juridique, donc le rétablissement d'un État de Droit, qui garantirait la liberté de conscience, la tolérance et le respect envers les peuples d'Europe. Sans la constitution d'un État de Droit, aucune politique extérieure ne serait possible. Les crimes commis par les nazis au nom du peuple allemand seraient à punir sans laisser valoir l'excuse d'avoir eu à obéir à un ordre. Ceux qui avaient donné des ordres blessant le Droit naturel et le Droit International Public seraient à inculper en premier lieu. L'Allemagne devrait porter la responsabilité des crimes commis contre les peuples européens, mais les poursuites judiciaires devraient être du ressort d'une nouvelle justice allemande. Le cercle concevait un Droit International Public des Peuples du Monde comme fondement d'une nouvelle communauté internationale des peuples, qui serait alors empreinte d'une nouvelle autorité morale et juridique. Le projet prévoyait la constitution d'un tribunal international de guerre constitué des vainqueurs, de deux représentants de pays neutres et d'un juge du pays vaincu. L'idée était de créer ainsi le règne du Droit parmi les peuples du monde entier.

Le cercle de Kreisau à tenté d'établir, par l'intermédiaire de ses différents membres, un contact avec d'autres groupes de résistance, comme le groupe qui s'était constitué autour de Franz Sperr au sud de l'Allemagne et qui était en contact avec de hauts officiers, ou encore avec un groupe de leaders travaillistes catholiques de Cologne, et avec le cercle de Fribourg. Malgré tous les efforts pour établir le contact avec la Rose Blanche à Munich, ceci n'a pas pu se réaliser avant l'arrestation de ce groupe. Le cercle avait également des contacts avec des communistes modérés non staliniens. A partir de 1943, divers membres du cercle de Kreisau décidèrent de participer activement à des conspirations et prirent contact avec Ludwig Beck, Carl Friedrich Goerdeler, Ulrich von Hassel et Claus Schenk von Stauffenberg. La plupart des membres du cercle furent inculpés de haute trahison après le putsch échoué du 20 juillet 1944, et furent condamnés à mort.

Les membres principaux du cercle de Kreisau 

Adam von Trott zu Solz
Ce juriste fit des séjours d'études à Oxford et en Chine. Ces séjours à l'étranger, pendant lesquels il fut en contact avec des opposants au régime nazi, l'ont beaucoup marqué. En 1937, il fit la connaissance de von Moltke à Oxford, et en 1940, de Yorck von Wartenburg. La même année, il reçut un poste au ministère des Affaires étrangères, où il commença à prendre contact avec les groupes constitués autour de Hans von Dohnanyi et Dietrich Bonhoeffer. Adam von Trott zu Solz était dans le cercle le spécialiste des Affaires étrangères. Il fut arrêté cinq jours après l'attentat du 20 juillet 1944 et exécuté le 26 août 1944.

Hans-Bernd von Haeften
Juriste, issu d'un milieu empreint du protestantisme libéral, il passa un an d'étude en Angleterre, à Cambridge. Il était lié d'amitié avec Dietrich Bonhoeffer et fut en contact étroit avec Martin Niemöller. Il travailla à partir de 1933 au ministère des Affaires étrangères, dont il devint l'un des plus hauts fonctionnaires, et où il était protégé par le secrétaire d'État von Weizsäcker, personnage-clé de la conspiration menée par von Stauffenberg. Malgré sa fonction de diplomate, il refusa d'adhérer au NSDAP. Proche du cercle de Kreisau, il aurait obtenu le poste du secrétaire d'État au ministère des Affaires étrangères après le putsch du 20 juillet 1944. Il fut condamné à mort et exécuté le 15 août 1944.

 

Julius Leber
Cet ancien parlementaire social-démocrate de la République de Weimar était spécialiste en matière de défense. Le 31 janvier 1933, il fut arrêté pour la première fois, puis libéré grâce aux manifestations de masse organisées pour sa libération. Arrêté de nouveau, il fut interné dans des camps de concentration jusqu'en 1937. A partir de l'automne 1943, il entra en contact avec le cercle de Kreisau par l'intermédiaire de Carlo Mierendorff. Julius Leber, qui fut une figure marquante de la Résistance allemande, faisait également partie du groupe de Goerdeler, et serait devenu après le putsch 20 juillets ministre de l'Intérieur, ou même chancelier du Reich. Dénoncé, il fut arrêté début juillet 1944, avant l'attentat, fut condamné à mort le 20 octobre 1944, puis exécuté le 5 janvier 1945.

Theodor Haubach
Theodor Haubach était l'ami étroit de Carlo Mierendorff, avec lequel il publiait les Neue Blätter für den Sozialismus, auxquelles ont collaboré entre autres le pasteur Harald Poelchau, Adolf Reichwein et Otto Heinrich von der Gablentz. En 1923, Theodor Haubach soutint sa thèse sous la direction du philosophe Karl Jaspers. En 1929, il devint le porte-parole du ministère de l'Intérieur. En 1934, il fut arrêté et interné dans le camp de concentration d'Esterwegen. A partir de l'automne 1942, il fut membre du cercle de Kreisau, qui prévoyait pour lui le poste du porte-parole du gouvernement. Il fut arrêté quelques semaines après l'attentat du 20 juillet 1944 et exécuté le 23 janvier 1945.

Carlo Mierendorff
Membre du SPD et membre du Reichstag à partir de 1930, il fut l'un des derniers à encore oser s'opposer ouvertement au NSDAP et à son chef de propagande Josef Goebbels au Parlement. Après la prise de pouvoir d’Hitler, il fut arrêté, maltraité et emprisonné dans les camps de concentration d'Osthofen, de Lichtenberg, de Papen burg, de Börgermoor, de Torgau et de Buchenwald jusqu'en 1938. Après sa libération, il entra en contact avec le cercle de Kreisau, où il influença largement la discussion sur la politique sociale. Il fut un médiateur entre les catholiques et les socialistes du cercle, et parvint à leur faire surmonter leurs divergences. Mierendorff mourut en décembre 1943 lors d'un bombardement allié à Leipzig.

Adolf Reichwein
Ce social-démocrate et pédagogue réformateur, qui avait perdu en 1933 son poste de professeur d'Histoire et d'Instruction civique à l'Académie pédagogique de Halle, rejoignit le cercle de Kreisau en 1940. Il était prévu par le cercle qu'Adolf Reichwein devienne ministre de l'Éducation et de la Culture après l'attentat du 20 juillet 1944. Il était non seulement en contact avec le cercle de Kreisau, avec le cercle constitué autour de Wilhelm Leuschner et de Julius Leber, depuis l'été 1944 avec l'opposition militaire, mais aussi avec des représentants de groupes de résistance communistes qui s'étaient formés autour d’Anton Saefkow, Franz Jakob et Bernhard Bästlein. En raison de ces contacts, il fut arrêté début juillet 1944 et exécuté le 20 octobre 1944.

 

 

Claus Schenk Graf von Stauffenberg, le lieutenant Fritz-Dietlof Graf von der Schulenburg, le lieutenant von Kleist et le capitaine Axel Freiherr von der Bussche-Streithorst voulaient tuer Hitler le 11 février en faisant exploser une bombe lors d'une présentation d'uniformes dans la Wolfsschanze, le Rempart des loups, le quartier général d'Hitler. Von der Bussche était prêt à dissimuler l'explosif dans la poche agrandie de son pantalon, à déclencher le détonateur et à se jeter sur Hitler pour l'empêcher de fuir jusqu'à l'explosion. Il devait utiliser un détonateur de grenade avec un mécanisme de retardement de 4,5 secondes qui était bruyant, mais il pensait pouvoir couvrir le bruit en faisant semblant de tousser pour s'éclaircir la voix. Il avait également un long couteau caché dans sa botte, au cas où le détonateur ne fonctionne pas. L'attentat échoua, car la présentation d'uniformes ne put avoir lieu, étant donné que le matériel à présenter avait brûlé dans le train qui le transportait lors d'un bombardement allié.

 

Le 11 mars, Claus Schenk Graf von Stauffenberg et son entourage chargèrent le capitaine de cavalerie Eberhard von Breitenbuch de tuer Hitler à coups de feu lors d'une réunion au Obersalzberg, où von Breitenbuch, en tant qu'officier d'ordonnance, avait l'une des rares opportunités de pouvoir approcher le dictateur. Mais l'attentat échoua en raison des mesures de sécurité renforcées : en dernière minute, il fut décidé d'interdire la présence des officiers d'ordonnance.

 

Claus Schenk Graf von Stauffenberg voulait faire un attentat à la bombe contre Hitler dans la Wolfsschanze le 6 juillet, mais ni Hitler ni Göring ne purent venir.

Enfin se présenta l'occasion tant attendue pour l'attentat, et von Stauffenberg fit sauter la bombe dans le quartier général d'Hitler le 20 juillet. Mais Hitler survécut, et les conjurés furent exécutés.

Claus Schenk Graf von Stauffenberg

Le colonel Claus Schenk Graf von Stauffenberg fut le centre de la Résistance au sein du commandement suprême des forces armées après que le général Hans Oster ait été limogé, après le démantèlement du groupe de résistants au sein du contre-espionnage, et après l'envoi de Henning von Tresckow au front de l'Est. Von Stauffenberg fut du 1er juin au 20 juillet 1944 le chef de l'état-major du commandant des troupes de réserve. Il était convaincu que seule la mort d’Hitler pourrait inciter la Wehrmacht à agir. Au début ébloui comme tant d'autres par les succès militaires d’Hitler, ce n'est que pendant la guerre qu'il saisit le caractère criminel de la politique nazie. Blessé grièvement en Afrique, il perdit un œil, la main droite et des doigts de la main gauche, fut transféré à Berlin et y reçut en septembre 1943 un poste de chef d'état-major. Son supérieur, le général Friedrich Olbricht, qui était déjà depuis 1938 l'une des forces motrices pour un putsch au sein de l'armée, lui demanda d'entrer dans la Résistance active. Et c'est Friedrich Olbricht qui mit von Stauffenberg en contact avec Henning von Tresckow, Ludwig Beck et Carl Friedrich Goerdeler. Grâce à sa position centrale, tant sur le plan géographique que hiérarchique au sein de l'armée, von Stauffenberg œuvra pour l'unification des divers cercles et groupes de Résistance, afin d'assurer leur coordination lors d'un coup d'État. Par l'intermédiaire de Fritz-Dietlof Graf von der Schulenburg, il entra en contact avec le social-démocrate Julius Leber. Puis il entra en contact avec le cercle de Kreisau en faisant la connaissance d'Adam von Trott zu Solz, qui lui présenta son cousin Peter Graf Yorck von Wartenburg. Enfin, il rencontra Ludwig Beck dans la maison du grand chirurgien Sauerbruch. Von Stauffenberg étant parvenu à coordonner l'action de ces divers groupes, c'est lui qui dirigea les opérations à partir de Berlin lors du coup d'État.

A la suite de l'échec des tentatives d'attentats en 1943, et après l'arrestation des conjurés Julius Leber et Adolf Reichwein, von Stauffenberg se décida à exécuter en personne l'attentat à la bombe le 20 juillet 1944. Il en informa les résistants ayant des positions clés dans l'armée et dans l'administration. L'idée de tuer Hitler dans son quartier général, sa Tanière du Loup près de Rastenburg en Prusse Orientale, lors de la conférence quotidienne l'informant de la situation militaire, était de von Tresckow. Tous les précédents plans et tentatives d'éliminer le dictateur lors de ses rares déplacements s'étaient avérés irréalisables, puisque Hitler était trop prudent pour se tenir aux heures fixées et à l'itinéraire convenu, et puisqu'il se désistait trop souvent pour qu'il soit possible d'arranger un attentat et un putsch.

Le matin du 20 juillet 1944, von Stauffenberg partit de son appartement à Berlin-Nikolassee et prit l'avion pour Rastenburg, en Prusse Orientale, avec son aide de camp, le lieutenant Werner von Haeften. Dans la Tanière du Loup, von Stauffenberg et von Haeften allèrent, sous prétexte de vouloir se rafraîchir et changer de chemise avant la conférence avec Hitler, dans la chambre de l'aide de camp de Keitel, le commandant Ernst John von Freyend. C'est là qu'ils voulaient amorcer les détonateurs des explosifs afin qu'ils déclenchent l'explosion 10 à 12 minutes plus tard, et mettre ceux-ci dans le porte-documents de von Stauffenberg. Les deux hommes furent dérangés par l'adjudant-chef Werner Vogel, qui les appela à venir à la conférence, c'est pourquoi ils ne purent amorcer que l'une des deux bombes prévues. La deuxième bombe resta dans le porte-documents de Werner von Haeften.

Le barraquemnt après l'explosion

A 12h30, von Stauffenberg se rendit dans le baraquement où avait lieu la conférence. A son arrivée, Keitel annonça à Hitler que von Stauffenberg lui exposerait les mesures prises pour la mise sur pied d'unités de remplacement. Von Stauffenberg déposa alors son porte-documents près d’Hitler, sous la table, et quitta le baraquement vers 12h40, sous prétexte de devoir aller téléphoner.

Vers 12h50, juste au moment où Hitler se pencha au-dessus de la table en chêne pour étudier des cartes, la bombe explosa. Cinq des vingt-quatre personnes présentes dans le baraquement furent tuées, les autres blessées. Hitler n'eut que quelques petites égratignures.

Von Stauffenberg entendit l'explosion et partit tout de suite en voiture avec von Haeften. Leur voiture, conduite par le lieutenant Erich Kreutz, passa à environ 70 mètres à côté du baraquement enfumé et sortit de la zone de haute surveillance juste avant que l'alerte soit donnée et que toutes les sorties soient fermées. Arrivés au corps de garde extérieur, l'adjudant-chef Kolbe ne voulut pas les laisser passer. Von Stauffenberg téléphona alors au capitaine de cavalerie von Möllendorff à l'état-major de place, qui les autorisa à passer. Sur la route vers l'aérodrome, von Stauffenberg jeta le deuxième paquet d'explosifs par la fenêtre. Arrivés à l'aérodrome à 13h15, ils prirent aussitôt l'avion pour Berlin, où von Stauffenberg devait déclencher l'Opération Walkyrie et diriger le coup d'État.

 

L'Opération Walkyrie était au départ un plan qui organisait de façon très détaillée le déploiement de troupes de réserve vers le front. En 1943, ces plans furent élargis et transformés en un ordre d'alerte générale, au cas où les nombreux travailleurs étrangers et prisonniers de guerre détenus en Allemagne déclencheraient des émeutes ; l'état de siège aurait alors été déclaré et l'armée aurait pris le contrôle du pays. Ce plan n'avait en soi rien à voir avec un putsch éventuel, mais les conjurés y avaient ajouté des ordres secrets sous la forme d'enveloppes scellées que les commandants des unités concernées n'étaient autorisés à ouvrir que lors du déclenchement de l'Opération Walkyrie par le mot clé Walkyrie. Ces unités auraient dû alors occuper les bâtiments du gouvernement et des ministères, les émetteurs radio, les bureaux de téléphone et de télégraphie, les camps de concentration, et contrôler les nœuds de communication. De plus, ces enveloppes contenaient l'ordre de désarmer les unités SS et d'arrêter leurs dirigeants.

Vers 14h, le chef de la SS, Heinrich Himmler, demanda à la présidence de la police du Reich à Berlin de charger des spécialistes d'élucider l'attentat. Il donna l'ordre d'arrêter von Stauffenberg. Ce n'est que vers 15h que le général Olbricht reçut à Berlin une vague information sur un attentat avec plusieurs victimes. Mais il se décida à attendre des nouvelles de von Stauffenberg, pour ne pas avoir à retirer l'ordre Walkyrie au cas où ce ne soit qu'une feinte. A 15h, von Stauffenberg était à Berlin et von Haeften diffusa la nouvelle de la mort d’Hitler. Comme le commandant en chef Fromm refusa de participer à l'opération, Keitel lui ayant assuré qu’Hitler était toujours en vie, les conjurés l'arrêtèrent et confièrent le commandement suprême au feld-maréchal von Witzleben.

A partir de 17h30 furent donnés les ordres lançant l'Opération Walkyrie. Il fut donné pour mission à Hoepner, un général limogé par Hitler, d'exécuter les ordres du plan en Allemagne, puis Ludwig Beck et Hoepner tinrent au Bendlerblock un discours devant les chefs de sections. Le général Friedrich Olbricht, alors que les troupes à Berlin et aux alentours étaient déjà en route pour exécuter l'opération, hésita avant d'envoyer ses spécialistes prendre possession des émetteurs radio et diffuser la déclaration du nouveau gouvernement au peuple allemand, car il jugeait la situation encore trop instable.

Un fonctionnaire du ministère de la propagande, qui était cet après-midi-là au bataillon de garde Großdeutschland, put persuader le commandant qu'il serait préférable de demander à Goebbels avant d'entreprendre quoi que ce soit. Ce dernier fut ainsi informé du lancement de l'Opération Walkyrie et en avertit Hitler, qui ordonna tout de suite une contre-attaque. Goebbels fit diffuser à la radio la nouvelle qu'un attentat contre Hitler avait eu lieu, mais que celui-ci était en vie. Cette contre-réaction et l'ordre de ne pas tenir compte des ordres en provenance de Berlin semèrent l'inquiétude dans les troupes, qui demandèrent alors au Bendlerblock qui détenait le pouvoir de commandement.

Une contre-attaque eut également lieu au Bendlerblock. Fromm parvint à fuir après avoir propagé la nouvelle qu’Hitler était en vie. Plusieurs officiers, qui jusqu'alors n'avaient pas pris parti, prirent ainsi les armes pour combattre les conjurés. De plus, ils appelèrent des troupes de renfort, alors que les troupes appelées par les conjurés venaient de faire marche-arrière. Les conjurés furent arrêtés, et le général Fromm fit fusiller sur le champ quatre d'entre eux dans la cour du bâtiment : le général Olbricht, les colonels von Stauffenberg et Mertz, ainsi que le lieutenant von Haeften. Fromm donna à Ludwig Beck l'opportunité de se suicider.

A Paris, contrairement à la plupart des districts militaires, où les nouvelles annonçant la mort de Hitler et les informations contradictoires assurant qu'il avait survécu se croisèrent et semèrent la confusion, l'Opération Walkyrie fut exécutée avec davantage de succès. Le commandant en chef Carl-Heinrich von Stülpnagel y avait tout organisé lui-même, et certains de ses officiers, comme le lieutenant-colonel Cäsar von Hofacker, étaient au courant de tous les détails de l'opération. Celui-ci était un cousin de Stauffenberg ; il était non seulement en contact avec les conspirateurs berlinois et parisiens, mais également avec la Résistance française. Les conjurés mirent en état d'arrestation environ 1 200 personnes du service de la sécurité, de la SS et de la Gestapo, et allèrent voir le Generalfeldmarschall von Kluge, qui avait la fonction d'Oberbefehlshaber West (commandant en chef du front de l'Ouest) en France et dont l'attitude vis-à-vis de la conjuration était restée très indécise, afin de lui demander d'établir le contact avec les Alliés, mais celui-ci refusa. Il destitua von Stülpnagel et von Hofacker de leurs fonctions et leur conseilla de s'enfuir. Von Stülpnagel se résigna lorsque les mauvaises nouvelles en provenance de Berlin se multiplièrent, et donna l'ordre de libérer les prisonniers. Il tenta alors de se suicider et se blessa grièvement ; il fut arrêté par la Gestapo, condamné à mort et exécuté à Berlin-Plötzensee le 30 août 1944. Von Hofacker fut arrêté à Paris le, 26 juillet 1944, condamné à mort le 30 août 1944 et exécuté à Berlin-Plötzensee le 20 décembre 1944. Le Feld-maréchal von Kluge, après avoir reçu l'ordre de se rendre à Berlin, se suicida le 19 août 1944 sur un champ de bataille de la Marne.

En Allemagne commença alors une terrible chasse aux conjurés et à leurs sympathisants. La commission chargée d'élucider l'attentat et le coup d'État était constituée de 400 hommes de la Gestapo. Par la suite eurent lieu de très nombreux procès-simulacres sous la présidence du juge Freisler. Des milliers de personnes, les conjurés, ainsi que leurs proches et leur famille, en tout 5 000 à 7 000 personnes - cette méthode d'intimidation était pratiquée de façon systématique par la Gestapo - furent arrêtées ; 5 000 personnes furent condamnées à mort et exécutées à la suite de cette action de représailles.

Les étrangers de la Résistance

Les espagnols et la Résistance à Lorient

Roque CARRION, Commandant FTP

En janvier 1942, venant de Brest, un convoi de Républicains Espagnols, internés en France puis contraints à travailler pour les allemands, arrive à Lorient. Ils sont logés dans des baraques montées sur l’ancien polygone du,  IIème Régiment d’Artillerie Coloniale, où se trouvent déjà au moins dix mille travailleurs étrangers amenés pour travailler à la construction de la base de sous-marins.

Parmi ces travailleurs espagnols se trouvent Ramon GARRIDO, qui sera plus connu sous le pseudonyme Léon CARRERO, membre du mouvement de Résistance Front National depuis le début de 1941, et qui fut à l’origine de la formation des premiers "Groupes d’Action" dans la région brestoise, et de nombreux anciens de l’armée républicaine espagnole qui s’engagèrent dans la Résistance française pour chasser l’occupant nazi.

Il retrouve son camarade Juan SANCHEZ CASTILLO qui appartient lui aussi au Front National, entre en contact avec les responsables pour la région lorientaise, Georges LE SANT, domicilié près du Polygone, Albert LE BAIL, Jean Louis PRIMAS, ancien combattant des Brigades Internationales en Espagne.

L’action contre l’occupant se renforce par la formation de groupes de sabotage qui deviendront les groupes FTPF de la région lorientaise et s'étendront bien vite dans le Morbihan et le sud du Finistère. Nous sommes alors à la fin du mois de février 1942, plus d’une vingtaine de Groupes d’Action sont constitués. Ils ont pour responsables quelques jeunes l’orientais qui ont combattu pendant la guerre 1939-1940 et surtout des étrangers ayant combattu pendant la guerre d’Espagne. A partir du 15 mars 1942, les actions contre l’occupant se multiplieront à une cadence rapide. Les sources d’énergie électrique sont surtout visées; plus de dix transformateurs et échangeurs sont mis hors de service en ce 15 mars 1942. Presque toutes les nuits par la suite, il y a eu des actions contre les occupants.

Les milieux de la collaboration dépêchèrent à Lorient le Service de Police Anti-communiste, connu sous ses initiales SPAC. Au début du mois de juillet 1942, les arrestations de dix huit membres responsables du Front National, parmi lesquels quelques républicains espagnols, n’empêchèrent pas les actions contre l’occupant de continuer.

GARRIDO, qui avait un domicile 73 rue Ratier à Lorient, fut obligé de fuir après l’arrestation de son camarade Ignacio PORTILLO à son logis; la police avait cru avoir affaire au locataire du logement recherché pour son action résistante. GARRIDO quitta Lorient pour Rennes d’où il continua le contrôle des résistants espagnols des départements bretons dont les effectifs approchaient alors de 450.

Il fut arrêté à Paris le 30 novembre 1942, jugé par un Tribunal Spécial, condamné à deux ans de prison, transféré à la Centrale d’EYSSES le 17 décembre 1943, il fut déporté à Dachau et libéré le 1er juin 1945. Son camarade PORTILLO est mort en déportation. 


09/03/2013
0 Poster un commentaire

LA RÉSISTANCE EN ALLEMAGNE 2e partie

La résistance des sociaux-démocrates

Les sociaux-démocrates ont été avec les communistes les premiers opposants et résistants au nazisme, et furent de ce fait les premières victimes du régime. Les persécutions de la Gestapo ont causé d'énormes pertes humaines dans les rangs de ces partis.

Contre la dictature et la tyranie. Manifestation en faveur de la Répubique. Berlin 1930.

Les sociaux-démocrates s'identifiaient à la République de Weimar et ont combattu pour sa survie. Dès la fin des années 20 furent organisées de grandes manifestations pour protester contre la montée du nazisme, et les organisations paramilitaires républicaines, les Reichsbanner et le Eiserner Front, composées essentiellement de sociaux-démocrates, ont combattu le Harzburger Front  formé du NSDAP, des nationalistes du Deutsch nationale Volkpartei de Hünenberg et du Stahlhelm. Les Reichsbanner, qui comptaient plus de trois millions de membres, et le Eiserner Front étaient toujours en alerte pour contrer des tentatives de putsch et défendre la République de Weimar. Mais les dirigeants du SPD étaient divisés et indécis quant à la stratégie à adopter en cas de putsch ; certains voulaient organiser une grève générale et de grandes manifestations, et privilégiaient l'intervention de troupes paramilitaires pour la défense de la démocratie, d'autres préféraient opter pour des solutions non-violentes et parlementaires, dans le cadre des mesures fixées par la loi.

Manifestation du Eiserne front. Nuremberg le 12 février 1933.

Après l'arrivée au pouvoir d’Hitler, le 30 janvier 1933, les dirigeants du parti, divisés quant à l'attitude à adopter face au gouvernement hitlérien, n'ont pas donné de consignes pour organiser une action coordonnée contre Hitler. Des militants du SPD ont dans toute l'Allemagne rassemblé des armes en attendant un signal du parti, qui n'a pas eu lieu. A défaut de soulèvement, de grandes manifestations ont été organisées pour protester contre l'arrivée au pouvoir d’Hitler. Ainsi, 20 000 sociaux-démocrates ont manifesté le 7 février à Berlin, 15 000 à Lübeck le 19 février, plusieurs dizaines de milliers également à Dortmund le 26 février. Les troupes nazies ont arrêté lors de ces manifestations des dirigeants du parti, et les SA et SS n'ont pas hésité à tirer dans la foule le 2 février à Lübeck, lors d'une manifestation de protestation contre l'arrestation du député social-démocrate Julius Leber, qui fut par la suite libéré pendant quelques temps, avant d'être arrêté de nouveau. Cela se reproduisit le 13 février à Francfort-sur-l'Oder. A partir de la mi-février, les manifestations et les rencontres de militants furent systématiquement dispersées par la police, les SS et les SA.

La dictature nazie s'est mise en place extrêmement rapidement et a instauré la terreur dans le pays : après l'incendie du Reichstag, le 27 février, plus de 4 000 sociaux-démocrates, communistes et libéraux ont été arrêtés. Le 28 février, Hindenburg s'est appuyé sur l'article 48 de la Constitution, conférant au Président de la République les pleins pouvoirs en cas de crise, pour promulguer une ordonnance pour la protection du peuple et de l'État. Les droits fondamentaux, notamment les libertés d'expression, de réunion, d'association, le droit de propriété, le secret postal, l'inviolabilité du domicile, furent suspendus. Le gouvernement du Reich s'est octroyé le droit d'intervenir dans les Länder, et des peines de mort ou de travaux forcés étaient prévues pour les opposants qui menaceraient l'ordre public. Le 1er mars fut publié un décret qui assimilait l'incitation à la grève à la haute trahison. Le 6 mars, les sièges du SPD et du KPD, ainsi que des syndicats et des maisons d'édition, furent occupés et le parti communiste fut interdit. Et le 21 mars ont été créés les camps de concentration de Dachau et d'Oranienburg, pour emprisonner les opposants politiques.

Une cinquantaine de camps secondaires, contrôlés par les SA, furent créés au cours des mois suivants. Les résistants allemands furent les premiers prisonniers des camps de concentration et durent même aider à construire certains d'entre eux, comme le camp de Buchenwald, en 1937. Au printemps 1933, plusieurs dizaines de milliers de personnes, essentiellement des sociaux-démocrates et des communistes, ont été envoyées en camp de concentration. 

Camp de concentration d'Oranianburg. avril 1933.

Étant donné ce climat de terreur, les perquisitions, les arrestations et les tortures, la liberté d'action des sociaux-démocrates était particulièrement infime. A la fin du mois de mars 1933, lorsque le Reichstag fut convoqué pour accorder au gouvernement hitlérien les pleins pouvoirs, 94 députés du SPD ont pris part au vote, malgré les menaces des SS et des SA. 26 députés du SPD avaient été arrêtés par les nazis ou s'étaient enfui et n'ont pas pu voter. Les sociaux-démocrates furent la seule fraction parlementaire qui vota contre la loi des pleins pouvoirs accordés à Hitler ; le parti communiste avait été interdit le 6 mars et tous les députés communistes étaient emprisonnés. Le chef de la fraction du SPD, Otto Wels, protesta officiellement devant les diplomates étrangers présents lors du vote contre cette atteinte à la liberté et à l'État de Droit. Hitler, en obtenant du Reichstag le droit de légiférer sans le contrôle du parlement pendant quatre ans, est devenu légalement dictateur. La démocratie parlementaire a été abolie par ce vote, ce fut la fin de l'État de Droit et le début officiel de la Gleichschaltung, la mise au pas de la population allemande.

 

En mai, les syndicats sociaux-démocrates furent interdits et dissous. Le 22 juin 1933, le SPD fut dissous, et le 14 juillet, le NSDAP fut proclamé parti unique. Une partie des dirigeants du SPD s'exila alors en Tchécoslovaquie, et tenta de coordonner l'action des militants à partir du siège de Prague. Des cellules locales de sociaux-démocrates existaient depuis 1932 ; ainsi, il y avait environ 250 groupes de ce type à Leipzig. A Hanovre, les militants recevaient une formation spéciale pour résister aux interrogatoires, et un organe de presse, les Sozialistische Blätter, diffusait les informations. Mais le contact avec d'autres groupes de résistance était très difficile, la Gestapo parvenait régulièrement à démanteler les réseaux et arrêtait les militants. Ce système de cellules locales, qui n'avaient la plupart du temps aucun contact entre elles, était la base du travail clandestin des sociaux-démocrates. Mais le manque de préparation et de coordination, ainsi que les persécutions de la part de la Gestapo ont freiné considérablement le travail de résistance, dont l'efficacité était de ce fait très réduite. Les militants se rencontraient dans des associations diverses, comme par exemple des clubs d'échecs ou de randonneurs, mais la Gestapo démantelait rapidement ces réseaux. 

Les sociaux-démocrates exilés à Prague, à Paris puis à Londres après les accords de Munich et l'occupation de la France, ont tenté de rester en contact avec les résistants restés dans le Reich. Le 8 janvier 1934, la direction du SPD exilée à Prague a publié le Manifeste de lutte du socialisme révolutionnaire. La coopération entre la SOPADE, direction exilée du SPD, et les partis sociaux-démocrates des pays voisins a permis de mettre en place des réseaux pour passer les frontières, diffuser des journaux, acheminer clandestinement de l'argent, des tracts et des machines à polycopier, et rassembler des fonds pour soutenir les familles des militants arrêtés et déportés. Des sociaux-démocrates ont également combattu aux côtés des antifascistes espagnols, au sein des Brigades internationales. En 1938 ou 1939, ils se réfugièrent pour la plupart en France, mais ceux qui ne sont pas parvenus à fuir ont été arrêtés par la police française après la déclaration de guerre, en tant que ressortissants d'un pays ennemi. Plus de vingt mille Allemands ont ainsi été envoyés dans les camps de concentration du Vernet, de Rieucros, de Gurs ou des Milles. Après la défaite, ces prisonniers furent livrés à la Gestapo en raison de l'article 19 de la convention d'armistice. Les sociaux-démocrates Rudolf Breitscheid et Rudolf Hilferding, antinazis engagés pour la défense de la paix et la réconciliation franco-allemande, furent ainsi livrés à la Gestapo et déportés à Buchenwald, où ils sont morts. Certains résistants allemands qui ont pu échapper aux persécutions ont combattu dans le maquis aux côtés des Français. Dans un article publié dans Le Populaire du 2 septembre 1939, Otto Wels et Hans Vogel avaient appelé les antifascistes allemands, au nom du comité directeur du SPD, à s'allier avec les mouvements de résistance des pays dans lesquels ils avaient trouvé refuge : La défaite de Hitler est  le but que nous devons poursuivre avec les forces démocratiques d'Europe. Nous serons pendant la guerre aux côtés des adversaires d’Hitler, de ceux qui luttent pour la liberté et la civilisation européenne.

 

Des militants sociaux-démocrates ont su aussi s'allier à des résistants issus d'autres mouvements. Ainsi, Julius Leber, Theodor Haubach, Carlo Mierendorff et Adolf Reichwein ont coopéré avec les civils et les militaires pour organiser l'attentat contre Hitler et la tentative de putsch du 20 juillet 1944. La plupart des résistants qui ont pris part à cette action ont été exécutés le 5 janvier 1945 à Berlin-Plötzensee.

Les jeunesses socialistes ont également participé activement à la résistance. Ainsi, un groupe d'adolescents socialistes de Francfort a organisé un réseau pour permettre aux personnes recherchées par la Gestapo de fuir à l'étranger. D'autre part, les jeunesses socialistes publiaient une revue clandestine, Blick in die Zeit, qui diffusait des articles sur la situation en Allemagne parus dans la presse étrangère.

Par ailleurs, d'autres sociaux-démocrates ont mis en place des réseaux de résistance qui se distanciaient de la direction du parti exilée à Prague. En novembre 1933 fut ainsi créé le mouvement de résistance Roter Stoßtrupp, constitué d'étudiants et de jeunes travailleurs sociaux-démocrates, et dirigé par Rudolf Küstermeier et Karl Zinn. Dans leurs journaux, ils critiquaient les erreurs commises par les directions du SPD et du KPD et appelaient à la formation d'un nouveau parti de travailleurs qui combattrait pour la révolution prolétarienne. Mais cette organisation fut très vite démantelée, et ses membres furent arrêtés à la fin de l'année 1933.

 

Neu Beginnen était une autre organisation sociale-démocrate qui s'est distanciée de la ligne fixée par la direction du parti. Dès 1929, de jeunes sociaux-démocrates et communistes critiques vis-à-vis de la stratégie du SPD et du KPD avaient formé ce groupe en espérant renouveler ainsi le mouvement ouvrier. Cette organisation fut tenue secrète dès sa création, ce qui favorisa le passage dans la clandestinité. Un siège de Neu Beginnen, dirigé par Karl Frank, fut créé à Prague en 1933 ; son travail consistait à se procurer de l'argent pour financer les militants vivant dans le Reich et à informer l'étranger sur les exactions du régime nazi. Le programme de ce groupe, qui décrivait la situation des travailleurs en Allemagne et proposait des lignes directrices pour combattre le national-socialisme, a trouvé un grand écho dans le Reich et à l'étranger. Des cercles de discussion clandestins se sont constitués en Allemagne et de nombreux sympathisants se sont joints au mouvement. Neu Beginnen se fixait pour objectifs de former des cadres capables d'encadrer les militants et de les préparer au travail clandestin, à la transmission illégale d'informations et au maintien du contact avec l'étranger. Ces mesures étaient censées préparer une prise de pouvoir lors de la chute du régime hitlérien. Mais à partir de 1935, la Gestapo a commencé à démanteler ces réseaux, ce qui a freiné leurs activités. Le rapprochement avec le Volksfront, alliance éphémère de communistes et de sociaux-démocrates créée en novembre 1935, permit une coopération entre ces mouvements de résistance, qui publièrent en 1938 un programme commun, intitulé Deutsche Freiheit, qui insistait sur la nécessité d'une forme de résistance non seulement morale, mais également politique et active. Mais les dirigeants de ces réseaux furent arrêtés à l'automne 1938, et le mouvement se désagrégea progressivement. Les dernières cellules furent démantelées en 1944.

 

Parallèlement à ces mouvements de résistance, d'autres groupuscules, issus de partis sociaux-démocrates minoritaires comme le SAP (Sozialistische Arbeiterpartei), qui s'était constitué en 1931 par l'alliance de membres de l'aile gauche du SPD et d'anciens communistes, ont essayé d'œuvrer pour l'unification des partis de gauche contre le nazisme, mais sans succès ; un front unitaire des partis de travailleurs n'a pas vu le jour en raison des divergences entre les différents courants. Certains membres du SAP se sont exilés, comme par exemple Willy Brandt, président de la section du SAP de Lübeck, futur chancelier de la RFA et prix Nobel de la paix en 1971, qui a trouvé refuge à Oslo et a contribué à la mise en place et au maintien d'organisations clandestines dans le Reich en effectuant plusieurs missions en Allemagne. Après l'occupation de la Norvège en 1940, il a fondé à Stockholm une agence de presse pour informer l'opinion internationale sur ce qui se passait en Allemagne. Une direction exilée du parti fut fondée à Paris ; ses membres publièrent pendant l'été 1933 une brochure intitulée Der Sieg des Faschismus und die Aufgaben der Arbeiterklasse (La victoire du fascisme et les tâches de la classe ouvrière), qui analysait la nature du régime hitlérien. La section des jeunes membres du SAP organisa des actions plus éclatantes, mais qui entraînèrent des vagues d'arrestations. Ainsi furent distribués en mai 1933 devant une grande usine de Dresde des tracts appelant à la lutte contre le gouvernement nazi ; une centaine de militants furent arrêtés par la Gestapo après cette action. De nombreux résistants appartenant à d'autres sections furent arrêtés et déportés en camp de concentration à la suite de trahisons ou d'imprudences, ce qui conduisit la direction du parti à transformer les cellules de cinq personnes en groupuscules de trois personnes, pour limiter au maximum les risques de démantèlement des réseaux, et on renonça aux grandes actions. Le contact avec l'étranger devenant de plus en plus difficile, la liberté d'action de ces cellules était extrêmement limitée. Grâce au soutien de l'étranger, en particulier des syndicats de transporteurs et de marins suédois, des tracts et des informations ont cependant être acheminés clandestinement en Allemagne et rompre ainsi l'isolement des opposants.

 

D'autres organisations sociale-démocrates comme le Internationaler Sozialistischer Kampf-Bunn (ISK), fondé par Leonhard Nelson, ont continué le combat contre le nazisme dans la clandestinité. Willy Eichler a fondé à Paris vers la fin de l'année 1933 une direction exilée de l'ISK, qui a maintenu le contact avec la section clandestine en Allemagne, dirigée par Helmut von Rauschenplat ; les militants ont réussi à diffuser des tracts, grâce au soutien du syndicat international des transporteurs. De nombreux membres de l'ISK, en particulier des cadres de l'organisation, ont été arrêtés par la Gestapo, ce qui a fragilisé le réseau. En 1940, Eichler dut quitter Paris et se réfugia à Londres, où il prononça régulièrement des discours à la BBC pour informer les résistants vivant en Allemagne.

La plupart des organisations clandestines furent démantelées dès leurs premiers mois d'existence, et la vague d'arrestations des premières années provoqua une stagnation des activités des sociaux-démocrates, notamment en 1935 et 1936. Les résistants qui avaient pu échapper aux persécutions de la Gestapo ont compris que leurs activités n'avaient pas réussi à fragiliser le régime nazi, et qu'elles avaient entraîné de lourdes pertes humaines dans les rangs des militants sociaux-démocrates, qui n'étaient pas en mesure d'effectuer un coup d'état contre le gouvernement hitlérien.

La Résistance communiste

Dès le début des années 30, les communistes se mobilisèrent contre le NSDAP et tentèrent de convaincre les militants nazis de rejoindre le parti communiste. Mais face à la montée du nazisme, ils durent changer de tactique, et organisèrent de grandes manifestations de protestation, qui donnèrent souvent lieu à des affrontements entre les deux camps. L'union des partis de travailleurs était problématique, car même si la base du parti communiste allemand (KPD) et du parti social-démocrate (SPD) avait la volonté de former un front uni contre le nazisme, cette union ne put voir le jour, car les dirigeants communistes traitaient les sociaux-démocrates de sociaux-fascistes, et les sociaux-démocrates refusaient de se plier aux directives idéologiques de Moscou. Le 30 janvier 1933, le jour de l'arrivée au pouvoir d’Hitler, les communistes lancèrent un appel à la grève générale et à des manifestations de masse, qui fut suivi partout en Allemagne. Les nazis réagirent en procédant à des arrestations, des perquisitions et des rafles.

Face aux mesures répressives prises par le gouvernement nazi contre les communistes, ceux-ci durent se résoudre à continuer le combat dans la clandestinité. Des réseaux clandestins se mirent en place, mais la plupart furent démantelés très rapidement par la Gestapo, qui disposait d'un très grand nombre d'informateurs. Dès février 1933, l'incendie du Reichstag fut pris comme prétexte par les nazis pour interdire le parti communiste et procéder à l'arrestation des cadres du parti ; plus de la moitié des dirigeants du parti furent arrêtés ou assassinés par la Gestapo. A la suite de l'arrestation d’Ernst Thälmann, chef du parti communiste allemand, au début du mois de mars 1933, Moscou donna l'ordre aux cadres du parti de s'exiler, afin de former une direction du parti à l'étranger, qui avait pour mission d'apporter son soutien à la base du parti restée en Allemagne. Walter Ulbricht, chef provisoire du KPD et futur dirigeant de la RDA, s'exila en 1933 en Tchécoslovaquie pour y fonder une antenne du parti, et rejoignit en 1936 Wilhelm Pieck, lui aussi futur dirigeant de la RDA, à Paris, où avait été créée une autre antenne du KPD. En 1939, ils trouvèrent refuge en URSS, où ils restèrent jusqu'à la fin de la guerre. 

 

En Allemagne, les membres du parti tentèrent de déjouer la surveillance de la Gestapo pour former des réseaux illégaux. Mais la police disposait de fichiers du parti communiste, qu'elle avait réquisitionnés lors de rafles, et les résistants furent arrêtés par milliers et envoyés dans les premiers camps de concentration, que les prisonniers politiques communistes et sociaux-démocrates furent obligés de construire. 
La presse illégale fut la première activité des résistants communistes, qui diffusèrent clandestinement des tracts et des publications visant à convaincre la population allemande de se soulever contre Hitler et de renverser le régime nazi. D'autre part, un réseau de messagers fut mis en place ; ceux-ci avaient pour mission de faire passer des informations sur le Reich à l'étranger, aux directions exilées du parti, et de transmettre en Allemagne les nouvelles de l'étranger, afin de contrer la propagande hitlérienne. 

Les syndicats communistes essayaient de leur côté de mobiliser clandestinement les travailleurs au sein des entreprises contre le gouvernement nazi. Mais leur tâche était ardue, car certains membres du parti s'étaient résignés à la victoire nazie, d'autres s'étaient engagés dans le NSDAP, et les persécutions dont étaient victimes les communistes en décourageaient plus d'un à continuer le combat. De plus, l'implantation des syndicats communistes était très faible dans les entreprises avant l'arrivée au pouvoir d’Hitler, car la majorité des membres du parti étaient alors au chômage, et les activistes ne purent former de véritable contrepoids au nazisme dans les entreprises allemandes.

En 1935, le Kominterm et le bureau politique du KPD décidèrent de changer leur tactique contre le national-socialisme, et de tenter de s'unir aux sociaux-démocrates afin de former un front uni contre le nazisme. D'autre part, la structure hiérarchique habituelle du parti, facile à démanteler par la Gestapo, qui avait pu ainsi procéder à des arrestations par milliers, fut abandonnée ; les résistants s'organisèrent en petites cellules, dirigées par des instructeurs qui avaient été formés à cette tâche, et qui fonctionnaient dans la clandestinité au sein des entreprises et à la place des anciennes antennes locales du parti. Ces cellules recevaient leurs directives des centrales du KPD coordonnées par le comité central de Moscou et exilées à Amsterdam, Strasbourg, Luxembourg, Copenhague, Prague, Paris et Stockholm, qui envoyaient clandestinement des messagers en Allemagne. Ceux-ci traversaient la frontière tchécoslovaque grâce à un réseau de passeurs ; cette organisation imprimait également des tracts, qui étaient ainsi acheminés dans le Reich, et aidait des réfugiés à fuir l'Allemagne. Le même type de réseau existait aux frontières belge et néerlandaise, mais la Gestapo parvint à démanteler ces organisations en 1935-36, grâce à l'infiltration d'espions. 

 

En 1936, lors des Jeux Olympiques de Berlin, qui furent pour les nazis un événement majeur de propagande, les communistes organisèrent une grève dans une usine de Berlin, ce qui contredisait la propagande hitlérienne, selon laquelle toute l'Allemagne soutenait les nazis. La Gestapo fit en sorte que les journalistes étrangers ne soient pas au courant de cette grève, et plaça à la suite de cet incident des espions nazis dans toutes les usines, de façon à ce que de tels mouvements de contestation ne puissent plus se reproduire.

Pendant la guerre, la plupart des pays voisins étant occupés par les troupes allemandes, il devint de plus en plus difficiles de maintenir un contact entre les directions exilées du parti et la base restée en Allemagne ; les cellules de résistants communistes furent de plus en plus isolées et ne parvenaient que rarement à recevoir les directives du parti. Les résistants communistes qui travaillaient aux chemins de fer ou dans les compagnies de transport fluvial ou maritime purent toutefois continuer à transmettre des messages. De plus, les communistes disposaient d'un service secret qui collectait des informations et les envoyait par radio aux centrales de renseignements de Paris et Bruxelles, qui avaient des agences dans tous les pays européens. 

Le pacte de non-agression de l'URSS conclu par Hitler et Staline le 23 août 1939 choqua et désorienta les résistants qui luttaient depuis six ans dans la clandestinité ; une direction du parti indépendante de Moscou fut créée en Allemagne en réaction à ce pacte, et son comité central envoya des messagers dans les différentes cellules locales pour donner l'ordre de poursuivre le combat contre le nazisme. Après l'attaque nazie de l'URSS, la section communiste allemande renoua avec Moscou. Mais la volonté de ces résistants communistes de provoquer un soulèvement de la population allemande contre la guerre et le gouvernement nazi n'avait aucune chance de réussir, étant donné qu'une grande partie des Allemands soutenait Hitler, qui remportait une victoire après l'autre. La cote de popularité du dictateur était telle pendant les premières années de la guerre, qu'une révolution était irréalisable. Willi Gall, qui avait commencé à organiser la résistance intérieure, fut arrêté en 1940 ; son successeur, Wilhelm Knöchel, coordonna les activités des différentes cellules à partir d'Amsterdam, puis s'installa à Berlin en 1941 ; il fut arrêté en janvier 1943 et donna sous la torture des informations aux nazis, ce qui mit en danger toute la résistance communiste et fragilisa ses activités.

A la fin de la guerre, alors que les troupes soviétiques s'approchaient de plus en plus de l'Allemagne, des agents communistes furent parachutés dans le pays pour organiser la résistance communiste. Et lorsque la zone d'occupation soviétique donna naissance à la RDA, de nombreux communistes qui s'étaient exilés à Moscou, dont Walter Ulbricht et Wilhelm Pieck, en devinrent les dirigeants.

Principaux groupes de résistance communistes

 

 

 

 

 

Comité national de l'Allemagne libre (Nationalkomitee Freies Deutschland, NKFD)
Ce comité fut fondé en 1943 par la section politique de l'armée soviétique et par le comité central du KPD exilé à Moscou ; ses objectifs étaient, au moyen d'un travail de propagande, de détourner les prisonniers de guerre allemands du nazisme et d'encourager les soldats allemands à déserter. Le NKFD tentait de rallier toutes les tendances politiques à l'union contre Hitler ; dans ses rangs, on ne comptait pas uniquement des communistes, mais aussi, par exemple, une centaine de pasteurs, prêtres et étudiants en théologie de la Wehrmacht, prisonniers dans les camps russes, qui se sont joints au NKFD  en raison des persécutions dont étaient victimes les Églises dans le Reich. Les communistes, notamment Wilhelm Pieck et Walter Ulbricht, futurs dirigeants de la RDA, ont finalement pris la tête du NKFD, qui est devenu un instrument de propagande entre les mains du gouvernement soviétique.

L'organisation Allemagne libre (Freies Deutschland)
Ce groupe, fondé à Cologne en 1943 par un réseau de résistants communistes, comptait plus de deux cents membres, et rassemblait des résistants de tous les horizons politiques et idéologiques. Des tracts incitant la population allemande à commettre des sabotages, afin d'enrayer la machine de guerre nazie, et encourageant les soldats à déserter, furent distribués, et les résistants apportèrent leur aide aux travailleurs de force étrangers prisonniers en Allemagne. La Gestapo arrêta de nombreux membres du groupe, qui se disloqua progressivement.

Organisations résistantes indépendantes du KPD

Parti communiste allemand oppositionnel ("Kommunistische Partei Deutschlands (Opposition), KPO)
L'aile droite du KPD avait été exclue du parti en 1928 et avait fondé une organisation communiste indépendante, le KPO. Après l'arrivée au pouvoir de Hitler, seuls quelques militants désignés par les cadres du parti s'exilèrent en France, où ils fondèrent un comité exilé (Auslandskomitee, AK) en contact, grâce à un réseau de messagers, avec la base du parti, qui poursuivait clandestinement ses activités en Allemagne. Un comité du KPO, qui siégeait à Berlin, se chargeait de coordonner les activités des cellules locales du parti. La structure à la fois hiérarchisée et morcelée du parti permit d'éviter les grandes rafles de la Gestapo. Les objectifs principaux du KPO étaient de transmettre des informations sur le régime hitlérien et de travailler en collaboration avec les résistants exilés à l'union des travailleurs contre le nazisme. Des tracts furent distribués, et les membres du parti avaient pour mission de créer des syndicats clandestins dans les entreprises dans lesquelles ils travaillaient. Lorsque le contact avec le comité exilé fut rompu en raison de l'occupation de la France par les troupes allemandes, le KPO prit contact avec d'autres organisations de travailleurs, notamment avec les sociaux-démocrates, afin de créer des syndicats clandestins, et de distribuer des tracts visant à mobiliser la population allemande contre Hitler.

L'Orchestre Rouge (die Rote Kapelle)
A partir de la fin de l'année 1941, l'organisation Harnack / Schulze-Boysen coopéra avec les bureaux des renseignements soviétiques de Paris et Bruxelles, sans que ses membres deviennent pour autant des agents soviétiques et perdent leur indépendance, comme les autorités nazies l'ont prétendu par la suite. La Gestapo nomma ce groupe de résistance L'Orchestre Rouge (die Rote Kapelle).

Églises et Résistance. Protestants

L'Église protestante, obéissant traditionnellement à l'autorité de l'État, était majoritairement pour Hitler, et souhaitait devenir l'Église du peuple, en osmose avec la Nation. Hitler voulait créer un christianisme positif qui aurait été l'une des bases du nouveau régime, ce qui enthousiasmait beaucoup de protestants. Mais dès 1933, des voix s'élevèrent au sein de l'Église protestante pour critiquer la politique menée par Hitler.

Dietrich Bonhoeffer

Ainsi, Georg Schulz, Heinrich Vogel, Dietrich Bonhoeffer, ainsi que onze pasteurs de Westphalie rédigèrent des appels à la tolérance. Deux jours après l'arrivée au pouvoir d’Hitler, Bonhoeffer prononça une allocution radiodiffusée condamnant le nazisme ; l'émission fut interrompue par les nazis. Dietrich Bonhoeffer, pasteur et maître de conférences à l'Université de Berlin, s'opposa aux Chrétiens allemands avec un groupe d'étudiants révoltés comme lui par les mesures nazies prises à l'encontre des juifs, et parvint à convaincre une minorité de protestants de la légitimité d'une opposition à la politique antisémite menée par Hitler et soutenue par la nouvelle Église du Reich. En 1933, il rédigea un article, L'Église face à la question juive, dans lequel il rappela aux fidèles le devoir chrétien de résistance à l'État lorsque celui-ci commet des crimes. Bonhoeffer, lors d'une tournée de conférences aux États-Unis en 1939, refusa d'y trouver refuge, alors qu'on lui proposait une carte de séjour et un poste de professeur ; il préféra rentrer en Allemagne, pour tenter d'agir sur place contre le régime nazi. Il devint directeur du séminaire clandestin de Finkenwalde, qui se réclamait de l'Église confessant, et qui fut fermé par les nazis en 1940. Dietrich Bonhoeffer était conscient du fait qu'une Résistance ecclésiastique ne pourrait à elle seule renverser le régime, c'est pourquoi il collabora activement à la conspiration du 20 juillet 1944. Il prit de plus contact par l'intermédiaire de son beau-frère Hans von Dohnanyi avec le groupe de résistance formé au sein du contre-espionnage et dirigé par Hans Oster. Bonhoeffer, afin que ses activités ne soient pas découvertes par la Gestapo, obtint grâce à ses amis résistants du contre-espionnage un poste d'agent secret, ce qui lui permit d'entreprendre des voyages à l'étranger sous cette couverture. C'est ainsi qu'il put prendre contact avec des résistants, notamment des ecclésiastiques, à l'étranger. Mais lorsque la Gestapo démantela ce réseau de résistance en 1943, Bonhoeffer fut arrêté et déporté en camp de concentration. Il fut pendu le 9 avril 1945.

En 1932 se forma un groupe protestant national-socialiste, les Chrétiens allemands, qui réclamèrent après l'arrivée au pouvoir de Hitler la formation d'une Église du Reich, structurée selon le Führerprinzip et rejetant les juifs, ce qui se réalisa quelques mois plus tard. L'Église protestante, désormais dirigée par les Chrétiens allemands, était devenue un instrument entre les mains d’Hitler. En septembre 1933 fut organisé le synode brun ; la majorité des responsables ecclésiastiques s'y rendirent en uniforme nazi. Il fut décidé, malgré l'opposition des adversaires des Chrétiens allemands, que les pasteurs qui n'étaient pas aryens seraient exclus de l'Église du Reich ; 70 responsables ecclésiastiques suivirent l'exemple du pasteur Koch et quittèrent alors la salle en signe de protestation.

 

Martin Niemöller

Quelques semaines plus tard, le pasteur Martin Niemöller appela les pasteurs hostiles à ces mesures antisémites à s'unir au sein d'une nouvelle organisation, le Pfarrernotbund, la Ligue d'urgence des pasteurs, qui respecterait les principes de tolérance énoncés par la Bible et la profession de foi réformatrice. Cet appel eut un grand écho : à la fin de l'année 1933, 6 000 pasteurs, soit plus d'un tiers des ecclésiastiques protestants, s'étaient joints à ce groupe dissident. La Ligue d'urgence des pasteurs, soutenue par des protestants à l'étranger, adressa au synode une lettre de protestation contre les mesures d'exclusion et de persécution prises envers les juifs et envers les pasteurs refusant d'obéir aux nazis. Malgré les protestations, Martin Niemöller fut déchu de ses fonctions de pasteur et mis prématurément à la retraite au début du mois de novembre 1933. Mais la grande majorité des croyants de sa paroisse décida de lui rester fidèle, et il put ainsi continuer à prêcher et à assumer ses fonctions de pasteur.

Le 13 novembre 1933, lors d'une manifestation des Chrétiens allemands au Palais des Sports de Berlin, un pasteur nazi déclara que l'Ancien Testament et des passages du Nouveau Testament n'étaient que des superstitions, et se réclama d'une nouvelle profession de foi qui mettrait l'accent sur les valeurs héroïques de l'idéologie nazie, soi-disant défendues par Jésus. Il s'agissait de transformer l'Église du Reich en un instrument de propagande diffusant l'idéologie nazie, et n'ayant plus rien à voir avec les véritables principes chrétiens. Ce scandale déclencha une nouvelle vague de protestations ; Martin Niemöller s'éleva contre ce reniement de la foi chrétienne. En 1934, il fut convoqués par Hitler et Göring et sa maison fut perquisitionnée ; les nazis espéraient trouver des pièces à conviction leur permettant de se débarrasser de lui, mais durent le relâcher en raison de sa grande popularité.

Parallèlement à la Ligue d'urgence des pasteurs se formèrent dans plusieurs régions de l'Allemagne des synodes libres. Ainsi, en Westphalie, des fidèles réunis sous la direction du pasteur Koch refusèrent d'obéir aux ordres donnés par le régime nazi. La Gestapo empêcha les membres de ces groupes de se réunir. Une manifestation de protestation, à laquelle prirent part 30 000 personnes, fut organisée à Dortmund, et d'autres synodes libres virent le jour dans d'autres régions de l'Allemagne. Des pendants régionaux de la Ligue d'urgence des pasteurs, les Bruderräte, les conseils de frères virent le jour et se rassemblèrent en un Reichsbruderrat, un conseil de frères du Reich, qui s'unit aux synodes libres.

Un synode libre national se réunit en mai 1934 à Barmen, en Rhénanie du Nord - Westphalie. Les ecclésiastiques présents, qui étaient les véritables héritiers de l'Église protestante, déclarèrent qu'ils refusaient d'obéir à l'Église du Reich manipulée par les nazis, appelèrent les fidèles à suivre les principes de la Bible et de la profession de foi réformatrice, délimitèrent les domaines de compétence de l'État et de l'Église, et refusèrent ouvertement la création d'un État totalitaire auquel serait soumise l'Église. A la suite de cette déclaration, des mesures furent prises contre les opposants, qui furent poursuivis, démis de leurs fonctions, arrêtés et contraints au silence. Mais la résistance ecclésiastique se poursuivit ; des manifestations d'ecclésiastiques et de fidèles eurent lieu pour protester contre les révocations de pasteurs, et lors du deuxième synode libre national, à la fin de l'année 1934, les opposants rompirent définitivement avec l'Église du Reich, appelèrent les pasteurs et les fidèles à désobéir à cette Église, et à se rassembler au sein d'une Bekennende Kirche, l'Église confessant respectant les principes chrétiens.

Le régime hitlérien réagit en interdisant la publication de tout écrit théologique n'allant pas dans le sens de l'idéologie de l'Église du Reich, en infligeant de lourdes amendes aux membres des conseils de frère, et en suspendant de leurs fonctions ou en arrêtant des pasteurs ; le travail des résistants se poursuivit alors de façon clandestine. Le synode libre de Prusse décida de publier tout de même une déclaration contestant l'autorité du régime nazi, en objectant qu'il n'avait aucune justification divine, et appelant au rejet de l'idéologie raciste nazie et du régime totalitaire hitlérien. 500 pasteurs furent arrêtés, puis certains d'entre eux furent libérés, en raison de la protestation massive contre ces mesures. Mais la Gestapo ne renonça pas aux persécutions. Pendant l'été 1935, 27 pasteurs furent déportés en camp de concentration. En 1935, les synodes de Berlin-Stieglitz et de Dresde eurent malgré tout le courage de se prononcer contre les lois raciales de Nuremberg.

Paul Schneider

Le combat entre la dictature et l'Église confessant se durcit encore en 1936, lorsque les opposants publièrent un mémorandum condamnant l'idéologie et les pratiques du régime hitlérien, et réclamant la dissolution de la Gestapo ainsi que la fermeture des camps de concentration. Des dirigeants de l'Église confessant, dont le pasteur Niemöller, furent arrêtés. Le juriste Friedrich Weißler, qui avait participé à la rédaction du mémorandum, fut arrêté et déporté ; il mourut en 1937 au camp de concentration de Sachsenhausen. Le pasteur Paul Schneider, un antinazi déclaré, fut déporté en novembre 1937, torturé, et finalement assassiné le 18 juillet 1939 au camp de concentration de Buchenwald par une injection de poison.

La popularité de Martin Niemöller était telle que le soutien de l'étranger ne se fit pas attendre : deux jours après son arrestation, l'évêque de Londres, Bell, qui dirigeait le mouvement œcuménique, publia un article de protestation dans le Times et déposa une plainte officielle à Berlin. Des manifestations eurent lieu en Allemagne pour réclamer la libération de Niemöller ; la police essaya sans succès de disperser les fidèles, qui continuèrent à manifester ; à Berlin, 250 personnes furent arrêtées. Himmler décida de fermer tous les séminaires se réclamant de l'Église confessante. Le procès de Martin Niemöller commença en 1937, et le jugement fut prononcé en 1938. Le Reichsgericht le condamna à une amende ainsi qu'à sept mois de détention. Comme il avait déjà purgé cette peine en détention préventive, il fut relâché, mais la Gestapo l'arrêta immédiatement après le procès et le déporta au camp de concentration de Sachsenhausen puis à celui de Dachau, où il eut le statut de prisonnier personnel du Führer. Malgré les protestations internationales, il dut rester en camp de concentration jusqu'à la fin de la guerre.

En 1938, après l'annexion de l'Autriche, et alors que les intentions belliqueuses de Hitler devenaient de plus en plus évidentes, les pasteurs Albertz et Böhm, de l'Église confessante, célébrèrent une messe en faveur de la paix. Cette même année fut fondé le bureau Grüber qui apportait son soutien aux protestants d'origine juive en leur proposant une aide juridique et en les aidants à trouver un pays d'accueil. Le pasteur Heinrich Grüber, qui dirigeait cette organisation d'aide aux persécutés, fut arrêté en 1940 et déporté au camp de concentration de Sachsenhausen puis à Dachau. L'un de ses collaborateurs, Werner Sylten, un membre de l'Église confessante d'origine juive, fut arrêté en 1941, déporté au camp de concentration de Dachau et assassiné. Gertrud Staewen, une pédagogue membre de l'Église confessante, dont les livres furent interdits par les nazis, créa elle aussi avec Franz Kaufmann, un ancien haut-fonctionnaire d'origine juive, une organisation clandestine qui fournissait de faux-papiers et des cartes de rationnement aux juifs ; elle fut arrêtée par la Gestapo mais put survivre à la guerre, contrairement à Franz Kaufmann, qui fut arrêté en 1943, torturé, déporté en camp de concentration et assassiné le 17 février 1944 au camp de concentration de Sachsenhausen.

Mais ces actions courageuses se firent de plus en plus rares, et la politique ecclésiastique du Troisième Reich se durcit davantage à partir de 1938. Les nazis publièrent en 1939 la Déclaration de Godesberg, qui fixa les grandes lignes de l'idéologie de l'Église du Reich. Celle-ci fut désignée comme l'héritière des idées de Luther ; la persécution des juifs fut une fois de plus présentée comme nécessaire, et toute collaboration ecclésiastique entre les protestants allemands et des organisations internationales fut qualifiée de dégénérescence politique du christianisme, en contradiction avec l'ordre de la Création. Cette déclaration suscita l'indignation de nombreux pasteurs, qui refusèrent d'y apposer leur signature. Le régime nazi réagit en persécutant encore plus les membres de l'Église confessante.

Pendant la guerre, la Gestapo bénéficiait de pleins pouvoirs exceptionnels, et put faire régner la terreur sans se préoccuper de conserver les apparences d'un État de Droit. Les persécutions à l'encontre des résistants ecclésiastiques s'accentuèrent. Des mesures disciplinaires furent prises à l'encontre des pasteurs ayant soutenu l'Église confessante, certains d'entre eux furent arrêtés, d'autres parvinrent à échapper aux persécutions en devenant aumôniers militaires.

Les protestations concernant les crimes commis au front, le génocide des juifs et l'euthanasie d'invalides et de malades mentaux furent étouffées par des vagues d'arrestations. Dans le régime de terreur nazi, quiconque objectait une critique à l'égard de l'État était immédiatement arrêté et déporté. Mais le travail de l'Église confessante se poursuivit de façon clandestine ; l'aide aux persécutés fut l'un des axes principaux de cette résistance. Certains pasteurs, comme Helmut Gollwitzer à Berlin, continuèrent à condamner les exactions commises par les nazis et à prêcher ouvertement pour la paix et la tolérance au sein de leur paroisse.

Des adolescents militant au sein de mouvements de jeunesse protestants - qui étaient tolérés par les nazis à condition qu'il n'y soit question que de religion - s'engagèrent eux aussi contre le nazisme. Après l'interdiction de tous les mouvements de jeunesse non-nazis, en 1936, des organisations continuèrent à exister dans la clandestinité. La revue protestante Jungenwacht put être diffusée jusqu'en 1938, et des adolescents protestants distribuèrent des tracts antinazis ainsi que des sermons du pasteur Niemöller.

Theophil Wurm

Après l'arrestation de Martin Niemöller, Theophil Wurm, évêque du Wurtemberg, prit sa succession à la tête de l'Église confessante. Il protesta à plusieurs reprises contre les crimes nazis, notamment en 1940 contre l'assassinat d'invalides et de malades mentaux, et en 1941 contre la déportation des juifs. Il entra en contact avec Friedrich Bonhoeffer, avec le groupe de Carl Goerdeler et avec le Cercle de Kreisau et s'engagea ainsi dans la résistance politique.

La résistance de protestants, réunis pour la plupart au sein de l'Église confessante, consistait au début en des oppositions internes portant sur des principes théologiques, sans qu'il soit pour autant question de s'opposer à l'autorité de l'État. Mais peu à peu, les limites du devoir d'obéissance à l'État sont devenues plus claires pour certains pasteurs, qui ont refusé de servir la dictature, et se sont engagés au nom des principes chrétiens dans la voie de la résistance politique et morale.

Églises et Résistance. Les Catholiques

L'Église catholique ne pouvait pas s'engager politiquement contre le régime nazi, en raison du Concordat signé avec le Reich. Mais contrairement aux protestants, qui étaient organisés en Landeskirchen, des instances locales élues qui étaient infiltrées par les nazis, les personnalités ecclésiastiques catholiques étaient nommées par Rome, ce qui permit une plus grande imperméabilité de l'Église catholique à l'infiltration nazie. Si l'opposition politique était impossible en raison du Concordat, des catholiques ont cependant résisté au nazisme sur le plan moral. On peut distinguer deux attitudes : d'une part, les catholiques qui voulaient maintenir un contact avec le régime nazi, afin d'obtenir des compromis, d'autre part, quelques personnalités hors pair qui refusaient tout compromis. Plusieurs ecclésiastiques catholiques se sont opposés dans les années 30 à l'idéologie nazie, en soulignant qu'elle n'était pas compatible avec la foi catholique. Ainsi, le cardinal Bertram critiqua les théories nationalistes et racistes nazies, ainsi que la prétention d’Hitler de créer un christianisme positif imprégné de l'idéologie nazie, indépendant de Rome et de toute autorité internationale, et incorporé à l'État totalitaire. Mais la même année, l'évêque de Berlin, Schreiber, déclara qu'il n'était interdit à personne de devenir membre du parti nazi. Les divisions internes étaient telles que le cardinal Bertram ne parvint pas à inciter tout l'épiscopat allemand à faire une déclaration commune contre le nazisme. En 1931, les évêques de Bavière, puis de Cologne et de Paderborn condamnèrent l'idéologie nazie, incompatible avec la foi chrétienne, en s'appuyant sur le fait que le Pape Pie XI avait condamné auparavant le mouvement fasciste Action française.

Bernhard Pribilla

Le parti politique catholique, le Zentrum, collabora à partir de 1932 avec le NSDAP. Peu de voix catholiques s'élevèrent contre cette compromission avec les nazis : le père jésuite Max Pribilla, Fritz Gerlich et Ingbert Naab dans la revue catholique Der Gerade Weg et Bernhard Letterhaus. Ce dernier était membre d'un syndicat catholique et du parti Zentrum ; après l'arrivée au pouvoir d’Hitler, il fit plusieurs voyages à l'étranger, afin de prendre contact avec d'autres syndicats catholiques, en vue de préparer la résistance au nazisme. A partir de 1939, il travailla dans le service de contre-espionnage de la Wehrmacht, ce qui lui permit de pouvoir transmettre des informations confidentielles à ses amis résistants. Il participa à la préparation de l'attentat du 20 juillet 1944, et fut arrêté immédiatement après la tentative de putsch. Il fut condamné à mort, et fut exécuté le 14 novembre 1944.

 

Lors de la conférence épiscopale de Fulda en 1932, les évêques catholiques allemands décidèrent que des catholiques ne pouvaient pas devenir membres du NSDAP, le programme de ce parti étant hérétique. Mais l'épiscopat était extrêmement divisé, et si des évêques comme Preysing et Kaller condamnaient le nazisme, d'autres s'en accommodaient très bien. Et deux mois après l'arrivée au pouvoir d’Hitler, à la suite de sa déclaration sur le respect des droits des Églises et de son vœu d'établir des relations amicales avec le Vatican, il fut décidé que les catholiques pouvaient finalement devenir membres du parti nazi, et que l'Église catholique pourrait s'arranger avec Hitler. Et en avril 1933, lors du boycott des juifs par les nazis, le cardinal Bertram, qui avait quelques années auparavant critiqué l'idéologie nazie, décida de ne pas prendre position. Seul le père Eckert protesta alors au nom de l'éthique chrétienne contre la persécution des juifs.

 

Dès le mois d'avril 1933 commencèrent des pourparlers entre le Vatican et le régime nazi au sujet d'un Concordat, qui vit le jour au mois de juillet de la même année. Quelques membres du clergé catholique allemand, tels le cardinal Schulte et l'évêque Preysing, critiquèrent ce Concordat, estimant qu'il serait préférable de condamner le gouvernement nazi, au lieu de pactiser avec lui. Ils n'accordaient pas leur confiance à Hitler, qui s'était engagé à faire du christianisme la base du nouveau régime, et en avait donné sa parole d'honneur au Pape. Le parti centriste avait décidé le 5 juillet 1933 de se dissoudre, et le 20 juillet fut signé le Concordat, qui garantissait aux catholiques allemands la liberté de culte en échange de la non-ingérence de l'Église catholique dans la politique nazie.

 

Cette reconnaissance officielle du régime nazi par l'Église catholique fut lourde de conséquences. L'Église ne se prononça plus sur des questions qui n'avaient pas de rapport direct avec le culte catholique. Ainsi, lorsqu'en novembre 1933 l'ancien dirigeant de l'action catholique de Munich, Mühler, fut arrêté parce qu'il avait raconté des mensonges au sujet du camp de concentration de Dachau, le Vatican ne prit pas position.

August Froehlich

Les prêtres comme le père jésuite Rupert Mayer qui n'hésitaient pas à critiquer ouvertement le régime dans leurs sermons furent persécutés par les nazis. Le prêtre August Froehlich, qui refusait de faire le salut hitlérien, fut arrêté en 1941 après avoir protesté contre les mauvais traitements infligés aux travailleurs forcés dans une entreprise allemande. Il fut déporté, torturé, et mourut le 22 juin 1942 au camp de concentration de Dachau. Le père Muckermann, exilé aux Pays-Bas, parvint à diffuser clandestinement en Allemagne des tracts condamnant le nazisme et la politique d’Hitler. Et le 22 mars 1935 fut fondé un Comité d'aide aux non-aryens catholiques, qui proposait une aide juridique aux catholiques d'origine juive, et les aidait à trouver un pays d'accueil pour fuir l'Allemagne. Le 10 novembre 1938, au lendemain de la Nuit de Cristal, le prieur de la cathédrale de Berlin, Bernhard Lichtenberg, appela les fidèles à prier pour les juifs et les prisonniers des camps de concentration, parmi lesquels se trouvaient également beaucoup de prêtres. Arrêté en octobre 1941, il fut déporté et mourut en 1943. Margaret Sommer, une universitaire qui avait perdu son poste en raison de son engagement catholique, aida des catholiques d'origine juive. En 1942, elle rédigea un rapport qu'elle envoya au Vatican sur le traitement réservé aux juifs par les nazis, sur la déportation en camps de concentration. Gertrud Luckner, un pacifiste engagée qui travaillait pour l'organisation de bienfaisance catholique Caritas, aida des prisonniers de guerre et des juifs ; elle fut arrêtée en 1943 par la Gestapo et déportée au camp de concentration de Ravensbrück. En 1943, des prêtres catholiques de Stettin, dont Carl Lamprecht, Friedrich Lorenz, Herbert Simoleit et Alfons Maria Wachsmann, furent condamnés à mort pour démoralisation des troupes parce qu'ils avaient écouté des émissions radiodiffusées étrangères.

La Gestapo veillait, et le régime adopta une attitude de plus en plus agressive vis-à-vis des catholiques. Ainsi, le journal des jeunesses catholiques, Junge Front, qui adoptait une attitude réservée face aux nazis, fut interdit de publication à plusieurs reprises, avant d'être définitivement interdit en janvier 1936 ; peu de temps après, 50 dirigeants de mouvements catholiques furent arrêtés. En 1933, ce journal, qui était diffusé à 300 000 exemplaires, avait appelé à la solidarité avec les juifs lors du boycott des magasins juifs. De plus, les jeunesses hitlériennes, assistées par la police, essayaient constamment de perturber les réunions des associations de jeunesse catholiques. Celles-ci, ainsi que toutes les organisations de jeunesse non nazies, furent interdites en décembre 1936 ; tous les jeunes Allemands furent désormais obligés d'intégrer les jeunesses hitlériennes. Mais des mouvements de jeunesse catholiques continuèrent à exister dans la clandestinité, aidèrent des persécutés, et diffusèrent des tracts hostiles au régime.

Walter Klingenbeck

En 1941, Walter Klingenbeck, un ancien membre des jeunesses catholiques, diffusa avec quelques adolescents catholiques, grâce à un émetteur clandestin, des émissions qui appelaient à la chute du régime nazi et qui communiquaient les nouvelles censurées par les nazis et entendues dans des émissions radiodiffusées étrangères. Walter Klingenbeck fut arrêté en 1942, condamné à mort, et exécuté le 5 août 1943. La condamnation à mort de ses amis Daniel von Recklinghausen et Hans Haberl fut finalement commuée en une peine de travaux forcés de huit ans. D'autres adolescents, comme Theo Hespers, Walter Hammer et Karl Paetel, ont pu à partir de leur pays d'exil diffuser des journaux et des tracts antinazis en Allemagne.

En 1935-36, les nazis eurent recours à des pseudo-procès afin d'éliminer des opposants catholiques : des prêtres furent accusés d'être mêlés à des scandales financiers et à des affaires de mœurs, et furent arrêtés sous ce prétexte.

En 1937, l'Église décida de réagir : les évêques allemands écrivirent un mémorandum au ministre chargé des questions religieuses, afin de protester contre l'attitude du régime à l'égard des catholiques, et le Pape Pie XI publia en mars 1937 l'encyclique Mit brennender Sorge, Avec un souci brûlant, dans laquelle il fit part de son inquiétude quant aux multiples violations du Concordat de la part du gouvernement nazi. Des centaines de milliers d'exemplaires de ce document furent imprimés et distribués clandestinement en Allemagne ; les nazis, en guise de représailles, arrêtèrent des prêtres et des adolescents ayant distribué des exemplaires de l'encyclique, et les déportèrent en camp de concentration.

Mais des ecclésiastiques catholiques soutenaient Hitler, et après les succès militaires de celui-ci, certains lui envoyèrent même des lettres de félicitations. Ainsi, le cardinal Bertram, qui avait présidé en 1932 la conférence de Fulda, au cours de laquelle il avait été décidé que des catholiques ne pouvaient devenir membres du NSDAP, envoya des lettres élogieuses à Hitler, dans lesquelles il tentait cependant d'amadouer le dictateur vis-à-vis de l'Église catholique.

Konrad Graf von Preysing

L'évêque de Berlin, Konrad Graf von Preysing, fut l'un des rares évêques qui continuèrent à défendre ouvertement et courageusement des opinions antinazies, même après l'arrivée au pouvoir d’Hitler. Il faisait partie avec Fritz Gerlich et Ingbert Naab, les rédacteurs de la revue Der Gerade Weg, d'un groupe de résistance catholique, le cercle de Konnersreuth, qui se fixait pour objectif de trouver des mesures permettant de contrer le régime nazi. Après l'assassinat de Gerlich en 1934, Preysing parvint à faire fuir Naab en Suisse ; Preysing ne fut pas arrêté en raison de sa très grande popularité. Il avait à plusieurs reprises mis les autres évêques en garde contre le nazisme, était un ennemi déclaré du Concordat, et participa à la rédaction de l'encyclique du Pape Pie XI. Preysing critiquait l'attitude de l'Église vis-à-vis du nazisme ; il rendit compte au Pape des événements se déroulant dans l'Allemagne nazie, et il était persuadé que l'on ne pourrait rien obtenir d’Hitler par des voies diplomatiques ; il était partisan d'une prise de position claire de la part du Vatican, qui serait capable d'encourager les Allemands à organiser de grandes manifestations contre le régime. Preysing, choqué par les télégrammes élogieux que le cardinal Bertram envoyait à Hitler, démissionna en 1940 de son poste de secrétaire de presse de la conférence épiscopale de Fulda, et entra en contact avec le cercle de Kreisau et les conjurés du 20 juillet 1944, tout comme les Pères jésuites Alfred Delp, Lothar König et Augustin Rösch. Juriste de formation, Konrad Graf von Preysing rédigea également une lettre pastorale concernant le Droit et ses violations par le régime nazi, qui fut lue en chaire et qui eut un grand écho en Allemagne et à l'étranger.

 

D'autres catholiques ont manifesté leur opposition vis-à-vis de certains points de la politique nazie. Ainsi, des organismes caritatifs, des médecins et des ecclésiastiques catholiques protestèrent contre l'eugénisme, que les nazis avaient rendu légal en juillet 1933 sous la forme d'une loi sur la prévention de la transmission héréditaire de maladies. L'encyclique Casti connubii, publiée en 1930, interdisait ces pratiques au nom du respect de la vie. En 1934, le directeur de l'action catholique de l'évêché de Berlin, Erich Klausener, qui avait organisé les Journées catholiques de Berlin.

 

Erich Klausener

En 1933 et 1934, fut assassiné sur l'ordre personnel d’Hitler le 30 juin 1934, quelques jours après une messe en plein air qui avait rassemblé des dizaines de milliers de fidèles, ce qu’Hitler avait considéré comme un affront personnel. En 1940, l'archevêque Michael von Faulhaber protesta auprès du ministre de la Justice au sujet de l'assassinat des invalides et des malades mentaux, jugés par les nazis indignes de vivre, car improductifs sur le plan économique. L'opération T4, qui fit plusieurs milliers de victimes, fut finalement suspendue officiellement en août 1941 mais continua sous d'autres formes plus insidieuses : les nazis administrèrent des médicaments aux malades ou les laissèrent mourir de faim dans les institutions. Faulhaber proposa de plus en 1941 au cardinal Bertram que l'Église catholique condamne publiquement les persécutions dont étaient victimes les juifs, ce qui ne se réalisa pas.

Clemens August Graf von Galen

En 1935, l'évêque de Münster, Clemens August Graf von Galen, avait osé protester officiellement contre la venue à Münster d'Alfred Rosenberg, l'un des théoriciens du nazisme, et en 1941, il prononça des sermons condamnant l'assassinat des malades mentaux et des invalides, qui connurent un grand écho et furent reproduits sous forme de tracts et distribués également à l'étranger. Les nazis n'osèrent pas arrêter Clemens August Graf von Galen en raison du soutien que lui témoignait la population.

 

 

 

Max Josef Metzger

D'autres résistants ne furent pas épargnés par la dictature. Ainsi, le prêtre Franz Reinisch fut incorporé en 1941 dans l'armée mais refusa de prêter serment à Hitler ; il fut exécuté. Le prêtre Max Josef Metzger, qui prônait l'œcuménisme et le pacifisme, fut arrêté par la Gestapo en 1939 en raison de son engagement pour la paix, et fut exécuté en 1943.

L'attitude d'une partie des catholiques allemands oscilla entre le soutien et l'accommodement au nazisme. Certes, leur marge de manœuvre était minime, étant donné les persécutions nazies dont ils étaient victimes. Cependant, quelques personnalités comme l'évêque de Berlin Konrad Graf Preysing, l'évêque de Münster Clemens August Graf von Galen, ou encore les prêtres Franz Reinisch et Max Josef Metzger ont eu le courage de s'opposer aux nazis et à leur politique criminelle, et de défendre les persécutés au nom des valeurs chrétiennes, incompatibles avec l'idéologie nazie. Des pèlerinages ainsi que de grandes manifestations, comme celle de 1938 à Aix-la-Chapelle (Aachen) menée sous le slogan Le Christ pour l'Allemagne, l'Allemagne par le Christ rassemblèrent également des dizaines de milliers de catholiques opposés à l'idéologie nazie. Les communistes donnèrent l'ordre à leurs militants de se joindre à ces grandes manifestations qui représentaient l'un des rares moyens de se lever contre le régime.

Autres communautés religieuses. Les Témoins de Jéhovah

Refusaient de faire le salut hitlérien, d'effectuer le service militaire et d'être incorporés dans l'armée. Ils ne pouvaient accepter la volonté de domination nazie, qui allait à l'encontre de leurs convictions religieuses, et furent de ce fait persécutés par les nazis. Des milliers d'entre eux furent déportés en camp de concentration. Après le début de la guerre, beaucoup de Témoins de Jéhovah furent exécutés en raison de leur refus d'intégrer l'armée. Plus de deux mille Témoins de Jéhovah moururent à la suite des persécutions nazies.

Les Quakers

Qui étaient partisans de la tolérance, de la non-violence et de la paix, purent aider jusqu'en 1939 plus d'un millier de juifs à émigrer, grâce à leurs contacts avec les communautés de Quakers à l'étranger. Ils furent persécutés par les nazis en raison de leur engagement pour les victimes du nazisme et pour la paix, et de leur refus des dogmes, qui se heurtait à l'idéologie nazie.

La Résistance juive

Depuis les Lumières allemandes, les relations entre Allemands chrétiens et Allemands juifs s'étaient consolidées, et les juifs allemands étaient intégrés dans la société allemande. La montée de l'antisémitisme, la prise du pouvoir par le parti nazi en 1933, l'action de boycott des magasins juifs le 1er avril 1933, ainsi que l'exclusion croissante des juifs de la société et les diffamations dont ils étaient victimes furent un choc pour les 500 000 juifs allemands. Beaucoup de juifs allemands réalisèrent alors pour la première fois de leur vie qu'ils étaient juifs, et les actions des nazis engendrèrent chez eux une nouvelle conscience de soi.

Le boycott des magasins juifs avril 1933

Le pogrom dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, appelé également la Nuit de Cristal, mit définitivement fin à l'espoir que la persécution des juifs en Allemagne se terminerait un jour, et fit prendre conscience à beaucoup de juifs allemands du danger auquel étaient exposées leurs vies. Dans toute l'Allemagne, des synagogues furent brûlées et détruites, environ 7 500 magasins juifs furent saccagés, 90 juifs perdirent leur vie cette nuit-là, et au moins 26 000 juifs furent arrêtés et internés dans les camps de concentration de Dachau, de Sachsenhausen et de Buchenwald, où des centaines de personnes furent assassinées les jours suivants. Beaucoup de juifs, et surtout ceux appartenant au mouvement sioniste, se préparèrent alors à l'émigration en apprenant un nouveau métier et en prenant des cours de langue. Des centaines de juifs allemands rejoignirent les Brigades internationales, et plusieurs milliers d'exilés juifs allemands combattirent le régime hitlérien au sein des armées alliées et des mouvements de résistance des pays dans lesquels ils résidaient. Mais 150 000 des 500 000 juifs allemands ne purent fuir à l'étranger.

Le lendemain du pogrom les magasins juifs sont saccagers Berlin 10 novembre 1938

La Grande-Bretagne ne laissa immigrer dans son protectorat, la Palestine, que 50 000 juifs allemands. Ceux qui restèrent en Allemagne essayèrent de sauver leur dignité en prenant activement part au travail des institutions juives restantes, et s'entraidèrent afin de limiter la détresse des personnes persécutées et menacées de déportation.
Certains se dressèrent contre l'injustice quotidienne et contre les crimes nazis, d'autres essayèrent de survivre à la persécution en se cachant. Les organisations culturelles et caritatives juives qui se mirent en place essayèrent de limiter l'exclusion des juifs de la vie sociale et de remédier au dénuement financier croissant de la population juive exclue de l'économie. 

Leo Baeck 

La Fédération des juifs d'Allemagne œuvrait sous la direction de Leo Baeck pour la sécurisation sociale des juifs allemands, et organisa la coopération entre les différentes institutions juives pour permettre l'assistance économique et morale des persécutés. Le refus de la communauté juive de se résigner se manifesta surtout dans le domaine des activités culturelles, dont furent exclus les non-aryens dans la société allemande. Des associations de musique, de théâtre, d'Art et de sport renforcèrent leurs activités, et lors de l'exclusion progressive des juifs de l'éducation, un système d'éducation juif fut mis en place.

Kurt Singer

Le chef d'orchestre et réalisateur Kurt Singer créa en 1933 la Fédération culturelle des juifs allemands (Kulturbund deutscher Juden) pour permettre aux artistes juifs de continuer à exercer leur métier, et pour œuvrer contre l'exclusion des juifs de la vie culturelle en Allemagne. Mais en 1935, les autorités nazies contraignirent la scène culturelle juive à fonder la Fédération du Reich des associations culturelles juives (Reichsverband der jüdischen Kulturbünde) et placèrent son travail sous le contrôle direct de la Gestapo. Au moyen de cette mesure et de l'interdiction qui fut faite aux aryens d'assister aux représentations culturelles juives, la Gestapo transforma la fédération en un instrument de mise à l'écart de la population juive, isolée ainsi dans un ghetto culturel et intellectuel. Kurt Singer fut arrêté en Hollande en 1940 et déporté à Theresienstadt, où il mourut en février 1944. 

Chug Chaluzi
Le groupe sioniste clandestin Chug Chaluzi (Cercle de pionniers) se forma au printemps 1943 autour de Jizchak Schwersenz et d'Édith Wolff. Ses 40 membres, provenant pour la plupart des mouvements de jeunesse sionistes, refusèrent de se résigner. Ils apportèrent leur aide aux déportés dans les camps de concentration à l'Est et essayèrent de fuir à l'étranger.

Fête Chavouot du groupe Chug Chaluzi Berlin 1943

Édith Wolff, considérée par les nazis comme métisse de 1er degré, reçut une éducation protestante, mais elle se déclara juive par protestation contre la politique raciale nazie et devint pacifiste et sioniste. Elle permit à plusieurs persécutés de fuir, avait beaucoup de contacts avec des juifs qui se cachaient, et leur procura des cartes de rationnement. Lorsqu'en 1941 commença la déportation massive de juifs à Berlin, le groupe parvint à trouver des cachettes à quelques personnes menacées, et fabriqua également des faux-papiers, ce qui sauva la vie à Jizchak Schwersenz lors d'une razzia de la Gestapo. Celui-ci put fuir en 1944 en Suisse, puis à Haïfa. Édith Wolff fut arrêtée en 1944 par la Gestapo pour avoir procuré des cartes de rationnement à des juifs ; elle put couvrir ses contacts avec des juifs cachés et fut condamnée à une lourde peine de prison. Elle put survivre au régime nazi.

Communauté pour la paix et le renouveau

Werner Scharff fut l'initiateur de la Communauté pour la paix et le renouveau (Gemeinschaft für Frieden und Aufbau), une association d'aide aux persécutés, à laquelle adhéraient une vingtaine de personnes juives et chrétiennes. Werner Scharff était juif et fut déporté en août 1943 au ghetto de Theresienstadt ; il parvint à fuir un mois plus tard et retourna à Berlin, où il vécut dans la clandestinité. Il procura à des juifs, grâce à son grand réseau de relations, des faux-papiers et de l'argent, et leur trouva des cachettes. Il écrivit également des tracts pour la Communauté pour la paix et le renouveau, qui voulait informer la population allemande du véritable caractère du régime nazi, inciter les soldats à déposer les armes, et qui appelait à la résistance contre le nazisme. Ces tracts furent déposés dans des boîtes aux lettres à Berlin et expédiés à des centaines de personnes.

Certains purent même être acheminés clandestinement aux Pays-Bas et en France. En octobre 1944, la Gestapo démantela ce réseau et arrêta Werner Scharff, qui fut assassiné le 16 mars 1945 dans le camp de concentration de Sachsenhausen, quelques semaines avant la libération du camp. Eugen Herman-Friede, un adolescent juif qui avait été caché et protégé par Hans Winkler et qui avait pris part aux activités de la Communauté pour la paix et le renouveau, fut arrêté le 11 décembre 1944 mais parvint à survivre à sa détention. La plupart des membres de ce groupe de résistance purent survivre grâce à la confusion qui régnait en Allemagne lors des derniers mois de la guerre.

Organisations chrétiennes

Des organisations chrétiennes ont aidé des chrétiens d'origine juive et des juifs convertis au christianisme  à émigrer, leur ont fourni des faux-papiers et des visas.

Ainsi, l'association Saint-Paul (Paulus-Bund) a apporté son aide aux persécutés. Le bureau Grüber, fondé en 1938 par le pasteur Heinrich Grüber, apportait son soutien aux protestants d'origine juive en leur proposant une aide juridique et en les aidants à trouver un pays d'accueil. Le pasteur Grüber fut arrêté en 1940 et déporté au camp de concentration de Sachsenhausen puis à Dachau. L'un de ses collaborateurs, Werner Sylten, un membre de l'Église confessante d'origine juive, fut arrêté en 1941, déporté au camp de concentration de Dachau et assassiné.

Gertrud Staewen, une pédagogue membre de l'Église confessante, dont les livres furent interdits par les nazis, créa elle-aussi à Dahlem, avec Helene Jacobs, Mélanie Steinmetz et Franz Kaufmann, un ancien haut-fonctionnaire d'origine juive, une organisation clandestine qui fournissait de faux-papiers et des cartes de rationnement à des juifs ; Gertrud Staewen fut arrêtée par la Gestapo mais put survivre à la guerre, contrairement à Franz Kaufmann, qui fut arrêté en 1943, torturé, déporté, et assassiné le 17 février 1944 au camp de concentration de Sachsenhausen.

Margarete Sommer

L'association catholique Saint-Raphaël et l'œuvre d'assistance de l'ordinariat épiscopal de Berlin ont également apporté leur aide aux persécutés. Margaret Sommer, une universitaire qui avait perdu son poste en raison de son engagement catholique, aida ainsi à partir de 1935 des catholiques d'origine juive. Elle devint en 1941 directrice de la section d'aide aux juifs convertis au catholicisme de l'ordinariat épiscopal de Berlin. Et le 22 mars 1935 fut fondé le Comité d'aide aux non-aryens catholiques, qui proposait une aide juridique aux catholiques d'origine juive, et les aidait à trouver un pays d'accueil pour fuir l'Allemagne. 

Les Quakers, qui étaient partisans de la tolérance, de la non-violence et de la paix, purent aider jusqu'en 1939 plus d'un millier de juifs à émigrer, grâce à leurs contacts avec les communautés de Quakers à l'étranger. Ils furent persécutés par les nazis.

Hans Winkler, Günther Samuel et Erich Schwarz fondèrent après le pogrom de 1938 un cercle de discussion hostile au régime, qui se faisait passer pour un groupe d'épargne (Sparverein Hoher Einsatz). Hans Winkler était employé au tribunal de première instance de Luckenwalde, et assista à partir de 1933 en tant que greffier à des interrogatoires de la Gestapo. Révolté par ce qu'il y vit, il devint un ennemi du régime et décida d'apporter son aide aux persécutés. En août 1943, le couple Samuel et leur fils de dix ans furent déportés, le cercle d'amis n'ayant pas réussi à leur trouver une cachette. Peu de temps après, Winkler parvint à cacher chez lui Eugen Herman-Friede, un adolescent de dix-sept ans, qui vivait depuis le début de l'année 1943 dans la clandestinité à Berlin.

L'Opération Sept

Hans von Dohnanyi

Travaillait au Ministère de la Justice et faisait partie du groupe de résistance formé au sein du contre-espionnage et dirigé par Hans Oster, qui voulait éliminer Hitler et collabora à la conspiration du 20 juillet 1944. Profondément choqué par les exactions commises par les nazis envers les juifs, Hans von Dohnanyi aida des persécutés, rassembla des preuves documentant les crimes nazis, et prépara le putsch du 20 juillet 1944.

Hans Oster

A l'automne 1941, lorsque commencèrent les déportations massives de juifs, le groupe de résistance du contre-espionnage ne put pas protester ouvertement, pour ne pas mettre en danger les activités du réseau, qui prenait part à la conspiration contre Hitler. Hans von Dohnanyi transmit aux généraux des rapports rédigés par son beau-frère Dietrich Bonhoeffer sur la déportation des juifs, afin de les inciter à agir. Mais les militaires n'entreprirent rien pour empêcher ces crimes, et les déportations continuèrent. Le groupe de résistance décida alors de sauver au moins quelques familles juives, en les déclarants en tant que pseudo-agents du contre-espionnage, ce qui permit à quinze juifs berlinois de trouver refuge en Suisse. Cette action fut appelée Opération Sept (Opération Siegen), car il s'agissait au début d'aider sept personnes à fuir. Finalement, le groupe continua ses activités d'aide aux persécutés et entreprit de secourir davantage de personnes, afin d'en sauver le plus grand nombre possible.

Wilhelm Canaris

L'amiral Wilhelm Canaris, chef du contre-espionnage, couvrit ces activités. Pendant les années précédentes, il avait déjà aidé des juifs à fuir et il en protégeait en gardant des officiers d'origine juive au sein du contre-espionnage, malgré la loi de 1935 interdisant aux juifs d'exercer des activités dans l'armée. Couverts par Canaris, des officiers du contre-espionnage organisèrent la fuite de juifs des Pays-Bas, qui devaient être déportés, en prétendant que c'étaient des espions qui devaient s'infiltrer en Amérique du Sud. Entre mai 1941 et janvier 1942, 468 juifs allemands et néerlandais purent ainsi trouver refuge en Espagne et au Portugal, et s'exiler à partir de ces pays vers des pays d'accueil. Cette opération fut nommée l'Action Aquilar.

Ludwig Beck

Essaya d'influencer Hitler et les généraux afin d'éviter la guerre qui, et les généraux le savaient à partir de 1937, était l'objectif proclamé de Hitler pour conquérir de l'espace vital au peuple allemand. Il appela même tous les généraux allemands à menacer Hitler de démissionner s'il ne retirait pas ses plans de guerre, mais le chef suprême des forces armées von Brauchitsch, dont la décision était essentielle pour le reste des généraux, n'était pas prêt à faire ce pas de désobéissance collective. Ludwig Beck démissionna alors le 18 août 1938 de son poste de chef de l'état-major de l'armée de terre pour poursuivre sa lutte contre la dictature à l'extérieur de l'appareil militaire. Celui-ci fut en 1938 complètement mis au pas par Hitler, qui limogea tous les généraux s'opposant à sa politique agressive. Le régime continuait à procéder au réarmement massif de l'armée, et à préparer et commettre des crimes au nom du peuple allemand. Ludwig Beck entra alors définitivement dans la Résistance allemande et il fut prévu qu'il devienne chef d'État après l'élimination du dictateur. Le soir du 20 juillet 1944, après l'échec du putsch, on l'obligea à se suicider; grièvement blessé, il fut abattu par un adjudant.

Carl Friedrich Goerdeler

Maire de la ville de Leipzig à partir de 1930, était convaincu déjà avant la guerre que le régime nazi allait conduire l'Allemagne vers une catastrophe économique, politique et surtout morale. Il décida en 1937 de démissionner de ses fonctions et de regrouper des amis qui partageaient ses convictions, afin d'organiser la chute du régime hitlérien. Il trouva un poste dans l'entreprise de Robert Bosch, dont il avait fait la connaissance auparavant, et qui participait à des actions d'assistance à des hommes et des femmes persécutés par la dictature. Son emploi de conseiller chez Bosch était une couverture idéale pour ses activités, car il lui permettait d'effectuer des voyages dans quasiment tous les pays européens, ainsi qu'aux États-Unis et au Canada, où il faisait tout son possible pour avertir les gouvernements étrangers, avant la guerre, du danger que représentait le régime nazi, et pour les convaincre de l'existence d'une autre Allemagne. L'opinion internationale avait avant la guerre encore tendance à voir en Hitler une chance pour l'Allemagne, et on l'admirait partiellement pour sa victoire impressionnante contre le chômage, ce qui est l'une des raisons de l'échec des nombreuses tentatives des résistants allemands de trouver du soutien à l'étranger.
A partir de 1938, Carl Friedrich Goerdeler fut le centre de la résistance civile. Après un putsch, il devait prendre la fonction de chancelier du Reich. Parallèlement à sa critique du régime totalitaire nazi, il développa des projets pour la nouvelle Allemagne post-hitlérienne. Ses idées concernant le nouvel ordre politique de la société allemande s'approchaient des conceptions du cercle de Kreisau constitué autour de Helmut James Graf von Moltke ; Goerdeler projetait une société consensuelle, reposant sur le partenariat, avec des instances de médiation autonomes. D'autre part, il était pour une Allemagne forte en Europe, mais dans une vision très humaniste, c'est-à-dire en tant que facteur de stabilité.
La Gestapo recherchait déjà Carl Friedrich Goerdeler avant le 20 juillet 1944. Il parvint à se cacher après l'échec du coup d'état, mais fut dénoncé et arrêté. Il fut condamné à mort le 8 septembre 1944, et exécuté le 2 février 1945.


08/03/2013
0 Poster un commentaire

LA RÉSISTANCE EN ALLEMAGNE 1re partie

Contre le nazisme, être résistant en Allemagne

En Allemagne, la résistance au nazisme ne fut le fait ni d'un seul groupe ni d'un mouvement de masse. Même s'ils furent une minorité, des Allemands, hommes et femmes de toutes les catégories politiques, sociales et religieuses, combattirent Hitler, connurent l'exil et les camps et trouvèrent la mort.

Incendie du Reichstag, Berlin, 27 février 1933.

Lorsqu'on parle de la résistance allemande, il faut d'abord rappeler qu'il ne s'agissait ni d'un seul groupe ni d'un mouvement de masse. Certes, on y trouve des représentants de toutes les catégories politiques, sociales et religieuses, mais même aujourd'hui soixante ans après, il nous est pratiquement impossible d'avancer leur nombre exact. Les procédures juridiques sont une des principales sources pour obtenir une première estimation. Il s'agit aussi bien de dossiers de l'époque nazie que de ceux de l'après-guerre, lorsque les survivants en RFA et en RDA ont tenté d'obtenir une indemnisation ou la réinstallation dans leurs droits. Mais quel que soit le chiffre avancé - entre 150 000 et 500 000 résistants - leur nombre reste faible par rapport aux 70 millions de personnes que comptait le Reich avant la guerre.
Les premiers touchés par la répression furent notamment les adversaires politiques des nationaux-socialistes. La chasse aux communistes commence dès l'arrivée d’Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933. Trois semaines plus tard, le 22 février, SA et SS deviennent police auxiliaire en Prusse. Arrêtés en masse un jour après l'incendie du Reichstag à la suite de l'ordonnance du 28 février sur la protection du peuple et de l'État, les communistes obtiennent quand même 12,2% lors des élections du 8 mars 1933. Étant donné qu'ils ne sont pas présents lors de la première réunion du nouveau Reichstag, les 43,9% des voix obtenus par le parti national-socialiste (NSDAP) plus les 11,2% pour le Centre (le parti des Catholiques), et les 8% pour les nationaux-démocrates (DNVP) suffisent à Adolf Hitler pour faire passer la loi sur les pleins pouvoirs à la majorité des deux tiers imposée par la Constitution de la République de Weimar qui reste en vigueur jusqu'en 1945.

Les sociaux-démocrates qui avaient obtenu 18,2% lors des élections du 8 mars et ont voté contre la Loi sur les pleins pouvoirs sont la prochaine cible. En mai 1933, le parti crée une direction extérieure, la SOPADE, qui s'installe d'abord à Prague, puis à Londres. Le Centre cesse ses activités politiques après la signature du Concordat d'État entre l'Allemagne d’Hitler et le Vatican à Rome le 20 juillet 1933.
Une semaine auparavant, le 14 juillet, Hitler déclare le NSDAP parti unique en Allemagne. À partir de cette date, toute forme d'engagement politique en dehors du mouvement national-socialiste est illégale et risque d'être sanctionnée immédiatement. Mais, même dans cette situation précaire et difficile pour tous les militants, la gauche n'est pas prête à oublier ses querelles. La rivalité entre communistes et sociaux-démocrates permet à la Gestapo de venir vite à bout de leurs organisations clandestines.
Le même sort est réservé aux opposants - beaucoup moins nombreux - venant de la droite et du parti du Centre. Ils sont soit arrêtés soit mis à mort lors de la nuit des longs couteaux, le 30 juin 1934 (Röhm-Putsch). Une partie des protestants s'organisent en octobre 1934 sous forme d'une Direction provisoire de l'Église confessant (Bekennende Kirche).

 Les propositions de l'émigration allemande restent sans écho

L'acceptation du régime par la masse des Allemands, le succès de la politique menée par les nationaux-socialistes dans le domaine économique et social aussi bien que dans le domaine de la politique étrangère - retour de la Sarre au Reich en 1935 et annulation successive des stipulations du Traité de Versailles avec la réinstallation du service militaire le 16 mars 1935, signature d'un traité naval avec la Grande-Bretagne le 18 juin 1935 et remilitarisation de la Rhénanie le 7 mars 1936 mettent les esprits des résistants à rude épreuve.

Ni l'Union soviétique, ni la France, ni la Grande-Bretagne ne sont prêtes à écouter les propositions venant de l'émigration allemande qui s'est installée à Moscou à l'Hôtel Lux, à Paris à l'Hôtel Lutétia, ou encore à Prague et à Londres. Les voyages clandestins à Londres et à Paris en 1937 de l'ancien maire de Leipzig, Carl Goerdeler, un des leaders de l'opposition conservatrice en Allemagne restent également sans résultats. Étant donné que Goerdeler avait proposé, entre autres, de revenir à la situation d'avant la Première Guerre mondiale, pour les Britanniques aussi bien que pour les Français, les alternatives présentées par les élites conservatrices ne sont guère convaincantes.

 

En mars 1938, au moment de l'Anschluss (annexion de l'Autriche), la situation de la résistance en Allemagne semble désespérée. La plupart des militants - s'ils n'ont pas préféré renoncer à toute activité politique - se trouvent soit dans des camps de concentration, soit en exil à l'étranger.
Mais seulement deux mois plus tard, avec la crise des Sudètes au mois de mai 1938, tout bascule. Hitler semble bien décidé à réaliser le programme qu'il avait annoncé aux plus hauts représentants politiques et militaires du Reich le 5 novembre 1937. Autour du chef d'état-major de l'armée de terre, le général Beck, se forme un nouveau groupe constitué d'officiers et de hauts fonctionnaires d'État qui ne veulent en aucun cas courir le risque d'une nouvelle Grande Guerre. L'idée de ces hommes, issus de l'élite national-conservatrice est de faire arrêter Hitler au moment du lancement d'une attaque contre la Tchécoslovaquie. Mais à la dernière minute, sous la pression de l'action conjointe de Hermann Göring, le deuxième homme du IIIe Reich, de Konstantin von Neurath, l'ancien ministre des affaires étrangères, et de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, Hitler change d'avis et accepte l'idée lancée par Mussolini d'organiser une conférence à quatre à Munich.

La signature des accords de Munich en septembre 1938 marque la fin de cette première conspiration contre Hitler. Le général Beck donne sa démission et les membres du groupe cessent leurs activités. Une autre occasion se présente au cours de l'hiver 1939-1940 lors de la préparation de l'offensive contre la France. Cette fois-ci, c'est au tour du général Hans Oster du Service de contre-espionnage de l'armée de terre (Abwehr) de prendre l'initiative. Mais l'idée de mettre les adversaires au courant du début de l'offensive contre la France et la Belgique se solde par un échec : en reportant la date de l'attaque allemande à maintes reprises, Hitler - sans le savoir - jette le discrédit sur les informations données par Oster. La débâcle de la France, à l'été 1940, met de nouveau un terme à la conspiration des militaires.

Tentatives d'attentats et groupes de résistants

Mais la résistance contre Hitler ne se manifeste pas seulement du côté des élites. L'attentat contre la brasserie Bürgerbräukeller à Munich le 8 novembre 1939 est un acte isolé, préparé par un seul homme. La bombe fabriquée par le menuisier Georg Elser manque de peu son but parce qu’Hitler quitte les lieux plus tôt que prévu. Vu son efficacité, la Gestapo est au début convaincue que Georg Elser a bénéficié d'une aide venant de l'étranger. Ce n'est que quelques semaines plus tard, et grâce à d'autres activités, qu'elle s'aperçoit qu'un esprit de résistance est toujours vivace en Allemagne.

Déblaiement après l'attentat à la bombe contre Hitler à la cave brasserie Bürgerbräu, Munich, 8 novembre 1939.

Après les arrestations massives au début des années trente, l'opposition a commencé à se réorganiser en Allemagne sous d'autres formes. De petits groupes apparaissent aussi bien du côté de la gauche que du côté de la droite. L'engagement dans la lutte contre le régime nazi s'intensifie avec le début de la guerre à l'est le 22 juin 1941 et avec la persécution des Juifs. Mais, malgré les activités de l'Orchestre rouge (un groupe de hauts fonctionnaires autour de Harro Schulze-Boysen, un officier de la Luftwaffe), le Groupe Baum (un réseau de Juifs à Berlin), la Rose blanche (un mouvement d'étudiants, créé par Sophie et Hans Scholl à Munich), les Edelweisspiraten à Cologne et la Swing-Jugend à Hambourg (tous les deux des mouvements de protestation organisés par des jeunes) - pour ne citer ici que quelques exemples -, il est incontestable qu'il s'agit toujours d'une minorité.
Par rapport à la situation en France et dans les autres pays occupés de l'Europe, il ne faut jamais oublier que, pour un Allemand ou une Allemande, faire de la résistance est une décision difficile à prendre. Il faut s'engager non seulement contre son propre pays, mais aussi, si nécessaire, contre ses concitoyens. Combattre son propre gouvernement, même lorsqu'il s'agit d'un régime criminel, est un acte de haute trahison, puni de la peine capitale. Ce problème est au centre des débats organisés à partir de 1942 par le comte Helmut James Graf von Moltke sur son domaine à Kreisau en Basse-Silésie (d'où le nom Cercle de Kreisau). La nécessité d'un assassinat collectif des plus hauts représentants du régime (Hitler, Himmler, Göring) et la question de la légitimité d'une insurrection de la conscience (Aufstand des Gewissens), ne pose pas seulement problème à ces hauts fonctionnaires, mais aussi aux soldats qui ont tous fait serment de servir Hitler en personne.

Le 8 janvier 1943, quelques jours avant la capitulation de la sixième armée à Stalingrad, un premier contact est établi entre le général Beck, Carl Goerdeler et le Cercle de Kreisau. Mais pour pouvoir agir, il leur faut quelqu'un dans l'entourage d’Hitler, parce que celui-ci a pris l'habitude de se retrancher de plus en plus dans son Grand Quartier Général. Cet homme est le colonel Henning von Tresckow, le chef de l'état-major du groupe d'armée du Centre sur le front de l'Est. Après avoir été témoin des atrocités commises par les Einsatzgruppen dans les territoires occupés par les Allemands à l'Est, il est décidé à agir. Mais aucune des tentatives d'attentat contre Hitler ne réussit.

Arrestations, déportation et mises à mort

Cependant la Gestapo ne reste pas inactive. Après avoir réussi à l'été 1943 à démanteler le cercle de l'Abwehr autour du général Oster, elle arrête au début de 1944 son chef, l'amiral Canaris, et le comte Helmut James von Moltke. Le temps presse, mais chacun de ces échecs demande un changement et une adaptation des plans. Au moment du débarquement des Alliés le 6 juin 1944, il est déjà presque trop tard. Le colonel Claus von Stauffenberg, qui a pris la relève, est désormais le seul parmi les conjurés qui peut approcher Hitler. Le colonel von Tresckow, qui se trouve sur le front de l'Est, demande à son ami de lancer le coup d'État même au risque d'un échec pour prouver au moins l'existence d'une autre Allemagne. Mais l'attentat et l'opération Walkyrie du 20 juillet 1944 échouent.
Lors de l'arrestation des différents acteurs, la Gestapo s'aperçoit, à sa grande surprise, qu'il ne s'agit pas d'un complot organisé par un petit groupe d'officiers ambitieux et bêtes, comme le soupçonnait encore Hitler dans son discours radiodiffusé dans la nuit du 20 juillet 1944. Stauffenberg et ses conjurés de la Bendelerstrasse avaient établi des contacts non seulement avec les élites conservatrices (Carl Goerdeler, Ludwig Beck, Helmut James Graf von Moltke), mais aussi avec presque tous les autres groupes de résistance en Allemagne. Grâce aux documents que la Gestapo découvre dans le quartier général de l'armée de terre à Zossen, Hitler donne l'ordre de remonter toutes ces filières et de procéder à une vague d'arrestations. Lors de cet Action orage (Aktion Gewitter), la majorité des résistants est arrêtée et même les membres de leurs familles sont internés. Dans les mois qui suivent, la vengeance d’Hitler est terrible : par dizaines, les résistants sont jugés et condamnés à mort par le président du Tribunal du peuple, Roland Freisler. Parmi ceux qui se trouvent encore dans les prisons ou dans des camps de concentration comme Flossenbürg, sur l'ordre du Reichsführer SS Heinrich Himmler, un grand nombre est assassiné juste avant la libération des camps. À la fin de guerre, la résistance allemande est donc littéralement décapitée.

La Résistance d’exilé

Les exilés allemands qui ont résisté au national-socialisme venaient d'horizons différents. Divisés, voire opposés sur le plan politique, religieux ou culturel, ils avaient pourtant des objectifs communs : incarner à l'étranger une autre image de l'Allemagne et entreprendre tout ce qui était en leur pouvoir pour contribuer à la chute de la dictature nazie.
L'exil avait besoin de l'opposition au sein du Reich pour légitimer sa revendication de représentation d'une autre Allemagne, mais aussi pour combattre son isolement. Cette tâche était particulièrement ardue, car le syndrome de Vansittart sévissait pendant la guerre dans les pays alliés. Robert Vansittart était un prétendu représentant du Foreign Office, qui a soutenu à partir de 1940 dans de nombreux discours radiodiffusés que l'autoritarisme, le militarisme, l'impérialisme et la tendance au mépris de l'humanité étaient dans la nature même du peuple allemand. L'une des tâches essentielles des émigrants allemands résistants était de prouver à l'opinion mondiale qu'il n'en était rien, et que des forces démocratiques allemandes luttaient contre l'hitlérisme. Il s'agissait également pour les Allemands démocrates exilés d'éviter la mise en application des plans alliés de la division du Reich après la défaite nazie, et de tenter d'influencer les gouvernements alliés pour que l'Allemagne ait une place dans l'Europe de l'après-guerre.
Par ailleurs, la propagande nazie minimalisait et diffamait la résistance allemande, et il fallait convaincre l'étranger de la réalité de cette opposition, y compris à l'intérieur du Reich. Mais il s'agissait également pour les exilés résistants, soumis même à l'étranger aux représailles des autorités nazies, de se procurer des informations sur ce qui se passait en Allemagne, ainsi que de faire passer clandestinement des tracts, des messages et de la littérature censurée. La résistance des exilés, au delà de ses fonctions de représentation, d'information à l'étranger et de soutien de la résistance en Allemagne, jouait donc également un rôle d'intermédiaire, de passeur entre la résistance intérieure et l'étranger.

Résistance politique

Les objectifs de cette forme de résistance étaient de soutenir les résistants restés dans le Reich et d'informer l'opinion mondiale sur la nature répressive et criminelle du régime nazi. Il s'agissait également de trouver des alliés à l'étranger pour isoler politiquement, moralement et économiquement le Reich et le mettre sous pression, afin de contribuer à la chute du régime nazi, mais aussi de poser les bases théoriques et idéologiques pour la reconstruction d'une Allemagne démocratique après la guerre.

L’exil des parties politiques. Sociaux-démocrates (SPD)
La SOPADE, direction exilée du SPD, s'installa en 1933 à Prague, puis en 1938 à Paris, et trouva finalement refuge en juin 1940 à Londres. Ses objectifs étaient d'informer l'étranger sur la nature du régime hitlérien, de diffuser clandestinement des tracts dans le Reich, de soutenir les groupes de résistance sociaux-démocrates restés en Allemagne, et de mettre en place des réseaux permettant à des persécutés de fuir l'Allemagne.

 

Communistes (KPD)

Selon les instructions de Moscou, seuls les plus hauts fonctionnaires du parti qui avaient pu échappé à l'arrestation par les nazis s'exilèrent en 1933 en URSS, où furent fondés le comité central et le bureau politique exilés du KPD. Ernst Thälmann, le dirigeant du parti, et Ernst Torgler, le chef de la fraction communiste au Reichstag, avaient été arrêtés en février-mars 1933. Les autres membres du parti devaient rester dans le Reich afin de provoquer un soulèvement antifasciste de masse en Allemagne. Selon les instructions de Staline, leur rôle consistait à combattre non seulement les nazis, mais aussi les sociaux-démocrates, qualifiés de sociaux-fascistes. En 1935-36, la tentative de former un Front populaire contre le nazisme avec les sociaux-démocrates se solda par un échec, car ceux-ci refusèrent de se plier aux directives de Moscou. A partir de 1945, les dirigeants communistes exilés à Moscou furent nommés à des postes clefs de l'administration dans la zone d'occupation soviétique, puis prirent la direction du parti SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands) et du gouvernement lors de la création de la RDA.
 Libéraux
Les politiciens centristes exilés Carl Spiecker et Otto Klepper fondèrent à la fin de l'année 1937 à Paris le DFP, Parti de la Liberté allemand (Deutsche Freiheitspartei), qui poursuivit ses activités à Londres après l'occupation de la France par l'armée allemande. Hans Albert Kluthe, membre du DFP, fut le rédacteur en chef du journal libéral exilé Das wahre Deutschland - Auslandsblätter der deutschen Freiheitspartei, et établit le programme de la radio antifasciste allemande Deutscher Freiheitssender qui émettait à partir d'Angleterre. Le DFP avait par l'intermédiaire de Carl Spiecker des contacts avec Goerdeler et son groupe de résistance.

Tentatives d’Union des Forces Résistantes. Front populaire allemand
De célèbres exilés allemands, notamment Wilhelm Pieck, Walter Ulbricht, Willy Brandt, Ernst Bloch, Lion Feuchtwanger, Heinrich et Klaus Mann et Ernst Toller, apposèrent leur signature à un appel à la formation d'un Front populaire allemand (Deutsche Volksfront), publié à Paris le 19 décembre 1936. L'expérience de ce Front populaire allemand se solda par un échec, en raison des frictions et des oppositions politiques entre les divers partis ; dès 1937, le Front se disloqua, avant d'être dissous officiellement en 1939 en raison du pacte conclu entre Hitler et Staline.
 Union franco-allemande
Au mois de mai 1939 naquit l'Union franco-allemande ; ses fondateurs, parmi lesquels les émigrants allemands Alfred Döblin, Franz Werfel, Otto Klepper, Willi Münzenberg et Hermann Rauschning, et les Français Paul Boncour et Yvon Delbos, anciens ministres des Affaires étrangères, se sont engagés pour la préservation de la paix et la cohabitation pacifique des nations européennes, sur la base des valeurs humanistes traditionnelles de la civilisation occidentale.
Council for a Democratic Germany (CDG)
En 1944 fut fondé aux États-Unis le Council for a Democratic Germany (CDG), présidé par Paul Tillich ; l'objectif de cette organisation était de représenter à l'étranger les forces démocratiques allemandes de tous les horizons politiques. Le CDG a ébauché un programme pour une Allemagne démocratique après la guerre, s'est résolument opposé à la division du pays après la défaite nazie, et a réclamé d'autre part une dénazification par l'éducation des Allemands à la démocratie, en souhaitant que cela soit fait par d'anciens exilés allemands. Le CDG fut un échec, car les décisions devaient être prises à l'unanimité, ce que les oppositions internes entre les représentants des divers partis rendirent impossible.
Comité national de l'Allemagne libre (Nationalkomitee Freies Deutschland, NKFD)
Ce comité fut fondé en 1943 par la section politique de l'armée soviétique et par le comité central du KPD exilé à Moscou ; ses objectifs étaient, au moyen d'un travail de propagande, de détourner les prisonniers de guerre allemands du nazisme et d'encourager les soldats allemands à déserter. Le NKFD tentait de rallier toutes les tendances politiques à l'union contre Hitler ; dans ses rangs, on ne comptait pas uniquement des communistes, mais aussi, par exemple, une centaine de pasteurs, prêtres et étudiants en théologie de la Wehrmacht, prisonniers dans les camps russes, qui se sont joints au NKFD en raison des persécutions dont étaient victimes les Églises dans le Reich. Les communistes, notamment Wilhelm Pieck et Walter Ulbricht, futurs dirigeants de la RDA, ont finalement pris la tête du NKFD, qui est devenu un instrument de propagande entre les mains du gouvernement soviétique.

L'Autre Allemagne (Das Andere Deutschland) et Allemagne Libre (Freies Deutschland)
En 1937 fut fondé en Argentine le comité L'Autre Allemagne (Das Andere Deutschland), et en 1941-42 naquit au Mexique le mouvement Allemagne Libre (Freies Deutschland). En 1943, ces deux comités créèrent des organismes de coordination dans toute l'Amérique latine, où vivaient beaucoup d'Allemands, et où s'opposaient nazis et résistants allemands. D'inspiration communiste tout comme le NKFD, ces comités, dont Heinrich Mann avait la charge honorifique, regroupaient toutefois des résistants allemands de tous les horizons politiques et idéologiques. Leur travail consistait à informer l'opinion mondiale en diffusant des publications antifascistes et à développer des concepts pour la nouvelle Allemagne d'après-guerre.

Les projets d'union des différents mouvements de résistance exilés échouèrent notamment en raison des divergences politiques. La volonté du journaliste exilé à Londres Sebastian Haffner, de son vrai nom Raimund Pretzel, de former un gouvernement allemand exilé qui disposerait de son propre service de propagande et d'une organisation d'aide aux réfugiés, ne put s'imposer en raison des divisions internes entre les divers mouvements de résistance, et la Résistance allemande n'avait donc pas d'organe unifiant les forces ni de gouvernement exilé susceptible de représenter politiquement l'autre Allemagne à l'étranger.

Résistance armée

Environ 5 000 Allemands, pour la plupart des communistes et des socialistes, se sont engagés à partir de 1936 dans la guerre civile d'Espagne aux côtés des Républicains, au sein des Brigades Internationales ; les deux tiers d'entre eux sont morts au combat.
Pendant la guerre, des Allemands ont également combattu dans les armées alliées, comme par exemple les écrivains Klaus Mann, qui a combattu aux côtés des Américains, et Stefan Heym, qui a travaillé pour les services de propagande de l'armée américaine. Des déserteurs se sont également joints aux armées alliées. 
D'autres Allemands ont choisi de s'engager dans les mouvements de résistance des pays occupés. Ainsi, à partir de 1941, plusieurs centaines d'Allemands se sont engagés dans la Résistance française, notamment dans la division Travail anti-allemand du Front National de Libération (FNL). Leur tâche consistait à apporter leur aide dans tous les domaines pour lesquels des connaissances linguistiques ou de civilisation étaient nécessaires, comme l'espionnage, la prise de contact avec des Allemands, et la diffusion de propagande antifasciste au sein de l'armée allemande. De nombreux Allemands, surtout des communistes, ont également résisté et combattu dans le maquis aux côtés des Francs-tireurs et Partisans Français (FTPF). D'autres résistants allemands se sont engagés dans les mouvements gaullistes. Au printemps 1944 s'est constitué dans le maquis français, sur le modèle du Comité National de l'Allemagne libre (Nationalkomitee Freies Deutschland) fondé à Moscou, un Comité de l'Allemagne libre pour l'Occident (Komitee Freies Deutschland für den Westen), qui a été reconnu après la libération de la France comme une division à part entière de la Résistance française.
D'autres Allemands ont rejoint la Résistance grecque (ELAS), comme par exemple Falk Harnack, membre du groupe de résistance La Rose Blanche (Die Weiße Rose) et frère d'Arvid Harnack, l'un des fondateurs du mouvement résistant L'Orchestre rouge (Die Rote Kapelle). Falk Harnack a déserté pour rejoindre l'ELAS, et a fondé le Comité antifasciste de soldats allemands (Antifaschistisches Komitee deutscher Soldaten, AKFD). Et Willy Brandt, futur chancelier allemand, a combattu au sein de la Résistance norvégienne.

 

Résistance culturelle

L'écriture de l'exil dénonçait le national-socialisme, informait l'opinion mondiale sur la nature de la dictature nazie en diffusant des journaux comme le Pariser Tagesblatt, des brochures, des livres ou des tracts antifascistes, en rédigeant des articles pour la presse étrangère (Heinrich Mann par exemple collaborait à la Dépêche de Toulouse), mais traitait également de l'exil, des difficultés à être apatride, clandestin, constamment en fuite. Les résistants ont organisé des conférences et des expositions, ont monté des cabarets satiriques, ont mis en scène des pièces de théâtre allemandes interdites en Allemagne, et ont fondé des comités de lutte antifasciste. Il s'agissait d'une résistance intellectuelle qui s'est exprimée de façon individuelle dans des œuvres littéraires ou des actions ponctuelles, mais qui a également donné lieu à la création de cercles de réflexion et de publications antifascistes destinées à éveiller et faire réagir les consciences contre la dictature hitlérienne. C'est ainsi qu'a été publié en juillet 1933 le Livre brun sur l'incendie du Reichstag et le régime de terreur hitlérien (Braunbuch über Reichstagsbrand und Hitlerterror), traduit en quinze langues, dont 70 000 exemplaires furent diffusés dès les quatre premiers mois, et qui fut tiré en tout à plus d'un demi-million d'exemplaires. Et en 1934 fut créée à Paris sur l'initiative de Heinrich Mann, André Gide et Romain Rolland une Bibliothèque des livres brûlés en Allemagne (Deutsche Freiheitsbibliothek, littéralement la Bibliothèque allemande de la Liberté), qui rassemblait des œuvres qui avaient été interdites et brûlées par les nazis lors de l'autodafé de livres en 1933.
L'offensive de la vérité menée par ces résistants allemands exilés prit de l'ampleur. Plus de 400 journaux, revues et bulletins d'information furent publiés par les résistants émigrés, dont une grande partie put être diffusée clandestinement dans le Reich. L'Association de défense des écrivains allemands (Schutzverband deutscher Schriftsteller), fondée à Paris, diffusait ainsi clandestinement en Allemagne des journaux, revues et discours antifascistes. Ces périodiques informaient non seulement les Allemands du Reich et les exilés, mais également les politiciens, gouvernements et journalistes de l'étranger. Citons par exemple Das Wort, publication antifasciste allemande créée par Feuchtwanger, Brecht et Bredel à Sanary-sur-Mer (la capitale de la littérature allemande de l'exil, comme l'a nommée Ludwig Marcuse, où près de deux cents auteurs allemands ont trouvé provisoirement refuge), ou encore Die Sammlung, revue éditée par Klaus Mann à Amsterdam, Die neuen deutschen Blätter (Prague), Der Wiener Bücherwurm, Der Gegen-Angriff (Prague), Der deutsche Weg (revue éditée aux Pays-Bas par l'anthropologue catholique Friedrich Muckermann), Das deutsche Volksecho (revue publiée par Stefan Heym à New-York de 1937 à 1939), la revue Frontpost, destinée aux soldats allemands, publiée par Stefan Heym dans le cadre de la guerre psychologique menée par l'armée américaine, les éditions Allert de Lange, fondées à Amsterdam par Hermann Kesten, ou encore la revue Cahiers du Sud de Jean Ballard, lieu d'expression pour les écrivains et journalistes antifascistes allemands. 
En 1933 fut fondée à Paris l'Impress, agence de presse indépendante créée par Kurt Rosenfeld et Sandor Rado ; elle fournit jusqu'en 1936 des extraits de la presse allemande et des commentaires critiques sur l'Allemagne nazie. Le travail des agences de presse, des journalistes et des conférenciers, diffusé dans la presse écrite mais aussi à la radio, sans oublier les livres écrits par de grands écrivains exilés comme Thomas Mann, les récits de persécution et de fuite, et les ouvrages rédigés par des politiciens exilés de la République de Weimar, permirent d'informer l'opinion mondiale sur la nature du régime nazi.
Cette forme de résistance débuta bien avant la guerre : Ernst Toller et Lion Feuchtwanger reconnurent très tôt le danger et dénoncèrent Hitler dans leurs livres bien avant son arrivée au pouvoir. Joseph Roth, Thomas Mann, Kurt Tucholsky et Carl von Ossietzky étaient eux aussi depuis longtemps des ennemis déclarés du nazisme. Mais leurs prises de position et leur engagement ne furent pas suffisamment pris au sérieux et ne purent empêcher l'arrivée au pouvoir des nazis.
Environ 2 500 écrivains germanophones s'exilèrent pour des raisons racistes ou politiques, car ils risquaient leur vie en Allemagne. Mais ces écrivains avaient des convictions politiques et intellectuelles tellement différentes qu'ils n'ont pu parvenir à s'unir. Le 1er Congrès international d'écrivains pour la défense de la culture, organisé par l'Association de défense des écrivains allemands (Schutzverband deutscher Schriftsteller, SDS) eut lieu à Paris en 1935 ; des écrivains français, notamment André Gide, André Malraux, Henri Barbusse, Paul Eluard et Aragon, y participèrent. Cette manifestation trouva un grand écho dans la presse internationale, mais souligna encore plus les divergences idéologiques profondes entre les exilés et leur incapacité à s'unir, même s'ils partageaient le même sort et la même hostilité envers Hitler. 
En dépit de ces divisions, la littérature de l'Exil a tout de même atteint son objectif, qui était de combattre la terreur nazie avec l'arme que représentent les mots : les écrivains et journalistes exilés purent contribuer à mobiliser l'opinion mondiale contre la terreur nazie, diffuser des informations politiques grâce à leurs réseaux d'informateurs restés dans le Reich, et former ainsi un efficace instrument de contre-propagande redouté par le régime nazi. Les persécutions dont furent victimes les écrivains et journalistes pendant le Troisième Reich en sont la preuve ; la politique culturelle du Reich consistait à éliminer les contestataires, surveiller les maisons d'éditions, censurer, et brûler les livres mis à l'index. Les écrivains, qui s'étaient pour la plupart exilés, formaient la majorité des personnalités pour lesquelles les nazis avaient engagé des demandes d'extradition. Les personnalités les plus représentatives de l'exil et les plus respectées par l'ensemble de l'opinion internationale étaient d'ailleurs des écrivains comme Heinrich Mann ou son frère Thomas Mann, et non d'anciens ministres et parlementaires de la République de Weimar ou des dirigeants de parti.

 

Résistance religieuse

Le pasteur Hermann Maas fit en 1933 un voyage en Palestine afin de trouver des possibilités de fuite pour les juifs allemands. Ce réseau donna naissance au Comité ecclésiastique international d'aide aux réfugiés allemands (Internationales kirchliches Hilfskomitee für deutsche Flüchtlinge).
Il faut souligner également les initiatives individuelles, comme celle du Père jésuite Friedrich Muckermann, réfugié aux Pays-Bas, qui parvint à diffuser clandestinement en Allemagne des tracts antinazis dans des cercles religieux en Rhénanie et en Westphalie. Des adolescents, comme Theo Hespers, Walter Hammer et Karl Paetel, ont pu à partir de leur pays d'exil diffuser des journaux et des tracts antinazis en Allemagne.

Résistance scientifique

Les scientifiques dont les travaux étaient déconsidérés par les autorités allemandes ou qui étaient d'origine juive se sont pour la plupart exilés en Angleterre ou aux États-Unis, où ils ont travaillé pour les gouvernements étrangers, y compris pour l'élaboration de nouvelles armes et technologies. Albert Einstein, au delà de son travail scientifique, a également profité de sa notoriété mondiale pour s'engager activement dans la lutte politique au moyen de conférences, d'interventions dans des universités et d'articles de journaux.

Aide aux réfugiés

Kurt Grossmann, secrétaire de la Ligue des Droits de l'Homme allemande, s'exila en Tchécoslovaquie. Il créa à Prague l'Organisation démocratique d'assistance aux réfugiés (Demokratische Flüchtlingsfürsorge), qui venait en aide aux pacifistes allemands exilés en Tchécoslovaquie.
Les communistes créèrent des réseaux qui permettaient à des persécutés de fuir l'Allemagne, ainsi qu'une organisation venant en aide aux réfugiés, l'Aide Rouge Internationale (Internationale Rote Hilfe).

Représailles nazies

L'Offensive de la Vérité (Wahrheitsoffensive) menée par les exilés résistants contrecarrait la stratégie de propagande nazie qui consistait à minimiser le danger et à masquer les intentions réelles du gouvernement national-socialiste. Les résistants exilés revendiquaient la représentation d'une autre Allemagne, ce qui contredisait la prétention nazie d'une identité totale entre le gouvernement et l'État, le national-socialisme et l'Allemagne. La propagande nazie tentait d'établir un monopole sur tout ce qui était allemand, en l'adaptant à sa propagande. La mythologie germanique et l'œuvre de Nietzsche ont été ainsi galvaudés à des fins de propagande. Les résistants exilés qui tentaient de préserver l'héritage de la tradition culturelle allemande et de la démarquer du régime nazi représentaient donc un danger pour celui-ci. Le gouvernement national-socialiste a par conséquent tenté par tous les moyens d'éliminer cette opposition : propagande nazie, interventions diplomatiques, surveillance des exilés et de leurs activités à l'étranger par des agents de la Gestapo et par les consulats et ambassades allemands, demandes d'extradition, internement en camp de concentration en cas de retour en Allemagne, privation de la nationalité allemande, confiscation des biens, prise en otage de la famille des exilés ou encore enlèvements et meurtres.
 Propagande nazie
La propagande de Goebbels opposait de façon systématique aux informations antinazies publiées à l'étranger par des exilés des démentis et des déclarations officielles. En présentant les exilés comme des informateurs peu dignes de foi, la dictature nazie tentait de neutraliser l'opposition au régime, mais aussi de conserver à l'étranger l'illusion que le Reich restait un État de Droit, et par là même un partenaire comme les autres dans les relations diplomatiques internationales. L'arme la plus efficace de la contre-propagande nazie consistait à jouer avec la peur du communisme des gouvernements étrangers. Étant donné que la grande majorité des émigrants étaient des communistes, qui avaient dû fuir pour échapper aux poursuites qui les menaçaient en Allemagne et à l'internement dans des camps de concentration, cet argument de la propagande nazie était plausible, et a contribué à discréditer les activités des résistants allemands exilés. En 1933, le premier ministre anglais, Lloyd George, a ainsi déclaré dans un article de journal que l'Allemagne constituait un rempart au communisme, et que la chute du régime nazi entraînerait inévitablement l'anarchie et la prise du pouvoir par les communistes (Communism must follow if Hitler fails). Le danger que représentait Hitler a ainsi été souvent sous-estimé ou relativisé à l'aune de la "menace communiste.
 

Interventions diplomatiques
Les tentatives d'intimidation des gouvernements étrangers par des interventions diplomatiques furent très nombreuses et systématiques. La pression diplomatique exercée par le gouvernement nazi était considérable et laissait souvent peu de liberté de manœuvre aux pays concernés. Ainsi, en 1933, les autorités allemandes ont obtenu du ministère des Affaires étrangères grec l'annulation d'un projet de permis d'entrée dans le pays pour mille intellectuels et politiciens allemands émigrés, en insinuant que la présence de tels fugitifs en Grèce nuirait considérablement aux excellentes relations diplomatiques entre les deux pays, et que cela entraînerait tôt ou tard de graves difficultés. Les exemples d'interventions diplomatiques ne manquent pas ; ainsi, le régime nazi a tenté à plusieurs reprises, au moyen de demandes d'extradition auprès des gouvernements étrangers, de faire revenir de force des résistants allemands en Allemagne, afin de les mettre hors d'état de nuire. Les motifs de ces demandes d'extradition étaient la plupart du temps des calomnies ; les personnes concernées étaient souvent accusées de délits tels que la corruption ou le recel de biens, car les autorités allemandes ne voulaient en aucun cas que des accusations d'ordre politique suscitent des problèmes diplomatiques. En effet, la pression de l'opinion internationale était considérable ; la presse et les organisations humanitaires déclenchaient systématiquement des campagnes de presse contre l'Allemagne, en l'accusant de violer le droit d'asile. Ces demandes d'extradition furent parfois vouées à l'échec grâce au refus des pays concernés de livrer les exilés. Ainsi, lorsqu'en 1934, l'Allemagne a demandé à la Suisse de lui livrer le communiste Heinz Neumann, soi-disant coupable de meurtre, le gouvernement suisse n'a pas cru à cette accusation infondée et a refusé de livrer Neumann aux nazis. Peter Forster fut par contre livré à l'Allemagne en 1938 par le gouvernement tchécoslovaque. Ce cas a suscité une violente controverse ; Forster avait tué un gardien SS lors de sa fuite du camp de Buchenwald ; il avait trouvé refuge en 1938 dans la partie de la Tchécoslovaquie qui n'était pas encore occupée par les Allemands. Le gouvernement nazi exigea l'extradition de Forster, ce que la Tchécoslovaquie pouvait difficilement refuser, en raison de la situation politique très tendue entre les deux pays, à peine un mois après la conférence de Munich. Les tentatives diplomatiques entreprises pour sauver Forster échouèrent ; il fut arrêté en décembre 1938 dans un aéroport, alors qu'il tentait de prendre la fuite, et les nazis le pendirent au camp de Buchenwald, d'où il avait fui quelques mois auparavant.


Les demandes d'extradition ont parfois donné lieu à des accords avec des gouvernements étrangers, comme entre les polices politiques du Reich et de la Hongrie, pour livrer les émigrants ou prendre des mesures contre des exilés. Certains pays ont également pris des mesures contre les résistants allemands dans le cadre de la politique de l'Apaisement, pour éviter tout conflit avec le régime hitlérien ; ainsi, lorsque les Pays-Bas ont emprisonné des émigrants allemands communistes, cette décision, qui allait totalement dans le sens de la politique hitlérienne, fut saluée par la presse nazie. D'autres interventions locales, comme celle du chef de la police de Stockholm, qui a interdit la distribution de tracts antinazis aux marins et voyageurs, ont également contribué à entraver les initiatives des résistants allemands, et furent louées par le régime hitlérien.
Les interventions diplomatiques visaient également à interdire la propagande antinazie à l'étranger. Les autorités allemandes sont ainsi intervenues auprès du gouvernement suisse pour tenter d'interdire le cabaret satirique Le Moulin à Poivre (Die Pfeffermühle) d'Erika Mann, la fille de l'écrivain Thomas Mann, et pour empêcher la publication de livres antifascistes. De même, lorsqu'en février 1938 fut inaugurée à Paris une exposition documentant les cinq années de régime nazi, un article de l'organe de presse du gouvernement hitlérien, le Völkischer Beobachter, déplora ce Scandale à Paris, en alléguant que cette exposition était un brutal défi visant à la destruction des relations amicales commençant à s'établir entre la France et l'Allemagne. La coopération avec les émigrés allemands, qualifiés de fauteurs de troubles, était jugée scandaleuse. La prolongation de la durée de l'exposition, en dépit des protestations allemandes, fut interprétée par les autorités nazies comme une volonté délibérée du gouvernement français d'accentuer les tensions diplomatiques entre les deux pays.
 Représailles juridiques
Le régime nazi a mis en place dès son arrivée au pouvoir tout un arsenal de lois et de mesures visant à décourager et punir toute propagande ou activité antinazie ; les exilés furent souvent victimes de cet acharnement nazi à détruire toute forme d'opposition.
Tout d'abord, la presse allemande exilée était interdite ; les contrevenants commettaient selon le régime nazi un crime de haute-trahison et étaient par conséquent menacés de la peine de mort. La législation concernant la trahison sournoise (Heimtückegesetz), promulguée le 21 mars 1933, interdisait également toute critique orale envers le régime nazi.
D'autre part, les exilés qui revenaient en Allemagne, puisqu'ils étaient considérés comme des traîtres à la patrie, étaient internés par mesure préventive en camp de concentration. L'un des buts de ces représailles était d'éviter tout contact entre des personnes ayant vécu à l'étranger et la population du Reich manipulée par la propagande nazie. Il s'agissait également d'empêcher toute communication entre des résistants exilés et l'opposition illégale au sein du Reich.
Par ailleurs, la loi sur la privation de la nationalité allemande du 14 juillet 1933 permettait au régime hitlérien de priver de leur nationalité les exilés allemands qui critiquaient la politique nazie. En 1935-36, un projet de privation massive de la nationalité des exilés allemands n'a finalement pas été mis en application par crainte de représailles de la SDN, indésirables à cause des Jeux Olympiques de Berlin.
Les exilés, notamment les catholiques, les socialistes et les communistes, furent souvent pris comme prétexte pour justifier des représailles au sein du Reich ; ces mesures étaient sensées décourager toute tentative de résistance à l'étranger, qui serait ainsi lourde de conséquences. De même, en 1938, lorsque, sur l'initiative du président américain, un comité international s'est efforcé de trouver une solution au problème des réfugiés allemands, le gouvernement hitlérien a déclaré que des critiques des gouvernements étrangers envers la politique nazie auraient des conséquences négatives pour les juifs résidant en Allemagne.
 Prises d'otages
En 1933, la famille de Philip Scheidemann, un éminent parlementaire social-démocrate de la République de Weimar, fut prise en otage et envoyée en camp de concentration après la publication de l'un de ses articles dans le New York Times. Scheidemann se rétracta et sa famille fut libérée. Pour le régime hitlérien, ce cas était sensé statuer un exemple : l'incident aurait prouvé, selon la presse nazie, que les émigrants ne propageaient que des mensonges et des calomnies à l'étranger ; ces représailles avaient pour but de dissuader les émigrants de poursuivre leur travail d'information dans la presse étrangère.
Un autre cas de prise d'otage a suscité l'indignation de l'opinion mondiale. En décembre 1933, l'ancien parlementaire social-démocrate Gerhard Seger parvint à s'échapper du camp de concentration d'Oranienburg et à trouver refuge en Tchécoslovaquie ; ses tentatives visant à faire fuir sa famille, afin qu'elle le rejoigne dans son exil, échouèrent. En janvier 1934, sa femme et sa fille âgée de deux ans furent emprisonnées en détention protectrice (Schutzhaft). Seger ne se laissa pas intimider par ces représailles et rédigea un livre dans lequel il décrivait ce qu'il avait vécu et observé dans le camp d'Oranienburg. La publication de ce livre a soulevé de nombreux commentaires dans la presse internationale, qui s'est également indignée de la prise d'otages. Ainsi, en avril 1934, un journal anglais titrait : Baby labelled Political Prisoner N° 58. Ce cas a suscité un scandale diplomatique ; et grâce à la pression de l'opinion mondiale, Madame Seger et sa fille furent finalement remises en liberté après trois mois de détention, et furent autorisées à rejoindre Gerhard Seger à Londres. Le régime nazi dut se contenter de priver la famille Seger de sa nationalité allemande.
Enlèvements et meurtres
Lorsque toutes ces mesures n'atteignaient pas leur but, le régime nazi n'a pas hésité à enlever et à assassiner des résistants allemands exilés. L'assassinat en août 1933 du pacifiste Theodor Lessing, qui s'était exilé en Tchécoslovaquie en février 1933, illustre bien que les résistants allemands n'étaient pas à l'abri des représailles de la dictature nazie, même à l'étranger. Le gouvernement aurait même promis une prime de 80 000 Reichsmark à la personne qui parviendrait à abattre Lessing. Les résistants qui organisaient la diffusion de tracts et de littérature illégale à partir des pays voisins étaient tout particulièrement exposés au danger. Ainsi, la Gestapo a essayé à plusieurs reprises d'enlever un fonctionnaire de la SOPADE, Otto Thiele, qui organisait à partir de son pays d'accueil, la Tchécoslovaquie, les activités illégales dans le Reich. Une prime de 10 000 Reichsmark aurait été promise aux ravisseurs, qui furent finalement arrêtés par la police tchécoslovaque. Ce type de mesures a déclenché des vagues de protestations dans les pays concernés, qui se sont insurgés contre cette violation de la souveraineté territoriale ; l'opinion publique internationale a également fortement protesté contre ces crimes.

Bilan

Les mouvements de résistance d'exilés allemands ont échoué en raison de leur isolement dans leur pays d'accueil, du manque de soutien de la communauté mondiale et surtout du manque de coordination entre les différents types d'opposition au nazisme. Mais les résistants, en dépit de leur échec, ont montré au monde entier un autre visage de l'Allemagne, celui du soulèvement des consciences allemandes révoltées par le national-socialisme.

 

La Rose blanche : résistance en Allemagne

Extrait de tract diffusé par le mouvement de la Rose blanche (Weisse Rose) de Hans et Sophie Scholl, en Allemagne, en janvier 1943.

Rien n'est plus indigne pour un peuple civilisé, que de se laisser, sans résistance, régir par l'obscur bon plaisir d'une clique de despotes. Est-ce que chaque Allemand honnête n'a pas honte aujourd'hui de son gouvernement ?
Qui d'entre nous pressant quelle somme d'ignominie pèsera sur nous et nos enfants quand le bandeau, qui maintenant nous aveugle, sera tombé et qu'on découvrira l'atrocité extrême de ces crimes ?
Nos yeux ont été ouverts par les horreurs des dernières années, il est grand temps d'en finir avec cette bande de fantoches. Jusqu'à la déclaration de guerre, beaucoup d'entre nous étaient encore abusés. Les nazis cachaient leur vrai visage. Maintenant, ils se sont démasqués et le seul, le plus beau, le plus sain devoir de chaque Allemand doit être l'extermination de ces brutes.

Extraits d'un tract de la Rose Blanche distribué le 18 février 1943

Etudiants! Etudiantes!

La défaite de Stalingrad a jeté notre peuple dans la stupeur. La vie de trois cent mille Allemands, voilà ce qu'a coûté la stratégie géniale de ce soldat de deuxième classe promu général des armées. Führer, nous te remercions!

Le peuple allemand s'inquiète : allons-nous continuer de confier le sort de nos troupes à un dilettante ? Allons-nous sacrifier les dernières forces vives du pays aux plus bas instincts d'hégémonie d'une clique d'hommes de parti ? Ne jamais plus! Le jour est venu de demander des comptes à la plus exécrable tyrannie que ce peuple ait jamais endurée. Au nom de la jeunesse allemande, nous exigeons de l'Etat d'Adolf Hitler le retour à la liberté personnelle ; nous voulons reprendre possession de ce qui est à nous ; notre pays, prétexte pour nous tromper si honteusement, nous appartient.

 

Il n'est pour nous qu'un impératif : lutter contre la dictature! Quittons les rangs de ce parti nazi, où l'on veut empêcher toute expression de notre pensée politique. Désertons les amphithéâtres où paradent les chefs et les sous-chefs S.S., les flagorneurs et les arrivistes. Nous réclamons une science non truquée, et la liberté authentique de l'esprit. Aucune menace ne peut nous faire peur, et certes pas la fermeture de nos Ecoles Supérieures. Le combat de chacun d'entre nous a pour enjeu notre liberté, et notre honneur de citoyen conscient de sa responsabilité sociale.

Etudiants, Etudiantes! Le peuple allemand a les yeux fixés sur nous! Il attend de nous comme en 1813, le renversement de Napoléon, en 1943, celui de la terreur nazie.

Nous nous dressons contre l'asservissement de l'Europe par le National-Socialisme, dans une affirmation nouvelle de liberté et d'honneur.

Hans et Sophie Scholl furent décapités par les Nazis le 22 février 1943.

 

 

 

 

 


08/03/2013
0 Poster un commentaire

PROCÈS SOUS L’OCCUPATION

MARS 1942 Bataillons de la Jeunesse FTPF

Du sabotage à la lutte armée, être l’enclume ou le marteau

En 1941, explique Albert Ouzoulias, alias colonel André, dans Les Bataillons de la Jeunesse, l’heure est venue d’un développement sur une plus large échelle de cette forme avancée de la lutte. La lutte armée, les actions des francs-tireurs sont un des moyens les plus efficaces pour freiner et même faire reculer le terrorisme de l’ennemi. Si, à ce moment, le Parti communiste et sa direction avaient reculé, comme le lui conseillaient certains attentistes, c’était la capitulation et le déshonneur. Notre pays n’aurait joué aucun rôle dans la grande bataille qui se livrait dans l’Europe entière et n’aurait pas ensuite été capable de participer comme il le fit aux ultimes combats libérateurs de 1944. La répression aurait été encore plus terrible pour des dizaines de milliers d’hommes et de femmes emprisonnés ou jetés dans les camps de concentration en France et pour la population française en général. » Et à ceux qui inversent les rôles pour justifier leur refus du combat armé pendant l’Occupation, il pose cette question : Qu’avaient-ils fait, les 90 000 israélites de France qui sont allés mourir dans les fours crématoires d’Auschwitz avec les 6 millions de juifs de toute l’Europe ? Qu’avaient-ils fait, les dizaines de milliers d’ouvriers français déportés du travail envoyés dans des camps et qui sont allés mourir sous les bombardements dans la Ruhr ? Fallait-il attendre d’être tous déportés en Allemagne pour commencer la résistance ?
 Les francs-tireurs s’organisent
Côté communiste, on comptait au lendemain de l'armistice trois organisations à l'échelon national qui menaient des actions de lutte armée, chacune ayant sa direction propre :
l'OS (Organisation Spéciale), organisation de protection des militants du Parti communiste lors des manifestations, distributions de tracts, prises de parole et autres actions de propagande; les Bataillons de la Jeunesse, composés de militants issus des Jeunesses communistes; les groupes spéciaux de la MOI (Main-d’œuvre Immigrée), qui regroupaient les antifascistes immigrés.
La coordination est assurée par Eugène Hénaff. En avril 1942, la direction du Parti communiste, dans un souci d'efficacité, charge Charles Tillon d'unifier l'ensemble de l’organisation. Ce seront les FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français), ouverts à tous les patriotes.
Un comité militaire est constitué, il comprend entre autres Albert Ouzoulias (colonel André), ancien responsable des Bataillons de la Jeunesse, qui en assurera la direction militaire. Il a comme adjoint Pierre Georges (futur colonel Fabien). Ce celui-ci sera le premier, à la station de métro Barbès, le 21 août 1941, à ouvrir le feu sur un officier allemand.
Roger Hanlet, Acher Semahya, Robert Peltier, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan et Fernand Zalkinov seront parmi les premiers à participer dès juillet 1940 à ces actions de résistance qui se multiplient sur le territoire. Ils ont alors conscience de reprendre la tradition des patriotes de 1814 et des francs-tireurs de 1870 qu’arma Gambetta, ces combattants de la République animés par l’esprit de 92 et dont Victor Hugo exaltait ainsi le combat :

Vous n’êtes pas armés, qu’importe,
Prends ta fourche, prends ton marteau,
Arrache le gond de la porte,
Délivrez, frémissant de rage,
Votre pays de l’esclavage
Et votre mémoire du mépris.

Ceux qui ont résisté n’étaient nés ni héros ni martyrs. Ils étaient nés pour une vie normale : travailler, apprendre, penser, créer, jouer, rire, aimer. Mais l’intolérable, les circonstances exceptionnelles de cet horizon soudain rayé d’une croix gammée les ont élevés au-dessus d’eux-mêmes, dans le combat qu’ils ont gagné - grâce à leur sens de la vie, de la justice et de la liberté, grâce à leur attachement à la nation française : cette "Douce France", synonyme dans le monde entier de Liberté, Égalité, Fraternité.
Tony Bloncourt, Roger Hanlet, Pierre Milan, Robert Peltier, Christian Rizo, Acher Semahya, Fernand Zalkinov ont lutté pour la dignité et la fraternité entre les hommes, contre le fascisme et l’hitlérisme dont ils ont connu la domination la plus monstrueuse, la plus perverse que l’humanité ait jamais endurée. La liberté et la paix qu’ils ont voulue pour nous sont toujours à défendre.
Ils rêvaient d’égalité et de fraternité humaine. Ce flambeau, nous avons tous le devoir de le préserver et de le transmettre aux générations futures.

Dès juin et juillet 1940 des appels à la lutte sont lancés : d'Angleterre par la voix du général de Gaulle et, en France occupée, à l'initiative du PCF - ce sera l'appel du 10 juillet 1940 de Maurice Thorez et de Jacques Duclos, qui encourage à créer un front de la liberté, de l'indépendance et de la renaissance de la France, et proclame qu'il n'y a de paix véritable que dans l'indépendance des peuples.
Dans le XIe arrondissement, riche de toute une tradition de lutte, les premières mesures adoptées par les autorités vichystes sont mal accueillies, en particulier parmi les jeunes. Ceux-ci n’entendent pas subir ce régime au service de l’occupant ; dans les classes supérieures des lycées, dans les facultés, dans les Auberges de Jeunesse, aux Jeunesses communistes ils se mobilisent et organisent une résistance au pouvoir autoritaire, antirépublicain et de collaboration avec l’ennemi.
Ouvriers, employés, petits artisans, étudiants n’attendront pas juin 1941 et l'entrée en guerre de l'Union soviétique pour engager la lutte sous des formes variées :

Propagande anti-vichyste et anti-allemande par tracts, affiches, prises de parole sur les marchés, dans les files d'attente, publications clandestines.
attaque des permanences des associations et partis collaborateurs (RNP de Déat, PPF de Doriot), sabotage des réunions organisées par les maréchalistes (Georges Claude à la Sorbonne, etc.), manifestations publiques contre l’arrestation de Paul Langevin et contre la révocation du recteur Gustave Roussy, participation aux manifestations étudiantes des 8 et 11 novembre 1940,grèves dans les Centres de Jeunesse, actes de sabotage et récupération d'armes.

Les enfants de France, à l’avant garde
Début juillet, la Sorbonne rouvre ses portes. Son grand amphithéâtre doit accueillir un cycle de conférences animé par Abel Bonnard et Georges Claude et dont l'inauguration est prévue pour le 26 juillet. Dans un témoignage recueilli par Claude Souef, François Lescure déclarait : Nous savions qu'il devait y avoir des projections illustrant la conférence, et nous avons décidé de faire un lancer de tracts dès que la salle serait obscure. Les tracts en question étaient l'
appel du 10 juillet de Thorez et de Duclos. Le jour venu, deux étudiants de la faculté des sciences, Christian Rizo et Félix Kauer, passent à l'action depuis le balcon de l'amphi. François Lescure : Il y a eu une espèce de ahahah !, de cri général ; les tracts voletaient dans le faisceau lumineux du projecteur ; la lumière a été vite rallumée. Les deux trouble-fête seront arrêtés, emprisonnés à la Santé puis relâchés sans jugement le 10 octobre. Leur action spectaculaire constitue, souligne Claude Souef, la première manifestation organisée, chez les étudiants, d'opposition à l'occupation, à la collaboration. Il signale que, par la suite, des accrochages se produiront entre étudiants et soldats allemands, notamment au café d'Harcourt, à l'angle de la place de la Sorbonne et du boulevard Saint-Michel.

 

Libérez Langevin
C'est dans ce climat que survient l'annonce de l'arrestation, le 30 octobre, du professeur Paul Langevin, éminent physicien et antifasciste. La nouvelle soulève l'indignation de nombreux étudiants et enseignants. Une manifestation a lieu le 8 novembre au Quartier latin. Les étudiants se rassemblent aux cris de Libérez Langevin, avant d'entonner La Marseillaise puis de se disperser. Parmi eux, Pierre Daix et Bernard Kirschen. Et aussi Sam Radzinsky, ancien lycéen devenu postier pour des raisons économiques. Il raconte : On a commencé à manifester à l'intérieur de la Sorbonne, on a balancé des tracts, puis on est sortis sur la place... On a encore crié Libérez Langevin et lancé des tracts. A la fin, on s'est retrouvés au comptoir du Dupont-Latin, Tony Bloncourt, Christian Rizo, Rosine Pitkowitz et moi, pour prendre un café.

 

La grande manifestation du 11 novembre 1940 aux Champs-Élysées
C'est la première grande démonstration de résistance à l'occupation et à la collaboration. Il y a là des lycéens, des étudiants, des professeurs. Le récit varie selon les témoins.
Claude Souef : Des lycéens venant à pied, en cortège, déposent des gerbes sur la tombe du Soldat inconnu. La foule est dense. Finalement, la police interdit l'accès au terre-plein. Sur les Champs-Élysées, des incidents se produisent avec des groupes de jeunes fascistes de Jeune Front et de Garde-française, qui ont leur permanence sur l'avenue.
Sam Radzinsky, venu avec son copain Jean Verger, dit Nicolas (il sera fusillé deux ans plus tard), restera bloqué à l'endroit où se situait le Lido à cette époque, puis devra regagner son lieu de travail. C'est ensuite l'intervention allemande.

Claude Souef de nouveau : Des voitures et des motos zigzaguent sur les trottoirs, pourchassant les manifestants qui se replient dans les rues voisines. Il y a des tirs de mitrailleuses, des blessés, des arrestations nombreuses (témoignage cité dans L'Humanité du 11 novembre 2001).

François Lescure, responsable UNEF.A dix-sept heures exactement, un cri énorme : vive la France, éclate à hauteur du cinéma George-V, sur le trottoir de droite que remontent de nombreux groupes de jeunes. On chante La Marseillaise. Il y a, dans la foule, des anciens combattants. La Marseillaise éclate à nouveau, suivie du Chant du départ, puis de Vive la France, A bas Pétain, A bas Hitler.

Les Allemands matraquent et chassent les manifestants à coups de crosse de fusil. La Marseillaise continue, tous les étudiants se battent.

Par grappes, les étudiants sont embarqués dans des camions bâchés. Ceux qui échappent à l'arrestation se regroupent encore. Exaspérés, les nazis tirent. Ils assassinent une dizaine de jeunes on en ignore encore le nombre exact et en blessent davantage encore. Il y a une centaine d'arrestations. La chasse à l'homme continuera tard dans la nuit.La presse vichyste ne souffla mot de l'événement. Le 15, elle annonça la révocation du recteur Gustave Roussy et du secrétaire général d'académie Maurice Guyot. Le lendemain, un communiqué officiel indique que les autorités allemandes ont ordonné la fermeture de toutes les institutions universitaires à Paris. L'Université ne sera rouverte que le 20 décembre. Un mois plus tôt, vingt et un étudiants communistes avaient été arrêtés. Ils seront jugés le 1er mars 1941 et condamnés à différentes peines de prison.

Aragon célébrera cette manifestation dans Les enfants de France(Le crime contre l'esprit) :Dans Paris bâillonné, le 11 novembre 1940, moins de cinq mois après qu'un maréchal de France eut proclamé que la Patrie avait touché la terre des épaules, les étudiants descendirent dans la rue, et leur jeune voix retentit si haut que la France tout entière l'entendit et cessa de croire à la défaite. L'ennemi ne s'y trompa pas. On était au lendemain de Montoire, et cette manifestation des étudiants de Paris, il y vit bien le désaveu national de la politique de soumission instaurée  par les capitulards.

 

Arrestation du groupe
Suite à l’entrée des Allemands, ordre avait été donné de remettre aux autorités toutes les armes éventuellement détenues. Beaucoup se retrouvèrent ainsi dans les égouts, voire dans les poubelles. Un copain d’Hanlet n’appartenant pas à la Résistance a l’imprudence de montrer à sa fiancée les revolvers récupérés qu’il va lui fournir.Celle-ci le rapporte à son père qui le répète à un autre de bavardage en bavardage, on débouche sur une dénonciation à la police. La Brigade spéciale criminelle”dirigée par le commissaire Georges Veber arrête Roger Hanlet, Pierre Milan et Acher Semahya le 30 octobre 1941. Le lendemain 31 octobre, c’est le tour de Fernand Zalkinov et le 1er novembre Robert Peltier est arrêté sur son lieu de travail. Christian Rizo se fait prendre le 25 novembre dans un cinéma. Tony Bloncourt, qui a pu échapper à l’arrestation, est hébergé par des copains étudiants dont Pierre Daix. Il sera arrêté le 6 janvier lors d’un contrôle de police.
Le groupe est emprisonné à la prison de la Santé et mis au secret, avant d’être livré aux autorités allemandes. Le 6 mars 1942, jour du verdict, le président de la cour martiale allemande se félicitera d’ailleurs de l’excellente coopération des polices française et allemande, et c’est Veber en personne qui viendra recevoir les félicitations.

Un procès expéditif

Il semble que fin février 1942, le nouveau gouverneur militaire en France, Karl Heinrich von Stülpnagel, sur l’avis de ses services juridiques, ait décidé de monter une série de procès à grand spectacle pour frapper l’opinion française et tenter de mettre un terme aux attentats.
Le commandement militaire allemand organise donc un procès à la Chambre des Députés, alors siège de différents services du Kommandant von Gross-Paris, procès auquel peuvent assister les journalistes de la zone occupée, de même que ceux de la zone non occupée. La Propagandastaffel est également présente. Il apparaît même, d’après la presse de l’époque, que le procès fut filmé, mais la bobine n’a pas été retrouvée, comme elle l’a été pour le second procès à grand spectacle qui, celui-là, eut lieu à la Maison de la Chimie en avril 1942.
Mercredi 4 mars. L’accusation.
Jeudi 5 mars. Les débats.
Vendredi 6 mars. La défense et le verdict.
Les sept jeunes sont défendus par des avocats alsaciens commis d’office. L’acte d’accusation, que les avocats reçoivent le 2 mars, leur apprend que leurs clients sont jugés pour Freischärlerei, c’est-à-dire activité de francs-tireurs. On retient contre eux 17 actions de sabotages, incendies et attentats.Nous ne dirons rien des débats, ne pouvant reprendre à notre compte la relation qui en fut donnée par les journaux de l’époque, lesquels s’évertuèrent à comparer les sept jeunes résistants à de vulgaires bandits à la solde de la ploutocratie Anglo-judéo-bolchevique. Ils rapportèrent les faits en les déformant, en y ajoutant des qualificatifs infamants et mensongers, voire racistes à l’égard de certains.
La lecture de cette presse laisse cependant transparaître une attitude digne et courageuse. Ce qui fut confirmé par ceux qui assistèrent au procès, notamment par Yolande Bloncourt, la tante de Tony. Ils se transformèrent tous en accusateurs, s’attachant à replacer les faits dans le contexte réel de l’occupation de leur pays. Ils ne contestèrent nullement leurs actes, mais au contraire les revendiquèrent pleinement. J’ai agi en patriote et par conviction communiste, dira Robert Peltier. La perspective d’être fusillé ne le retint pas une seconde, ajoutera l’officier nazi présidant la cour martiale. Cette attitude combative fera dire au Pariser-Zeitung qu’ils répondirent avec une effrayante insolence aux accusations. Le journal de Doriot, Le Cri du peuple, écrivit que pendant la suspension d’audience qui précéda le verdict, les terroristes firent preuve d’un cynisme déconcertant, en riant et plaisantant, alors qu’un peu avant, ils avouaient une fois de plus les attentats.

Samedi 7 mars Deux jours avant l’exécution de la sentence, la maman de Christian Rizo fut autorisée à aller voir son fils à la Santé pour les derniers adieux ; elle ne put le voir qu’à travers un grillage. Sur son insistance, Christian finit par lui avouer, entre autres confidences, que lui et ses camarades avaient été odieusement maltraités par les policiers de la Brigade spéciale criminelle et qu’il en était écœuré. Trop courageux et trop fier pour se plaindre, l’euphémisme qu’il utilisa en disait long sur la gravité des sévices endurés. Lundi 9 mars Étudiants et professeurs font circuler en Sorbonne une pétition demandant le recours en grâce. Elle se couvre rapidement de signatures, certains professeurs y ajoutent des éloges et des annotations.
Yolande Bloncourt, arrivée au fort du Mont-Valérien, ne sera pas autorisée à voir Tony et ses camarades avant leur exécution ; elle sera refoulée mais entendra un puissant cri : Vive la France!, suivi d’une salve nourrie. Maître Wilhelm, l’avocat alsacien du Barreau de Paris désigné d’office pour assurer la défense de Christian Rizo et Tony Bloncourt, assistera à la mort des sept jeunes résistants ; dans une lettre adressée le jour même à Mme Rizo, il témoignera qu’ils ont pris congé dans la dignité, le courage et la foi de leur conviction. Il ajoutera : Vous ne devez penser qu’avec honneur à votre fils et accepter le malheur qui vous frappe si durement comme si Christian avait été tué en soldat à la guerre. Il n’y a que cinq poteaux Roger Hanlet et Robert Peltier seront fusillés immédiatement après leurs camarades, avec trois autres patriotes.
Dès que la nouvelle sera connue, le XIe arrondissement se couvrira de papillons, de tracts, d’affichettes réalisées à la main ou à la machine, afin d’honorer la mémoire des sept martyrs et d’appeler au renforcement de la lutte contre l’occupant. L’arrestation et l’exécution des sept membres des Bataillons de la Jeunesse n’ont pas pour autant stopper le combat contre l’occupant. Albert Ouzoulias (colonel André) assure la direction des opérations, assisté de Pierre Georges (colonel Fabien), avec comme agents de liaison leurs courageuses épouses respectives, Cécile Ouzoulias et Andrée Georges. Ils dirigeront, impulseront les initiatives et participeront aux actions, y compris les plus dangereuses. Fabien et son épouse seront arrêtés plusieurs fois ; lui réussira, comme Ouzoulias, à s’enfuir. Andrée Georges sera déportée et, heureusement, nous reviendra des camps.
Les autres groupes parisiens des Bataillons de la Jeunesse réalisent plus de quarante opérations du 6 septembre 1941 au 29 mai 1942 ; ils sont dirigés par : Marcel Bertone (21 ans), Pierre Tourette (23 ans), Paul Tourette, Louis Coquillet (21 ans), Marcel Bourdarias (18 ans), Maurice Touati (21 ans), René Toyer (20 ans), Pierre Tirot, Georges Tondelier (20 ans), Maurice Feferman (21 ans), Gérard Hilsum, Jean Quarré (22 ans), André Aubouet (18 ans), Raymond Tardif, Jean Garreau (29 ans), Bernard Laurent (20 ans), André Kirschen (15 ans et demi), Camille Drouvot, Roger Debrais, Maurice Feld (18 ans), Maurice Le Berre (19 ans), Karl Schoenhaar (17 ans et demi), Guy Gauthier, Lucien Legros, Pierre Benoît, Rousseau (Dupré), Baraqui, André Biver, Pierre Leblois, Jacques D’Andurain. A ces actions s’ajoutent celles, nombreuses, de l’Organisation Spéciale (OS), conduites par Yves Kermen, Louis Marchandise, Raymond Losserand, Gaston Carré, Roger Linet, Henri Tanguy (colonel Rol) et des groupes spéciaux de la MOI dirigés par Miret-Must.
Le journal collaborationniste de Déat, L’Œuvre du 3 mars 1942, dénombrera 230 attentats et sabotages du 1er juillet 1941 au 18 février 1942 dans la seule région parisienne, ce que confirmera le sinistre commissaire Veber qui, lors de son audition devant la cour de justice du CNR, déclarera que les attentats étaient devenus quotidiens.

1942 procès àa la chambre des députés

Le 4 mars 1942 se déroula, dans la Chambre des députés, à l’endroit même où le nazi Rosenberg avait prononcé une apologie du national-socialisme, le procès de sept très jeunes résistants, procès qui devait, dans l’esprit de l’ennemi, être un élément d’intimidation de la Résistance en cours de développement. Le 4 mars, dans la salle de la Présidence, étaient introduits sept jeunes résistants enchaînés. Le tribunal était entièrement composé d’officiers nazis. Non seulement la presse et les actualités cinématographiques sont présentes, mais, à la tête de nombreux officiers hitlériens et d’une cour de collaborateurs, se trouve von Stülpnagel en personne.

Le journal allemand publié chez nous, le Pariser-Zeitung, exposa le 5 mars que les sept jeunes se voyaient accuser de dix-sept opérations de guerre. Il écrivait : Les deux intellectuels de la bande que l’on juge, les étudiants Christian Rizo et Tony Bloncourt, ont commencé à militer au sein d’un Front dit National Ils passèrent à l’action, croyant peut-être au début servir sous le drapeau combien périmé de Déroulède. Et suit cette phrase invraisemblable: L’un d’eux alla jusqu’à parler des armées étrangères qui occupaient la France. Est-ce à dire que les armées allemandes n’étaient pas étrangères ? La France était donc l’Allemagne !

Quant au journal de Doriot, ce même 5 mars il écrivait : Tous les accusés ont dit comment ils comprenaient le fameux Front National, organisation bolchevique camouflée allant des gaullistes aux communistes. Le journal allemand précité de préciser, avec un grand frisson d’horreur : “Un des accusés, par exemple, avait fait partie des Jeunesses (communistes) avant la guerre.

La parodie de procès dura trois jours. Le jugement - si l’on peut employer ce mot - se félicite de l’excellente collaboration fournie par la police française. Il condamne à mort Roger Hanlet, Acher Semhaya, Robert Peltier, Christian Rizo, Tony Bloncourt, Pierre Milan et Fernand Zalkinov. Le 9 mars, les sept héros sont fusillés au Mont-Valérien. L’un d’eux, Fernand Zalkinov, dédia sa dernière lettre à sa soeur, la chargeant d’être son interprète auprès de ses parents : il ne savait pas que son père et sa mère étaient déjà déportés et mourraient à Auschwitz.
Extrait d’un article paru en mars-avril 1999

Plaque commémorative a été apposée sur la façade nord de l’Hôtel de Lassay

Que sont devenus les autres
Que sont devenus les autres combattants ayant participé à ces opérations mais qui ne comparurent pas en cour martiale les 5, 6 et 7 mars 1942 ? Sept combattants appartenaient à d’autres groupes des Bataillons de la Jeunesse dont l’un avait combattu en Espagne. Trois venaient des Brigades internationales.
Pierre GEORGES (le futur colonel Fabien) (22 ans). Ancien combattant à dix-sept ans des Brigades internationales, il commandera après la libération de Paris le Groupe Tactique Lorraine composé de volontaires parisiens des FTP. Cette unité sera intégrée dans l’Ire armée par le général de Lattre de Tassigny. Ce sera le 151e régiment d’infanterie, unité qui sera l’une des premières à franchir le Rhin. Fabien sera tué le 27 décembre 1944 à Habsheim dans le Haut-Rhin.
Gilbert BRUSTLEIN (22 ANS), qui commande le groupe, a participé à de nombreuses opérations. Il échappe de peu à l’arrestation, passe en zone sud puis en Espagne, avant de gagner l’Algérie.
Marcel BOURDARIAS (17 ANS 1/2). Après de nombreuses actions, il sera arrêté et fusillé le 17 avril 1942 (procès de la Maison de la Chimie).
Jacques D’ANDURAIN (23 ANS). Après de nombreuses actions en zone nord, il passera en zone sud et continuera la lutte jusqu’en 1944.
Jules DUMONT (colonel) (53 ans). Grièvement blessé en 14-18, il reçoit la Légion d’honneur. Volontaire en Espagne, commandant de la célèbre 14e Brigade internationale (composée de Français, elle prit le nom de Brigade la Marseillaise), il participe à de très nombreuses opérations sous l’Occupation ; arrêté, il sera fusillé le 15 juin 1943.
Maurice FEFERMAN (19 ANS). Après de très nombreuses actions, il préférera se tuer avec sa dernière balle, le 10 mai 1942, plutôt que de tomber aux mains des Allemands.
Albert GUEUSQUIN (19 ANS). Après de très nombreuses actions, il sera arrêté et fusillé le 9 juillet 1943.
Maurice LE BERRE (19 ANS). Après de très nombreuses actions, il sera arrêté le 28 août 1942, s’évadera le 1er janvier 1943, sera de nouveau arrêté quinze jours plus tard, puis déporté. Il reviendra des camps de la mort en 1945. Il est aujourd’hui décédé.
Conrado MIRET-MUST. Républicain espagnol, il est le premier dirigeant fondateur des Francs-Tireurs de la MOI. Il sera arrêté après de très nombreuses actions. Il mourra sous la torture avant l’ouverture du procès de la Maison de la Chimie lors duquel il devait comparaître le 15 avril 1942.
Spartaco GUISCO (28 ans). Antifasciste italien, ancien des Brigades internationales. Il participe à de très nombreuses actions. Il est arrêté et fusillé le 17 avril 1942 (procès de la Maison de la Chimie).

Procès de la maison de la chimie 7-14 avril 1942

Du 7 au 14 avril 1942, vingt-sept combattants appartenant aux Bataillons de la Jeunesse et à l’Organisation Spéciale (OS) comparaissent devant une cour martiale réunie à la Maison de la Chimie, après avoir été, comme les sept jeunes combattants du XIe arrondissement, arrêtés et livrés par la police vichyste à ses homologues allemands. Arrêté en même temps que ses camarades, Conrado Miret-Must, républicain espagnol et fondateur de la MOI, ne comparaîtra jamais devant le tribunal : il fut massacré avant même l’ouverture du procès, dans les locaux du sinistre Brigade spéciale n° 2 créée par Pétain.
Vingt-cinq de ces combattants seront exécutés, parmi lesquels vingt-trois fusillés au Mont-Valérien immédiatement après le procès. Les Allemands, voulant faire assaut de mansuétude, commuèrent la condamnation à mort en déportation pour quatre d’entre eux : ce sera le cas de Paul et Marie-Thérèse Lefebvre, ainsi que d’André Kirschen, âgé de 15 ans, et de Simone Schloss, laquelle sera cependant décapitée par les nazis à Cologne le 2 juillet 1942. D’autres procès suivront, le plus souvent à huis clos. Près de 9000 combattants seront exécutés par les nazis dans la région parisienne, 21000 en province. Sans oublier les dizaines de milliers de déportés-résistants qui ne revinrent pas et les milliers d’otages exécutés.

Bataillon de la Jeunesse

André Aubouet  janvier 1923-17 avril 1942

Né à Paris (XIe), domicilié 15 rue de Vanves (actuelle rue Raymond-Losserand, XIVe). Il fréquente l’école primaire de la rue Pierre-Larousse et fait du sport au gymnase de la rue Huyghens. Après son certificat d’études il est engagé comme apprenti à l’Imprimerie nationale où travaillait déjà son père.

Le 20 janvier 1942, 15 boulevard de Vaugirard (métro Bienvenüe), il participe avec Jean Garreau et Raymond Tardif à un attentat contre un soldat allemand de la poste militaire nommé Pepling, lequel est sérieusement blessé. Nous manquons d’informations concernant les autres opérations auxquelles il a participé. Il semble qu’il opérait le plus souvent avec Garreau et Tardif. Il a été arrêté en mars 1942 sans que nous puissions préciser le jour.

Marcel Bretone 9 octobre 1920-17 avril 1942

Né à Lyon, au cœur du quartier de la Croix-Rousse. Marié, père d’un enfant, domicilié 6 rue de La Folie-Méricourt (XIe). Membre des Jeunesses communistes, il s’engage dans les Brigades internationales à l’âge de 16 ans. Il sera blessé à trois reprises durant les combats.
Rentré en France en 1939, il remplace Albert Ouzoulias (futur colonel André) comme secrétaire des Jeunesses communistes de la région lyonnaise. Cela ne l’empêche pas de partir presque chaque dimanche faire du camping à la campagne.
Il travaille comme aide-comptable mais en septembre 1939 il est interné, comme de nombreux responsables communistes, au fort du Paillet à Dardilly-le-Mont (Rhône), puis au fort Barraux à Riom-ès-Montagnes (Cantal), à Carpiane près de Marseille, et enfin au camp de Chibron (Var) d’où il s’évade le 7 octobre 1940. Pendant son internement, il épouse sa compagne Jeannette Fédit dont il aura une fille. Après son évasion, il est contraint de gagner sa vie comme conducteur de vélo-taxi. Il est arrêté le 18 décembre 1941 alors qu’avec ses camarades Touati et Coquillet il était en train d’incendier des camions de la Wehrmacht rue Lamartine, à l’angle de la rue Buffault (IXe).
La veille, le 17, il avait également incendié avec eux un camion allemand en stationnement rue Mayran (IXe). Poursuivis par des soldats allemands et des gardiens de la paix, Maurice Touati et Louis Coquillet parviennent à s’échapper. Bertone se réfugie au 26 de la rue Cadet, mais le locataire (un opérateur de cinéma) de l’appartement où il s’est réfugié le livre à la police. Lors de son arrestation étaient présents, dit le procès-verbal, le commissaire principal Charles Dubelon, le commissaire divisionnaire Silvestre, le commissaire principal Veber, chef de la Brigade spéciale P.J. et le major allemand Weigert. Marcel Bertone était emmené à 0 h 35 à la Feldgendarmerie.

Marcel Bourdarias alias Alain 23 janvier 1924-17 avril 1942

Né à Paris (XIIIe), domicilié 16 rue Anatole-France à Alfortville. Fils d’un ouvrier cimentier originaire de la Corrèze. Entré en 1937 à l’école Arago, place de la Nation (XIIe), il adhère aux Jeunesses communistes en 1938, à Saint-Ouen. Entre en contact avec des jeunes militants qui participeront à la formation des groupes armés des Bataillons de la Jeunesse et de l’Organisation Spéciale (OS). S’il n’est pas toujours facile de préciser sa participation aux très nombreuses actions effectuées par son groupe, on peut néanmoins l’associer avec certitude aux opérations suivantes:

Le 14 août 1941, grâce à des renseignements fournis par deux ouvriers de l’usine, Bresler et Lastennet, Maurice Le Berre et son groupe attaquent l’usine des Isolants de Vitry (163 boulevard Amouroux à Vitry-sur-Seine), qui fabrique du matériel destiné aux sous-marins et aux avions allemands. Maurice Le Berre lance des bouteilles incendiaires, tandis que Jacques d’Andurain et Marcel Bourdarias assurent la protection, assistés de Roger Hanlet et Pierre Milan.

Du 15 au 17 août 1941, il participe au stage d’entraînement organisé par Albert Ouzoulias (futur colonel André) et Pierre Georges (futur colonel Fabien) dans les bois de Lardy, près d’Etampes.

Le 19 septembre 1941, il participe à l’opération organisée par Conrado Miret-Must (alias Lucien) contre le garage SOGA (HPK503), 21 boulevard Pershing (XVIIe), où sont réparées les voitures de l’état-major allemand et de nombreux véhicules de la Wehrmacht. Tous les groupes armés de Paris, répartis en quatre ou cinq groupes (le groupe Marchandise, le groupe Le Berre, le groupe Brustlein et un ou deux autres), interviendront. Les dégâts sont très importants, même s’ils ne réussiront pas à incendier l’atelier de menuiserie.

20 octobre 1941 : participation au déraillement du train Paris-Nantes, tandis que Spartaco Guisco et Gilbert Brustlein abattent le Feldkommandant Hotz. Il revient avec un stock de dynamite récupéré dans une carrière.

21 novembre 1941 : participation à l’attentat contre la librairie allemande Rive Gauche du boulevard Saint-Michel (à l’angle de la place de la Sorbonne).

26 novembre 1941 : attentat à la bombe contre la librairie militaire allemande située à l’angle de la rue de Rivoli et de la rue Cambon (Ier). Participent à cette action plusieurs détachements des Bataillons de la Jeunesse et de l’Organisation Spéciale, dont Coquillet.

2 décembre 1941 : participation à l’attentat à la bombe contre le local du RNP (Rassemblement national populaire) boulevard Blanqui, avec Fabien et Coquillet. Cinq cartouches de dynamite font littéralement sauter ce repaire de la collaboration.

6 décembre 1941 : il est en protection lorsque le lieutenant Rahl est grièvement blessé boulevard Pereire (XVIIe) par Louis Coquillet.

15 décembre 1941, 7 h 30 du matin : Marcel Bourdarias et Louis Coquillet, à la tête de leurs groupes, attaquent à la bombe le poste de la Feldgendarmerie situé à l’Hôtel Universel, rue de la Victoire (IXe).

Fin décembre 1941, avec Louis Coquillet, il sectionne un câble de transmission de l’armée allemande dans le bois de Meudon.

3 janvier 1942 : Bourdarias, Coquillet, Gueusquin et quatre autres membres des Bataillons de la Jeunesse attaquent au pistolet et à la grenade une permanence du RNP de Marcel Déat située 11 bis rue de la Procession (XVe). Bilan : les locaux sont détruits et un membre du RNP est blessé.

Arrêté le 3 ou le 5 janvier 1942 par la police française au métro Croix-Rouge, il fut torturé pendant cinq jours et cinq nuits avant d’être remis aux Allemands. Jugé à la Maison de la Chimie, rue Saint-Dominique, avec vingt-six autres résistants, le 14 avril 1942, il fut fusillé par les Allemands le 17 avril 1942 au Mont-Valérien (Suresnes), à l’âge de 18 ans. Il a laissé une dernière lettre d’une touchante simplicité : Chers Amis, Je vous écris une dernière fois pour vous adresser mon adieu. Il est environ 1 heure et à 5 heures je serai fusillé. Donc quelques heures devant moi. Je suis calme et tranquille. Oui pour moi, c’est fini. Je me souviens du bon temps que j’ai passé près de vous et je vous demande de vous en souvenir également. Ne pleurez pas pour moi. Je ne suis pas à plaindre. Mais aimez mon souvenir.

Marcel Bourdarias est enterré au cimetière d’Ivry-sur-Seine. Une rue d’Alfortville porte son nom.


04/03/2013
0 Poster un commentaire

GENDAMES DANS LA RÉSISTANCE

Lorsque Pierre Accoce publie son livre, il ne dispose que partiellement des archives de la gendarmerie. Et pourtant, depuis 2001, l’étude que l’auteur a entreprise sur la part prise par la gendarmerie dans la Résistance fait toujours référence et montre que la gendarmerie ni n’a été massivement complice des rafles et des déportations, ni n’a été un instrument zélé au service de l’Etat Vichyste, ni n’a pas été un relais docile de la politique de collaboration. Au contraire de nombreux soldats bleus ont rejoints très tôt la Résistance. Ils ont œuvré dans les réseaux existants, créé leurs propres antennes, combattu dans les maquis. Le quart de l’effectif a participé activement à la Résistance soit 12 000 gendarmes. Un pourcentage dont aucun autre corps de métier ne peut se prévaloir.

En guise de préambule

Sur les 12.000 gendarmes engagés dans la Résistance, 2.161 ont été arrêtés dont 1.141 ont été fusillés, ou morts en Allemagne, en prison ou en camp de concentration, ou tués au cours d’opérations de libération en France. Et 920 sont rentrés de déportation. La croix de la Libération a été décernée à 4, la médaille de la Résistance à 360, la Légion d’Honneur à 351, la médaille militaire à 1.060, la croix de guerre avec citations à

4852, la médaille des justes d’Israël à 7.

Quarante jours ont suffi pour battre l’armée française en 1940 et faire 1.580.000 prisonniers. Le diktat d’Hitler à Rethondes va ruiner la France et la déshonorer lorsque seront refoulés en Allemagne les ressortissants allemands qui s’étaient réfugiés chez nous dont les Juifs. Le 28 Juin 1940, la République bat en retraite et l’Etat français s’installe, le 2 Juillet, à Vichy. En 1939, la gendarmerie compte 54.000 hommes dont 1.514 officiers. A fin Juin 1940, sur les 12.000 gendarmes mêlés aux autres mobilisés, 377 ont été tués et 5.000 faits prisonniers. La garde républicaine à Paris est passée sous le joug allemand. La garde mobile s’est fondue dans la population. La départementale s’est efforcée d’escorter les réfugiés civils. Bref l’institution est disloquée.

Serignan, fil conducteur de la Résistance de la gendarmerie

L’armistice signé, Hitler nomme le Général Otto Von Stülpnagel à la tête de la commission chargée de son application. Elle siège à Wiesbaden et a pour mission de mettre au pas cette France honnie. La faire danser longtemps le ventre creux. La direction générale de la gendarmerie mandate pour la représenter près du Général Huntziger, le Capitaine Sérignan.

Ce Saint Cyrien, ancien du SR, parlant couramment l’allemand, remarqué par sa hiérarchie pour ses qualités hors normes3, est chargé d’obtenir la reconnaissance de la « départementale en zone occupée dans son statut antérieur et que cette dernière en zone libre reste sous l’autorité de la Défense ». Il est également mandaté pour « obtenir le rapatriement des 5 000 gendarmes qui sont prisonniers et faire en sorte que la Wehrmacht évacue les casernements de gendarmerie qu’elle occupe. Arrivé à Wiesbaden, Sérignan, s’appuyant sur des raisons d’ordre public, rédige une synthèse qui prône le retour de la gendarmerie en zone occupée dans ses garnisons du temps de paix et demande pour cette mission 20.000 hommes. Ceci est, finalement, acceptée par Von Stülpnagel sous réserve que son statut soit discuté avec l’administration militaire allemande. Quant à la garde mobile républicaine en zone occupée elle est dissoute et devient, en zone libre, la Garde forte de 6.000 hommes.

Le 19 Juillet, Sérignan s’installe à Paris pour discuter du statut de la Départementale en zone occupée. Les allemands veulent la mettre sous les ordres de la police mais Sérignan obtient du nouveau commandant militaire que, dans un premier temps, quelques milliers de gendarmes se réinstallent dans leurs départements d’origine sauf dans le Nord et dans l’Est en régime d’annexion déguisée. Ensuite, il obtient que, faute de pouvoir maintenir la Garde Mobile en zone occupée, il intègre 7.000 gardes dans la Départementale. Tout ceci fait, en septembre 1940, que la maréchaussée en zone occupée compte 14.600 hommes dont 375 officiers. Pour le retour des 5.000 gendarmes prisonniers, Sérignan obtient d’Otto Von Stülpnagel le retour de 1.000 mis en congé de captivité puis d’un autre millier et, enfin, en mai 1941, de 2.385. Tous les libérés entrent dans la Départementale en zone occupée. Au final, avec la création d’une gendarmerie auxiliaire de 1.000 hommes chargés de la surveillance des ouvrages publics, et le recrutement de 1.200 autres gardes au titre « d’anciens combattants l’effectif visé de 20.000 passe à 23 000. Pour éviter que la gendarmerie passe de la Défense à la police en zone occupée, Sérignan obtient qu’elle soit rattachée à la Délégation générale de l’Etat français à Paris ce qui, de fait, permet à la Direction générale de la gendarmerie près de la Défense d’avoir sous son autorité la Départementale de zone occupée.

Sérignan a mené toutes ces négociations à Paris où il s’est installé comme chef de La section Gendarmerie en Territoire Occupée (SGTO). Au fur et mesure que la Départementale va s’implanter en zone occupée, la SGTO va se décentraliser pour défendre les brigades près des Kommandanturs afin que la Départementale puisse remplir ses missions classiques locales et, du fait des circonstances, des missions occultes relevant de multiples engagements personnels émanant tant de la hiérarchie que de simples gendarmes. Il n’est pas possible de décrire ici tous ces engagements. Pour cela il faut lire le livre. Par contre j’ai retenu quelques engagements qui montreront aux lecteurs de ce digest l’étendue et la diversité des actions de Résistance ainsi que leur foisonnement au sein de la gendarmerie. Sitôt les brigades en place en zone occupée et avec des fiches de démobilisation timbrées à l’avance, par des services militaires de la zone libre qui sont complices, Sérignan et le SGTO va démobiliser des milliers de mobilisés échappés de l’encerclement de leurs unités par les allemands qui les réclament comme prisonniers de guerre ! Les allemands s’aperçoivent de la manœuvre, s’en plaignent et s’en irritent. En particulier, le colonel Helmut Knochen7. Sérignan est contraint à la prudence d’autant qu’à la tête de la Délégation générale de l’Etat français à Paris qui a autorité sur la SGTO, Léon Noêl est remplacé par Fernand de Brinon, germanophile grand teint, reçu plusieurs fois par Hitler dès 1933 et surnommé, dans l’administration préfectorale, l’Anguille eu égard à sa souplesse d’échine.

Le réseau Saint Jacques de maurice Duclos et Jean Verines

Maurice Duclos

A Londres, le général de Gaulle décide, dès Juillet 1940, la création d’un Service de Renseignements en France qui soit en mesure d’identifier les forces et les installations à la disposition des allemands. Pour cela, trois réseaux, dépendant du BCRA, sont créés.

Le premier, depuis Paris, couvrira le Nord et l’Ouest jusqu’à la Touraine. Son responsable en sera Maurice Duclos (photo). Il deviendra le réseau Saint Jacques. Le deuxième, couvrant toutes les côtes du Cotentin à l’Espagne sera confié à Gilbert Renault alias Rémy. Le réseau s’appellera La confrérie Notre Dame (CND). Le dernier, en zone libre, sera confié à Pierre Fourgaud alias Barres deviendra le réseau Luras. Duclos va être le premier agent opérationnel en France. Il installe Saint Jacques à Paris et sa première recrue est le chef d’escadron de gendarmerie Jean Vérines grand mutilé de 14/18 et commandant d’un bataillon de la Garde, place de la République. Duclos le charge d’organiser, au sein de la Garde et de la gendarmerie : un maillage capable d’expertiser l’état des forces terrestres, aériennes et maritimes du 3ème Reich du Nord de la France à la Normandie. Des lieux de passage à travers la ligne de démarcation.

Jean Vérines

Jean Vérines recrute dans son bataillon et au-delà. Ainsi du colonel Jean Baptiste Raby commandant de la 9ème région de gendarmerie de Tours, lui aussi vétéran de 14/18. Ainsi du colonel Emile Boillon, chef de la gendarmerie d’Amiens. En décembre, l’antenne Vérines couvre Paris, la Somme, l’Eure et la Touraine et l’antenne Nord, confiée par Duclos à Lucien Feltesse, un belge, couvre le Nord de la France et la Belgique. Ce sont, en tout, 300 agents qui arrivent à déterminer dans l’armement, l’état des voies routières, ferrées et fluviales, la description des aérodromes qui ont été crées avec des stocks considérables d’essence et de munitions et qui sont protégés par une puissante DCA.

Toutes ces forces sont rassemblées pour la bataille d’Angleterre commencée le 12août 1940. L’assaut va se prolonger pendant quatre semaines puis, le 7 septembre, se déplacer, de la mer et des côtes, sur Londres. 375 bombardiers vont alors pilonner le Londres industriel et populaire, les docks et la centrale électrique de Westham. Le soir même, les bombardiers repartent, armés de bombes incendiaires au phosphore. Et ce, chaque soir jusqu’à la fin septembre 1940. Puis, chaque nuit en Octobre. Au dire d’experts, ce fut Guernica puissance 300. Mais, les britannique tiennent bons. La DCA et la RAF résistent. La Luftwaffe perd 2 375 avions, la RAF, 945. Parmi les civils anglais, on compte 14.621 morts et 20.252 blessés. Le bilan est lourd mais le premier round est gagné par les anglais et Hitler reporte le débarquement. Saint Jacques a d’ailleurs acquis la certitude que la Wehrmacht n’a pas le matériel adapté à un débarquement. Par contre la Kriegsmarine est sérieusement outillée pour une guerre océanique et Hitler décide de continuer à terroriser les anglais par la Luftwaffe et d’affamer avec les U.Boots. Saint Jacques cartographie des lieux de parachutages/atterrissages, organise le passage de la ligne de démarcation pour le courrier, les agents et les aviateurs alliés rescapés. Duclos retourne à Londres, obtient des moyens radios et revient en France avec un radio, Jean Mulemann, qui, retourné par l’Abwehr, va provoquer des désastres en cascade dans le réseau Saint Jacques. En attendant Saint Jacques, poursuit sa recherche de renseignements et est en mesure de décrire pour la Navy, l’importante concentration de sous-marins au Havre.

En parallèle l’Abwehr progresse dans la connaissance de ce réseau et, le 20 juin 1941, la SIPO arrête le Capitaine de gendarmerie Albert Morel et le gendarme Amédée Devineau au moment où ils franchissent la ligne de démarcation. Ils ont sur eux un abondant courrier notamment les plans de la base sous marine de Saint Nazaire. La SIPO attendait les deux agents. Ils avaient donc été donnés. Par Mulemann ? Sans doute.

La SIPO, dans la foulée, intervient à Paris, rate Duclos, mais la torture sans doute aidant, va arrêter le Colonel Raby, le Lieutenant Ernest Laurent et plusieurs de leurs hommes à la 9ème légion de gendarmerie (Tours), le Colonel Boillin, l’Adjudant chef Legrand et plusieurs de leurs hommes (Amiens), le Capitaine Le Flem et plusieurs de ses hommes (Pont l’Évêque).  C’est ainsi que la SIPO arrive à Vérines qui est arrêté le 22 octobre 1941 avec plusieurs gardes. Le docteur Werner Best, qui supervise les liens de la SIPO avec la police française, remarque le nombre élevé de gendarmes arrêtés, mais aussi celui de ceux ayant échappé à la traque. Son chef Helmut Knochen fulmine, convoque Sérignan à l’hôtel Scribe où ce dernier subit injures et menaces visant l’ensemble des gendarmes  Des ennemis du Reich.

Sérignan encaisse. Il connaît la plupart des officiers incarcérés, apprécie leur trempe, la valeur de leurs engagements, partagés le plus souvent par leurs hommes. Il sait que d’autres suivront et qu’il va falloir ajouter au rôle officiel qui est le sien, une fonction délicate près de l’occupant, défendre des compagnons que la détresse guettera.

Le réseau Vérité française du capitaine Descamps

Et ils seront nombreux. Tel le capitaine Henri Clotaire Descamps, basé à Soissons, à la tête de la section locale de gendarmerie antenne du mouvement du Musée de l’homme. Descamps aide le passage en zone libre de quelques prisonniers de guerre évadés, rencontre Daniel Douay et devient, avec lui et seize autres agents dont des gendarmes, un relais du Musée de l’Homme appelé Vérité Française. Descamps collecte avec méthode des renseignements sur les unités ennemies, diffuse la presse clandestine, crée des caches pour stocker les armes. Mais à Paris, Vilde est trompé par un nouveau venu, Albert Gaveau, homme à tout faire ayant le Capitaine Doering de la SIPO comme officier traitant. Gaveau se rend utile à tout le monde et ne tarde pas à connaître l’organigramme de l’organisation secrète de Vilde. La SIPO passe à l’action le 12 février 1941 et arrête Lewitsky, plusieurs avocats faisant partie du réseau du Musée de l’Homme dont Léon Maurice Nordmann et René Georges Etienne. Elle rate de peu le professeur Paul Rivet qui alerte Vilde.

Celui-ci est cependant arrêté le 26 mars. La « tornade » se répand en province avec l’aide de Jacques Desoubries qui, dans le sillage d’un agent de liaison, arrive à Soissons chez Douay/Descamps. Le 25 novembre 1941 la SIPO entre en action, arrête le Colonel de la Rochères qui avait adressé Desoubries à Douay/Descamps, encercle la caserne de gendarmerie de Soissons, roue de coups le Capitaine Descamps, l’arrête avec plusieurs de ses hommes et transfère les prisonniers à Fresnes. Descamps va subir douze interrogatoires musclés. Sans arrêt il est interrogé sur le Musée de l’Homme mais ne parle pas. Il est mis au secret. Un effrayant calvaire l’attend. Sérignan, pour la défense des gendarmes arrêtés, commence par noyer les instances judiciaires occupantes de procédures dilatoires visant à éviter leur comparution devant les tribunaux militaires du Reich. S’il échoue il essaye de minimiser les chefs d’inculpation et fait intervenir un groupe de spécialistes qu’il a constitué. Tous, comme lui, connaissent parfaitement la langue allemande tel Maître Heanning, juriste rigoureux. Lorsque des peines sont prononcées, Sérignan et ses avocats établissent des recours en grâce. Ainsi Sérignan et son service se porteront au secours de plus de 500 gendarmes.

Les gendarme Garin, descamps et Charlot, victimes de la barbarie

Edouard Charlot

Le premier gendarme condamné à mort fut Maxime Garin de la 2ème légion de Picardie. Membre du réseau « Saint Jacques », il est passé par les armes fin décembre 1941 malgré une intervention de Sérignan près d’Otto Von Stülpnagel encore en fonction. Vains sont aussi les efforts de Sérignan pour le capitaine Descamps. Ce dernier, après avoir été très sévèrement torturé, reste au secret à Fresnes pendant 5 mois. Son procès commence le 15 mai 1942. Il sera long. Défendu par Heanning, Descamps est, néanmoins, condamné à mort. Sérignan dépose, alors, un recours en grâce et intercède directement auprès du nouveau chef des troupes d’occupation, le général Karl Heinrich Von Stülpnagel. Sérignan croit avoir gagné lorsque, en septembre 1942, on lui annonce que la peine de Descamps est commuée en 20 ans de forteresse en Allemagne. Mais c’est sans compter sur la duplicité de Von Stülpnagel qui, dès le 22 août 1942 a ratifié l’exécution par décapitation à la hache du condamné. Descamps, le 14 septembre 1942, part en Allemagne. Il passe de prison en prison jusqu’à celle de Brandebourg (près de Postdam) où, le 23 septembre 1942, à 5h21 du matin, il est exécuté. Le 14 août 1942, c’est au tour d’un autre gendarme, Edouard Charlot (photo), d’être condamné à mort.

Sérignan se risque alors à proposer l’échange du gendarme contre un membre de l’Abwehr arrêté en zone libre. Von Stülpnagel accepte apparemment, allant même jusqu’à évoquer une libération, sous réserve de l’accord préalable de Berlin qu’un vaincu ose faire pareil chantage, décide que la peine concernant le gendarme français, formulée par les juges du Reich, sera appliquée à la lettre, à l’allemande par un bourreau allemand C’est ainsi que Charlot est décapité le 4 janvier 1943 à la prison de Cologne. Ces deux exemples d’exécution barbare montrent l’âpreté de la lutte des services allemands contre la Résistance. Outre la généralisation de la torture appliquée sans limite, tout était juridiquement permis aux enquêteurs comme aux tortionnaires. Le croupissement secret en prison, la déportation, l’assassinat comme l’exécution.

One répression qui s’amplifie

Et après le retour au pouvoir de Laval, Darnand d’abord associé à cette répression avec la Milice va disposer sur ordre du général Obert, et ce, à partir de décrets signés par Laval le 10 janvier 1944, des pleins pouvoirs lui permettant de renforcer dans tous les domaines l’action allemande contre la Résistance. Par ces décrets, outre que Darnand devient Ministre de l’Intérieur et conserve près de lui la Milice, passent sous ses ordres directs la gendarmerie, la garde mobile, la police nationale, les GMR, la Préfecture de Police, les sapeurs pompiers de Paris, la garde des communications, les services pénitentiaires, les polices spéciales, les brigades anti-juives et antimaçonniques et les internements administratifs. Darnand reçoit, d’autre part, pleine autorité pour créer d’urgence des tribunaux spéciaux.

Mais si dure que soit cette répression pendant toute l’occupation cela n’empêche pas des gendarmes d’entrer en résistance. Certains créent leur réseau ou développent une antenne de réseau existant. Citons dans ce dernier cas le Maréchal des Logis Chef Paul Joyeux en brigade à Épinal qui après avoir aidé des prisonniers de guerre évadés, être entré au réseau Kleber-Uranus, avoir obtenu avec l’aide de Sérignan et de sa hiérarchie une mise en congé prolongé, entre en clandestinité sous le matricule E.865 et met sur pied une cellule de 50 agents au service du réseau Mithridate du BCRA. Il réussit à installer une centrale radio à Nancy pour la transmission de ses informations, obtient des renseignements sur les forces allemandes dans les Vosges permettant la destruction d’objectifs stratégiques et parvient à s’infiltrer dans la Sipo sauvant de l’arrestation des dizaines de personnes.

L’action tous azimuts du commandant Guillodot

Citons aussi l’extraordinaire action du Commandant Maurice Guillodot ayant à Vannes la responsabilité d’une circonscription comportant 55 brigades. Dès sa prise de fonction il amorce son entrée en Résistance en faisant détruire dans toutes les brigades le carnet B contenant le nom des habitants connus, dans chaque commune, pour leur appartenance politique. Cette attitude lui vaut d’être approché par plusieurs de ses hommes pour une action clandestine. Guillaudot est extrêmement réfléchi et va constituer, progressivement, un réseau structuré et cloisonné où 300 soldats de la loi sont affectés à des missions de renseignements et de parachutages. Le réseau relié par mer et par l’Espagne pour le courrier est rattaché au BCRA sous le nom d’Action. Guillaudot devient Yodi. Avec les premiers parachutages arrive Jean Cholet, spécialiste en utilisation des matériels nouveaux (du bazooka aux explosifs).

Suivent ensuite des agents du BOA qui organisent, avec Guillodot, la MAB (Missions Aérienne Bretagne) et une liaison radio avec Londres. En six mois, 29 parachutages vont être réussis, des gendarmes assurant l’enlèvement et la cache. Côté renseignement Guillodot a pu répondre aux demandes de Londres sur les forces et les installations allemandes sur l’île de Groix, sur le chantier de l’arsenal de Lorient et sur la nouvelle base sous marine de Keroman. Il a même pu faire parvenir par avion la description complète, appuyée de photos et de croquis, de tout le dispositif allemand dans le Morbihan et le sud Finistère. A ces actions Guillodot charge son réseau d’aider les réfractaires du STO.

Cependant, toute cette activité, qui dure depuis des mois, attire l’attention des allemands qui réussissent à se saisir de fragments du réseau, le cloisonnement rigoureux organisé par Guillaudot évitant le désastre jusqu’en septembre 1943 où arrive de Londres, Valentin Abeille, Délégué Militaire Régional (DMR) qui vient fédérer la résistance dans 10 départements bretons et normands. Début décembre 1943, Abeille rencontre Guillaudot. Il l’informe de sa mission et lui apprend, qu’outre la direction de son réseau, il est nommé par Londres chef régional FFI. Abeille, sans doute pisté, renonce, au dernier moment, à passer la nuit chez Guillaudot. Il échappe ainsi à la SIPO, mais cette dernière arrête, le 10 décembre 1943, son contact. Guillaudot est conduit à la prison de Rennes où il subit plusieurs interrogatoires. Ceux-ci d’abord relativement supportables, se durcissent début janvier 1944. Ce changement de méthode correspond à la prise exorbitante d’autorité de Darnand incluant les prisons qu’il confie à ses miliciens les plus fidèles. Pour les prisons bretonnes c’est Raoul Di Constanzo qui fait régner l’enfer, agissant en maître partout. Dans le cas Guillaudot, les allemands se réservent leur prisonnier mais, désireux d’en finir rapidement, accentuent leurs interrogatoires. N’obtenant pas d’aveux, et sans doute pour ne pas perdre la face vis-à-vis de Di Constanzo qu’ils considèrent commun supplétif, ils décident de déporter, en juin 1944, Guillaudot à Neuengamme. A peu près en même temps, son fils, lieutenant de gendarmerie à Annecy est déporté à Dachau. Ils vont rentrer, tous les deux en triste état. Maurice Guillaudot reprendra son activité dans la gendarmerie où, nommé à la 1ère inspection du corps, il sera promu Général après avoir été fait Compagnon de la Libération le 19 octobre 1945. Quant aux gendarmes de Guillaudot, son successeur à la tête du réseau Action, Paul Chenailler, les fera, sans difficulté, basculer dans l’insoumission, quelques jours après le débarquement. Et notamment à Saint Marcel où ils assistèrent efficacement les maquisards et les commandos du Colonel Bourgoin.

Le martyre du commandant Fontfrede

Rappeler ces quelques exemples de participation de gendarmes à la Résistance ne doit pas faire oublier que ce sont 12.000 gendarmes et gardes qui, sur tout le territoire, sont entrés en Résistance. Beaucoup ont été frappés d’arrêts de rigueur, de suspension de fonction et nombre d’entre eux ont été arrêtés, torturés, déportés, fusillés. Parmi eux, le Commandant Antoine Fontfrede. C’est un honorable correspondant du Colonel Paul Paillole, ancien chef du contre espionnage au sein des services spéciaux devenus clandestins qui combat la pénétration des services spéciaux allemands en zone libre. Fontfrede est à la tête de la gendarmerie du Puy de Dôme et il est également membre de l’ORA et du réseau Mithridate. Le 1er octobre 1943 le SD l’arrête, l’accusant d’avoir préparé un attentat à l’explosif capable de détruire la voiture blindée de Laval alors que c’est son unité qui doit couvrir les déplacements de ce dernier entre sa résidence de Châteldon et Vichy. Il est torturé et un communiqué du 11 octobre annonce qu’il a été fusillé. En réalité, via Compiègne, il est déporté, le 14 mai 1944, à Buchenwald puis affecté au KO Ellrich. Puis c’est une marche de la mort où Fontfrede n’avance plus que soutenu par trois autres déportés dont un gendarme de Volvic, Pierre Paulze qui l’accompagne partout. Tous quatre réussissent à s’évader mais Fontfrede trop fatigué ne peut pas suivre. Paulze reste avec lui et tous deux disparaissent, sans doute tués par une unité de Volkssturm.Ce sont 1.373 gendarmes qui ont été déportés. 454 ne revinrent pas et 338 furent fusillés dont, au Vercors, les gendarmes Courrech, Lespinasse, Barrau, Chalaye et Clesse, à Grenoble le gendarme Raymond, à Beaurepaire le gendarme Offner.

Darnan réorganise la gendarmerie. La désobéissance s’amplifie

Grâce à Sérignan la Garde Mobile qui a été dissoute, réapparaît intégrée à l’armée en zone libre et devient « la Garde » forte de 6.000 hommes dont 180 officiers. Lorsque Darnand reçoit les pleins pouvoirs le 10 janvier 1944, il destitue, aussitôt, 14 préfets suspectés de relations avec le Noyautage des Administrations Publiques (NAP) et, d’une façon générale, met aux postes clés des durs tels Jean Degans (Renseignements Généraux), Marcel Gombert (Groupe Spécial de Sécurité), Rebouleau, milicien promu Préfet de l’Hérault à Montpellier. A cela s’ajoutent onze intendants pénitentiaires qui dispensent l’épouvante dont le chef de la milice du Limousin qui transforme en enfer la prison de Limoges, Raoul Di Constanzo dans les prisons bretonnes, Charles de Beurnonville dans celles de Lyon, Jean Colomb dans celles de Vichy. L’historien Fred Kupferman soulignera la portée de l’instauration de ces équipes dans son livre (La venue de la Barbarie) consacré à Laval en constatant que la fusion forcée de la police et de la milice allait introduire dans le milieu des fonctionnaires une espèce nouvelle, celles des tueurs pressés!

Un pouvoir sans limite, ni contrainte

Cette glaciation va peser sur la gendarmerie. Après la décision de Laval de la retirer de la Défense, Obert veut qu’elle passe sous les ordres de Darnand. Ce dernier va la diriger, la contrôler, nommant et révoquant à sa guise, ne soumettant ses directives (de fait sans recours) qu’au visa de principe de Laval. Par voie de conséquence, la gendarmerie comme la Garde tombent entre les mains de la milice qui, avec les  nouveaux Préfets, exige le concours de la gendarmerie contre la Résistance aux côtés des miliciens. Ces derniers épient leurs moindres gestes n’hésitant pas d’appeler les allemands à la rescousse. C’est ainsi que, dans l’Ain, pour complicité avec les dissidents, ils font arrêter le Capitaine Verchère et six de ses gendarmes (Nantua), le Margi chef Pfirsh et trois de ses hommes  (Brenod) ou l’Adjudant Bertrand et deux de ses hommes (Saint Rambert en Bugey), tandis que dans le Lot, c’est le Lieutenant Louis Dauquier (Gourdon) qui va être victime de cette chasse à l’homme L’arbitraire de la Milice à l’égard de la gendarmerie sévit partout, Haute Savoie, Basses Alpes, Bretagne, Gers, Ariège, Tarn, Haute Garonne . Darnand demande aux nouveaux intendants de police d’inclure des gendarmes dans les pelotons d’exécutions des Résistants condamnés à mort par les cours martiales. Confrontés à pareille situation plusieurs gendarmes désobéissent ou désertent à Toulouse, Limoges, Nîmes où 30 gendarmes et leur chef le Capitaine Orsatelli refusent d’exécuter trois maquisards qui sont alors transférés à Marseille et exécutés par des GMR. Même refus à Poitiers, Orléans, Angers, Nice, Lille. A Paris, le Capitaine Jean Chalvidan et un groupe de gendarmes refusent, à la prison de la Santé, la terrible besogne et désertent.

Un général, aux ordres de Pétain et Darnan

La gendarmerie départementale devient difficile à mater et Darnand pour renforcer son appareil policier dont le pivot est constellé des Francs Gardes de sa Milice, flatte par des promotions et des primes les GMR, les brigades parallèles des partis ralliés à Vichy et constitue, avec une quinzaine d’officiers acquis à ses idées, un Etat Major appelé le STMO (Service Technique du Maintien de l’Ordre). Quant à la Garde et ses 6.000 hommes, Darnand souhaite l’amalgamer à sa force d’intervention. Pour ce faire, il choisit le Général Perre, rallié à Pétain, qui, jusqu’en 1942, a présidé le tribunal militaire de la 13ème Région (Clermont Ferrand) y manifestant un grand rigorisme doublé d’un non moins grand sectarisme. Pour ces services, il reçoit de Pétain la Francisque en ayant comme parrains le docteur Ménestrel et le Général Campet. Au cours de la cérémonie de remise, il prononce, comme tous les 2.625 autres récipiendaires, le serment de vassalisation Je fais don de ma personne au

Maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. Je m’engage à servir ses disciples et à rester fidèle à sa personne et à son oeuvre.

L’aventure et le calvaire du chef d’escadron Robelin

Laval présente, à Oberg, le Général Perre qui, par décret du 7 avril 1944, est nommé directeur général de la Garde. A ses côtés, apparaît, comme sous directeur, le Chef d’escadron Robelin, lequel est doublé d’un homme de Bousquet et d’un contrôleur civil. Avec Robelin arrive à un poste essentiel un Saint Cyrien passé par l’école des sous officiers de la gendarmerie de Versailles, entré à la garde Républicaine, admis au concours de l’école supérieure de guerre, breveté d’Etat Major et affecté près du Général Bourret, à l’inspection générale de la gendarmerie. La défaite venue, Robelin veut passer en Angleterre mais, son ami Paul Paillole le retient et il devient l’un des tous premiers honorables correspondants du contre espionnage clandestin de la gendarmerie et de la Garde. Les contacts de Robelin et Paillole permettent notamment de décimer les équipes d’agents nazis tendant à s’infiltrer en zone libre. Paillole, mis sur la liste noire des allemands, reçoit l’ordre de passer à Alger à l’entrée des allemands en zone libre et il est remplacé par Roger Lafont (alias Verneuil) à la tête d’une équipe de militaires liés à l’ORA et comportant de nombreux gendarmes et gardes. Parmi eux, les Capitaines Delmas (Toulouse), Hugon (Lyon), Kerhervé (Issoire), les Lieutenant Colonel et Colonel Boisseau et Vincent (Nice), le Chef du Chef d’escadron Raulet et des Capitaines Perrolaz, Mallaret, Jung et Receveau (Alpes).

Mission de maillage

Clé de voûte de ce maillage, Robelin, assisté du Capitaine Vincent pousse ses antennes jusque dans l’entourage de Darnand. Le Général Revers, chef de l’ORA, confie alors à Robelin une triple mission à la Garde : neutraliser les décisions fâcheuses de la direction de l’Arme, canaliser et contrôler la participation de cette Arme au maintien de l’ordre, préparer son entrée en action dans le camp allié au moment de l’insurrection. On comprend mieux la raison pour laquelle le Chef d’escadron a accepté le poste de sous directeur technique de ce Corps le 15 avril 1944. Il prend comme adjoint-le Commandant Tharaux et s’entoure d’une dizaine d’officiers qu’il connaît pour leur passé et pour leur engagement en faveur de la Résistance.

Le Général Oberg, malgré les engagements de Laval et de Darnand, refuse les moyens lourds que ces derniers réclament pour la Milice et pour la Garde. Cependant, il charge le SD de surveiller le nouvel Etat Major de Robelin. Ce dernier a peu de marge de manœuvre mais il réussit à maintenir ses liaisons avec Verneuil et, par les Capitaines Morand, Bouchardon et Grange, noue des contacts avec l’AS (Armée Secrète), le Délégué Militaire couvrant Allier/Cantal/Puy de Dôme, le Front National ainsi qu’avec le Capitaine Vincent tirant, par ailleurs, du STMO des informations précieuses sur la préparation des assauts contre les réseaux et les maquis.

Il donne aux commandants d’unité de la « Garde » consigne de renoncer à la chasse et d’éviter l’ouverture du feu. Il prépare avec le colonel Jean Pfister de l’ORA, le glissement de la Garde dans les maquis. Il est, notamment, en relation suivie (via le Capitaine de gendarmerie Marcel Auriol) avec le Commandant Descours, responsable du Vercors. Sa hantise permanente est la Milice, aussi, sous prétexte de protéger Pétain, il regroupe le gros des régiments de la Garde à Lyon,

Limoges, Clermont, Montluçon et Roanne. Abwehr et SD accroissent leur surveillance car les Préfets se plaignent de la passivité grandissante de la Garde. Par le Capitaine gendarme Demettre, Paillole depuis Alger, alerte Robelin qu’il est visé, d’autant que Darnand reçoit une plainte de Vaugelas, chef de la Milice à Limoges, accusant Robelin d’avoir personnellement freiné la participation de la Garde lors d’opération contre les maquis du Limousin. Conséquence, Darnand demande la tête de Robelin à Perre.

Arrestations en série

Le lendemain du débarquement, 500 élèves de la Garde, Chef d’escadron Corberand en tête, accompagnés de cinq escadrons de la Garde passent au maquis. Vive agitation à Vichy. Le 15 Juin Degans, patron des RG avec, à ses côtés, le commissaire Pierre Poinsot, convoque Bouchardon à son QG. Bouchardon fait front. Poinsot le relâche mais il le fait écarter de l’Etat Major de Robelin et le met aux arrêts sous garde de la Milice. De son côté le SD, qui torturent trois résistants, voit  ressortir le nom du DMR Courson de la Villeneuve avec qui Robelin est en relation. L’arrestation du DMR déclenche une traque qui conduit à l’arrestation du capitaine Morand de l’EM de Robelin. Darnand, en liaison avec le SD, convoque Robelin et Perre et deux policiers allemands interpellent Robelin. Le Commandant Jeandel est, lui aussi, convoqué, interpellé et arrêté.

Le 7 juillet, Perre réunit l’EM de la sous direction technique, fustige les comportements des officiers arrêtés en les qualifiant de traîtres. Dans la foulée, il nomme Tharaux au poste de Robelin et s’éclipse. André Grange propose de fuir. Pendant ce temps la SIPO cerne l’immeuble et à 17 heures ; Tharaux, Comemale, Delmas, Lacroix, Garraud et Puthoste sont arrêtés. Grange qui s’est échappé, est néanmoins, reconnue et arrêté avec Dautun, rédacteur et Levy, secrétaire. A l’hôtel du Parc, siège du gouvernement de Vichy, le SD arrête le Chef d’escadron Hurtel et le Lieutenant Bertrand de la garde personnelle de Pétain, ainsi que le Commandant d’escadron 6/4 de Vichy, tous trois fichés comme des proches de Robelin. Bouchardon qui est aux arrêts est, lui aussi, arrêté. Seul Paul Vincent échappe à la rafle et rallie le groupement Colliou de l’ORA.

 Transfert vers l’horreur

Les captifs sont transférés, le 9 juillet, à la caserne d’Assas de Clermont Ferrand tenue par les SS et où Francis Morand est déjà incarcéré. Robelin et Morand placés en isolement sont emmenés le 10 à Chamalières, Villa René, siège du SD où se trouve notamment Joseph Kaltseiss, expert en sévices assisté de plusieurs gouapes françaises. Robelin et Morand sont horriblement torturés mais n’avouent rien. Un témoin, prisonnier à la caserne d’Assas, Serge Fischer aide au transfert d’un homme au visage jeune noirci par la souffrance, gisant sur une civière et geignant. Il avait un trou de la grosseur d’un poing dans la fesse droite. On y voyait de petits os. Sa jambe droite était enflée au moins de quatre fois la taille normale. Plus tard j’ai été convoqué à nouveau pour le panser dans sa cellule et il m’a murmuré à l’oreille. Ne t’en fais pas  nous les aurons quand même. Puis il m’a donné son nom Remi Robelin.

Plusieurs fois encore, Robelin est emmené Villa René et torturé. Il est ensuite transféré à Vichy dans les mains d’autres carnassiers, les SS du Capitaine Gallinger.

Paillole qui a pu récupérer une partie des archives de cette antenne SS à Vichy établira que son ami a été torturé jusqu’au 9 août 1944 et que le 10 août, miné par la gangrène, et sans doute sur ordre de Gallinger, un SS l’a étranglé dans sa cellule. Son corps ne fut jamais retrouvé. Le sort de ses compagnons est connu, Tharaux, Comemale, Jeandel, Puthoste, Hurtel, Dupont et Bertrand ont retrouvé la liberté. Grange s’est évadé du train qui l’emmenait en déportation, Delmas, Morand et Lacroix sont morts en déportation. Garraud et Bouchardon sont rentrés de déportation, échappant miraculeusement au bombardement de leur bateau à Neustadt.

Derniers soubresauts d’autoritaisme

A l’hôtel Majestic de Paris, au PC du Général Oberg, se trouve Max Knipping, délégué milicien de Darnand qui n’arrête pas de bousculer Sérignan convoqué aux réunions du chef des polices du Reich. Sérignan l’ignore, ne répond qu’à Oberg et à Knochen et, toujours, en allemand. Il plaide pour ses collègues des brigades et des sections de gendarmerie qui ne font pas leur métier en particulier pour les Colonels Ledu (Paris-Nord), Charollais (Paris Est), Le Guennec (Dijon), Maujean (Rennes), Simontoli (Limoges), Samson (Bordeaux) ou Pouilly (Orléans) à qui sont reprochés des défaillances de personnel, du manquement dans la lutte contre les maquisards et les résistants. Sérignan les couvre régulièrement, Knipping menace, informe Darnand qui fait pleuvoir des peines administratives. A titre d’exemple le Lieutenant Colonel Vernageau, grand mutilé 14/18, chef de la légion Languedoc, est relevé de ses fonctions pour avoirs refusé de saluer le drapeau frappé du gamma de la Milice.

Darnand, approuvé par Laval, crée des tribunaux du maintien de l’ordre. Les miliciens remplacent les magistrats tout comme ils le font déjà pour les cours martiales. Ces instances, où seront jugés tous les agents de la force publique qui n’auront pas fait leur devoir, en particulier des gendarmes surnommés par les Miliciens « La Plaie Bleue », prévoient des peines allant du renvoi à l’emprisonnement, voire, en cas de désertion, la peine de mort. Des peines immédiatement exécutoires et sans recours. Le Général Martin, directeur de l’Armée, proteste oralement et par écrit en pure perte. La Milice est au pouvoir et invente les corps francs mixtes associant GMR, Policiers, gendarmes, douaniers et miliciens. Toute cette accumulation de pressions sur la gendarmerie font, qu’à fin juin 1944, on peut estimer à 12.000 gendarmes et gardes, l’effectif entré en clandestinité. Et bien d’autres allaient suivre.

En guise de conclusion

La gendarmerie fait partie de l’armée. Parler de l’action déterminante des gendarmes et de la Garde dans la Résistance, c’est indirectement rendre hommage à tous les volontaires qui se sont engagés dans la résistance et constituèrent la nouvelle armée française. Que ce soit ceux qui, dès juin 1940 à l’appel à la résistance du Général de Gaulle le rejoignent et forment des unités se distinguant aux côtés des Alliés dans leurs combats. Que ce soit ceux qui s’engagent dans l’armée de l’ombre, celle des réseaux, des mouvements, des maquis et où tant de militaires de réserve et d’active et, notamment, de gendarmes prirent une part active. Cette armée nouvelle a concouru efficacement à la Libération du territoire et cela malgré la collusion de trop d’amiraux et de généraux qui, derrière Pétain, Darlan, Laval et Darnand, s’étaient engager dans un chemin allant du défaitisme à la collaboration active avec l’ennemi. L’analyse de l’étude de Pierre Accoce terminée, il reste à souhaiter que son actualisation puisse être faite lorsque la gendarmerie aura plus largement ouvert ses archives aux chercheurs. Et je formule le regret qu’au moins les chefs d’escadron Joseph Descamps et Jean Verine, les Colonels Remi Robelin et Sérignan n’aient pas été faits Compagnons de la Libération

 

 

 

 

 

 

 


04/03/2013
0 Poster un commentaire