EDMOND MICHELET ET LE MOUVEMENT COMBAT
Edmond Michelet, décédé en 1970 fut l’un des premier Résistants de France et la ville de Brive-la-Gaillarde, ou il habitait avec sa femme et ses sept enfants, fut certainement celle qui bascula à peu près tout entière dans la Résistance à l’envahisseur. L’un des fils d’Edmond Michelet raconte, ce que fut l’œuvre clandestine de son père et comment, après une action vigoureuse qui se prolongea pendant plus de deux années, il fut arrêté par la Gestapo.
Edmond Michelet décéda au mois d’octobre 1970. Dans sa résidence de Marillac, près de Brive, des suites d’une congestion cérébrale. Il occupait, à l’époque le poste de ministre des Affaires culturelles. Il y avait succédé à André Malraux. Le portrait a été pris peu de temps avant sa mort. Edmond Michelet a survécu à Dachau.
Sept heures moins le quart du matin. En ce mois de février, la nuit est encore complète. La ville de Brive dort. Dans les rues désertes, obscures, silencieuses, exceptionnelles sont les voitures; les réquisitions, la pénurie de carburant et de pneus, ont vidé pour un temps les artères de la ville. Le quartier Champanatier, déjà très calme avant-guerre est plus que jamais engourdi dans le silence.
Comme tous les matins, Mme Hyllaire s’est levée tôt. Bientôt, elle préparera le petit déjeuner de son fils qui dort avec ses secrets; elle le devine plus qu’elle le sait. Soudain elle tressaille. Quelle est cette voiture qui passe dans la rue? Elle tend l’oreille. Une voiture? Non, plusieurs qui bourdonnent, moteur au ralenti. Alors elle comprend, elle sait que dehors les autres préparent une rafle. Pour qui sont-ils là? Pour qui cernent-ils le quartier? Pour son fils qui dort dans la pièce à côté? Pour Edmond Michelet qui habite à deux pas de là? Pour les deux à la fois sans doute! Mme Hyllaire sait bien qu’un lien unit les deux hommes. Son fils n’est pas très bavard mais elle a compris que certaines des occupations relèvent du terrorisme, comme disent les Vichyssois. Une voiture passe lentement devant la maison. Mme Hyllaire éteint la lumière, se précipite jusqu’à la fenêtre qu’elle entrouvre. La Citroën prend la direction de la rue Champanatier, la rue des Michelet. Oui, c’est bien la rafle. Alors elle bondit jusqu’à la chambre de son fils.
Gaston! Réveille-toi. Ils sont chez Michelet!
Brive la Gaillarde, patrie d’Edmond Michelet, a ses petites rues, ses placettes pratiquement désertes mais qui s’animent aux soirs d’été, avec ses antiques voitures à chevaux.
Son fils comprend aussitôt, la clandestinité a affûté ses réflexes. Il s’habille à la hâte, embrasse sa mère : Tu leur diras que tu ne ma pas vu depuis longtemps et que tu ne sais pas ou je suis! Déjà il est dans le garage, il charge son vélo sur ses épaules et sort sans bruit dans le jardin. Il ne peut fuir que par-là puisque les autres surveillent toutes les rues du quartier. Le jardinet des Hyllaire communique avec ceux des voisins. Le fugitif saute les clôtures et disparaît dans la nuit. Quand la Gestapo arrivera chez lui, un peu plus tard, Gaston Hyllaire, dit Léonie pédale dans la nuit. Il pense qu’Edmond Michelet est pris, que le mouvement Combat de la Région 5 n’a plus de chef, mais que lui, Léonie adjoint de Michelet Duval, va prendre la suite pour que continue l’aventure commencée voici bientôt trois ans.
Au Congrès eucharistique de Munich, un pèlerinage expiratoire se déroule à l’ancien camp de concentration de Dachau. La chapelle édifiée au centre du camp est dédiée àl’Agonie du Christ. Mgr Neuhausen, ancien prisonnier de Dachau, la bénit. M. Edmond Michelet, alors garde des Sceaux assiste à la cérémonie.
BRIVE, UNE HALTE SUR LES ROUTES DE L’ÉXODE
17 juin 1940, C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à chercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’obéir qu’à leur foi dans le destin de la Patrie.
Edmond Michelet éteignit le poste de radio et étouffa ainsi la voix un peu chevrotante du vieux maréchal. Ainsi donc il fallait cesser le combat! Et non content de demander à tous de déposer les armes, le chef du Gouvernement osait parler d’honneur! Edmond Michelet sentit soudain tout le poids de la fatigue accumulée depuis des mois, depuis qu’il avait accepté de diriger le Secours National, organisation qui s’occupait d’héberger et de nourrir des réfugiés et des convois militaires.
Père de sept enfants, donc définitivement éloigné du service armé. Edmond Michelet, pourtant déjà très pris par sa profession d’agent commercial et ses multiples activités sociales et culturelles, n’avait pas hésité à assumer la responsabilité du Secours National de Brive; elle lui permettait de servir pacifiquement le pays et de ne pas rester passif au milieu de la tempête. Il n’était pas étonné par l’annonce de la défaite. Le passage des milliers de fuyards dont il avait assuré le gîte, lui avait ouvert les yeux et fait comprendre l’ampleur de la catastrophe. Avant eux, et au fur et à mesure de l’avance ennemie, il avait discuté avec des Alsaciens, des Lorrains, des Belges, et des Luxembourgeois. Mais désormais, ce ne serait plus des hommes, des femmes et des enfants apeurés, transis et affamés qu’il faudrait recevoir, ce serait des vainqueurs bien nourris, sûrs d’eux et de leur force, pleins de morgue, qui imposeraient au pays vaincu les principes du système nazi. Edmond Michelet n’ignorait rien du sort qui attendait la France. Il avait déjà hébergé et fait fuir des catholiques allemands et autrichiens et ceux-ci lui avaient brossé en connaisseurs le sombre tableau de l’hitlérisme. Edmond Michelet, catholique pratiquant, voyait entre autres, dans le nazisme l’ennemi redoutable de la liberté, donc du christianisme. Si des catholiques s’étaient expatriés, avant même que n’éclatât la guerre, c’est bien la preuve que, quoi qu’aient pu dire un Daladier ou un Chamberlain, l’entente avec Hitler était impossible pour ceux qui croyaient à la dignité humaine. Désormais, il allait falloir courber la tête et se plier aux exigences d’un dictateur.
Affiche du maréchal Pétain
LA PREMIÈRE FUEILLE CLANDESTINE DE FRANCE
Aussi pas un seul instant, il n’envisagea d’obéir à la demande que le maréchal Pétain vienne d’adresser à la France en ce 17 juin 1940. Ne pas obéir est une chose, désobéir en est une autre. On peut ne pas obéir en faisant la sourde oreille et en restant inerte, mais pour désobéir il fau aller à l’encontre de l’ordre reçu. Le maréchal demandait de déposer les armes, Edmond Michelet décida non seulement de n’en rien faire mais encore de se servir, et plus une jamais, de toutes ses armes, morales et spirituelles, s’entend, il lui parut impensable qu’on pût s’avouer vaincu avant d’avoir usé toutes ses forces et il était impossible que le pays tout entier fût affaibli au point de ne pouvoir résister davantage. Il en voulait come preuve sa propre réaction. Certes, il était plein de tristesse et d’amertume, certes il se sentait abattu, mai Grand Dieu! Pas encore suffisamment pour ouvrir sa porte à l’ennemi. Et si lui se sentait ainsi poussé à relever la tête et à refuser la défaite, il ne faisait aucun doute que, dans le pays, d’autres hommes partageaient son état d’esprit. La France millénaire ne pouvait du jour au lendemain, cesser d’être la France pour satisfaire aux ambitions d’un Autrichien mégalomane. Dans sa mémoire chantèrent soudain les paroles de Péguy, ce Péguy qu’il admirait tant et dont il connaissait, par cœur, tant de poèmes et c’est à son œuvre qu’il emprunta des citations pour composer un tract propre à faire naître l’esprit de résistance chez les Brivistes.
Au pèlerinage des Prisonniers et Déportés. À Lourdes. M. Edmond Michelet, alors ministre des Armées, assiste à la messe des dix-sept autels, présidée par Mgr Puquet, ancien camarade de déportation.
Mais pour mener à bien ses projets, il avait besoin de complices. Oui il s’agirait bien de complices puisqu’ils accompliraient un acte rendu délicieux par la seule déclaration du maréchal Pétain.
Depuis plusieurs années, Edmond Michelet dirigeait un groupe d’équipes sociales ou se pressaient surtout des jeunes ouvriers avides d’acquérir, ou de parfaire, une formation intellectuelle ou professionnelle. Il connaissait bien des sentiments de certains de ses équipiers et savait trouver en eux les hommes qui le seconderaient. Il se tourna aussi vers un de ses amis qui l’aidait dans l’animation des équipes, Antoine Mérignac, alors professeur au lycée de Brive, qui fut un des premiers à répondre à son appel. Vinrent aussi de jeunes hommes comme Vidal, Bourdelle, Soulingeas, Ils travaillaient presque tous à la S.N.C.F. ou ils menèrent, plus tard, un combat plus rude et plus dangereux que ce premier acte clandestin de résistance du 17 juin 1940. Ils se rassemblèrent au numéro 4 de la rue Champanatier, domicile d’Edmond Michelet, Celui-ci leur expliqua ce qu’il compta faire et tous furent unanimes pour lui venir en aide. Alors se posa le problème de l’impression du tract. Il était impossible de se rendre chez le premier imprimeur venu car déjà, il fallait être prudent! Ils décidèrent alors de s’adresser à M. Frédéric Malaure qui était digne d’être mis dans la confidence. M. Malaure n’étai pas imprimeur, mais vendait des machines à écrire et à polycopier et devait donc savoir s’en servir. Il apporta son concours sans hésiter, ce fut donc lui qui édita la première feuille clandestine de France.
DES CACHETS ET DES TAMPONS PLEIN LES POCHES
Edmond Michelet et sa poignée d’amis attendirent la nuit pour glisser dans les boîtes aux lettres, et partout ou ils le jugèrent bon, le texte de Péguy. Déjà, le général de Gaulle n’était plus le seul à vouloir poursuivre la lutte. Ce premier acte de Résistance n’eut pas un grand retentissement, mais il démontra aux Brivistes qui prirent connaissance du tract que certains Français refusaient la défaite, avant même l’appel du 18 juin, un petit noyau d’hommes, qui voulaient résister par tous les moyens, était formé. On est amené à penser, alors, comme le colonel Rémy, qu’il n’y a pas de coïncidence, que tout est lié et qu’un acte découle d’un autre, ce qui expliquerait que Brive, première ville résistante de France, fut aussi la première à se libérer par ses propres moyens, le 15 août 1944.
Le premier tract une fois diffusé, Edmond Michelet et ses comparses (moins d’une dizaine) décidèrent de ne pas s’arrêter en si bonne voie. Ils comprirent cependant que, faute de moyens et pour un temps, ils devraient se contenter de réitérer l’opération tract ce qu’ils firent en juillet et d’inscrire quelques slogans vengeurs sur les murs de la ville ou sur les wagons. C’était peu et quoique dangereux, presque puéril mais suffisant pour entretenir la flamme et attirer aussi les sympathisants. Le petit groupe s’étoffa peu à peu et se baptisa : Liberté. L’année 1940 s’achevait. Edmond Michelet décida très tôt de compartimenter au maximum son équipe. Il voulait éviter qu’un bavardage imprudent ou une confidence de l’un des membres ne déclenchât la réaction en chaîne qui anéantirait toute l’organisation car déjà Vichy veillait. Très prudent pour les autres, il assuma en revanche tous les risques. Pas un instant il ne cessa d’héberger les Juifs ou les Allemands qui lui demandèrent asile. Ainsi dut-il un jour prendre en charge seize intellectuels allemands que traquaient les nazis. Ces hommes et ces femmes avaient besoin de faux papiers; dépourvus, ils étaient à la merci du premier contrôle d’identité. Il décida de pallier cet état de chose et se rendit à la Préfecture. Une fois dans la place, il parvint à voler les cachets dont il avait besoin pour établir les fausses cartes d’identité et les faux passeports. Il revint de Tulle les poches pleines de tampons et put, grâce à ce larcin, donner une identité à ceux qui en avaient besoin.
M. Edmond Michelet recevant, en février 1968, il est ministre d’Etat, le général Abdel Rahman Aref, chef de l’Etat irakien, qui vient d’arriver à Nice en voyage officiel.
DES IMPRUDENCES CALCULÉES
La logique voudrait qu’un homme qui choisit de travaillé dans l’illégalité fasse son maximum pour que nul ne puisse soupçonner son rôle clandestin. Non content d’organiser des actions subversives, de colporter les nouvelles de la radio anglaise, de se plaindre de ne pouvoir rejoindre le général de Gaulle, il s’offrit le luxe de mener au grand jour sa petite campagne patriotique. Ainsi par exemple, décida-t’il d’intervenir lorsqu’il constata, au début de juillet 1940, que le buste de Marianne avait disparu dans de nombreuses mairies de la Corrèze. Partout ou cela se révéla nécessaire, il exigea la remise en place immédiate du symbole de la République trop vite enterrée. De telles démarches ne passèrent pas inaperçues, aussi, très tôt, fut-il considéré comme un farouche opposant au régime de Vichy.
Lorsqu’il fut arrêté en février 1943, il abonda dans le sens de l’accusation et reconnut, bien volontiers, être l’auteur de toutes ces peccadilles qui, expliqua-t-il, donnaient bien la preuve de son innocence en matière de vraie Résistance. En effet, dit-il aux enquêteurs, si comme vous l’affirmez, j’étais responsable d’un mouvement clandestin, me croyez-vous assez stupide pour me faire remarquer par toutes ces petites actions sans conséquences? Non, certainement pas! Si j’étais celui que vous cherchez, je me serais tenu coi, c’est élémentaire! Cette argumentation n’était pas sans finesse; il était en effet peu normal qu’un terroriste chef de mouvement ait pris le risque d’attirer aussi bêtement l’attention sur lui comme le faisait le suspect Michelet depuis juin 1940. Car en sus de ses récriminations aux maires, om pouvait aussi mettre à son actif plusieurs lettres de protestation qu’il avait envoyées aux journaux et dans lesquelles il n’avait pas mâché ses mots, Nul n’ignorait non plus qu’il avait témoigné en faveur d’un jeune communiste poursuivi et traduit devant le tribunal de Périgueux. De plus, de nombreux Brivistes pro-Allemands pouvaient rapporter les propos virulents qu’il ne s’était pas privé de tenir en public. La Gestapo n’ignorait rien de tout cela et peut-être pensa-t-elle qu’un individu aussi inconscient était incapable d’assumer les responsabilités de chef du mouvement Combat de la Région 5. Il n’est donc pas impensable de croire que sa folle témérité et ses écarts de langage lui évitèrent le poteau d’exécution.
Coupures de journaux Français ainsi que des tracts de la Résistance
Très imprudent par certains côtés, il usa pourtant d’une grande circonspection pour établir le contact avec ceux de chez qui il espérait trouver des sentiments analogues aux siens. En effet, le groupe Liberté ne lui suffisait plus, il rêvait d’élargir son champ d’action. Mais pour cela, il fallait sortir du cadre de Brive et même du département. Il comprit que le ciel lui venait en aide lorsqu’une lettre, anonyme, mais dont il reconnut l’auteur à son écriture, lui rappela les idées débattues jadis par ceux qui animaient la Démocratie chrétienne. La missive était de François de Menthon et c’est par lui qu’il put entrer en relation avec ceux qui, partout en France, luttaient eux aussi.
L’INITIATION AU TERRORISME
Il avait lui-même milité dans la Démocratie chrétienne et connaissait bon nombre de ces hommes qui, comme lui, résistaient. Il était l’ami du père Maydieu, d’Étienne Borne, de Pierre-Henry Teitgen et de quelques autres, dont Georges Bidault. Alors se nouèrent les contacts qui, en 1941, permirent l’entrevue Frenay-Michelet. Henry Frenay qui créait le mouvement Combat à l’échelon national, voyant le groupe Liberté bien structuré et déjà efficace, décida de confier à Edmond Michelet la responsabilité de la Région 5 qui couvrait les départements de la Corrèze, du Lot, de la Dordogne et de la Haute-Vienne. A compter de ce jour, Edmond Michelet se débaptisa au profit du pseudonyme Duval. Il nomma aussitôt ses adjoints, MM.Baillely, Mérignac, Biberson, Faure et veilla à que ceux-ci bien que se connaissantm ignorent les tâches confiées à leurs complices. Le groupe Liberté disparut et céda la place au mouvement Combat. Dès lors, les activités prirent une autre ampleur. D’une part se développa toute la presse clandestine grâce à la diffusion des journaux Combat et Liberté et à l’édition du manuscrit de Jacques Maritain : A travers le désastre. D’autre part se créèrent les petits groupes francs dont le premier but fut l’intimidation des Français trop complaisants à l’égard de Vichy. Edmond Michelet confia à son cousin le bijoutier André Delon, la responsabilité de ses groupes; il lui demanda, dans un premier temps, de borner ses actions à des seuls avertissements propres à inquiéter ceux que l’on nommait déjà des collaborateurs et à prouver à la population que, en dépit des affirmations de Vichy, une organisation clandestine agissante existait.
Pendant toute l’année 1941, le mouvement Combat développa son implantation dans la zone sud encore inoccupée. Des responsables furent nommés pour donner le maximum d’efficacité à l’action clandestine orientée vers plusieurs formes d’action. Certaines équipes se spécialisèrent dans l’action directe (bombes et premiers sabotages), d’autres dans la propagande, d’autres enfin dans l’impression de tracts et journaux.
Ce fut l’époque ou Edmond Michelet hébergea de curieux clients, personnages dont le courtier assermenté n’avait que faire, mais que Duval recevait à bras ouverts. Ainsi Pierre Brossolette, Jacques Renouvin, Berthie Albrecht (La secrétaire d’Henry Frenay), Jean-Guy Bernard, l’abbé Charles Lair, bien d’autres encore qui, presque tous, n’eurent pas la joie de célébrer le 8 mai 1945. Pierre Brossolette se tua en cherchant à s’évader, Renouvin, Jean-Guy Bernard, l’abbé Lair moururent en déportation ou furent fusillé Berthie Albrecht fut décapité à la hache. Tous ceux-là passèrent au 4 de la rue Champanatier. Avec Renouvin commença l’ère du plasticage du vrai. Responsable national des groupes francs, il multiplia les expéditions punitives contre les collaborateurs; il donna le nom de kermesse à ses séances nocturnes. Mais qu’il s’agisse de ces kermesses un peu spéciales, du recrutement de sympathisants, de diffusion de journaux, tout dut être organisé pour préserver le secret dont dépendaient le sort du mouvement et la vie de ses animateurs. La stricte prudence observée dans les contacts fut efficace elle réduisit plus tard la portée des rafles de la Gestapo et sauva même la vie d’Edmond Michelet. C’est ainsi que Schneider, qui vendit le mouvement Combat, fut incapable de le reconnaître ni de donner son vrai nom.
UN COLONEL ALLEMAND D’ORIGINE CORRÉZIENNE
Là encore, ce fut pour répondre à l’appel de Londres qu’Edmond Michelet et ses amis organisèrent cette mémorable cérémonie. Ils commencèrent par faire imprimer des milliers de tracts invitant la population à se rendre, le 11 novembre à 18 heures, devant le monument aux morts pour assister au dépôt d’une gerbe. Les tracts étaient distribués lorsque Londres, apprenant l’entrée des Allemands en zone Sud, décida d’annuler toute manifestation. Trop tard, les Brivistes étaient prêts. Edmond Michelet et ses amis comprirent qu’ils ne pouvaient plus reculer et cela d’autant moins que les autorités venaient d’interdire toute forme de rassemblement. Ils décidèrent donc d’agir comme si de rien n’était, comme si nul cordon de police n’était là pour fermer l’accès au monument aux morts, comme si les Allemands n’étaient pas aux portes de la ville. Les citoyens firent de même et vers 17 heures, les rues et les boulevards conduisant au lieu de rendez-vous étaient noirs de monde. Déjà des cris fusaient en direction des forces de l’ordre, déjà ça et là, on fredonnait la Marseillaise, déjà on envoyait Laval au poteau. La foule grossit et devint de plus en plus agressive envers les gardes mobiles qui protégeaient toujours les abords du monument. Vers 18 heures éclatèrent quelques brèves bagarres et c’est à ce moment que la colonne Allemande déboucha au sein même de la manifestation. Unique sans doute fut la ville ou les Allemands furent reçus aux cris de Vive de Gaulle, Vive la Résistance, Vive la France! Et ou ils durent en guise de chant d’accueil, entendre la formidable Marseillaise que lancèrent des milliers de gorges. Il y eut aussi des heurts, des motocyclistes se firent gifler, d’autres furent jetés par terre. Malgré cela, les troupes Allemandes ne réagirent pas; elles laissèrent aux policiers le soin de retenir, non sans peine, la colère des Brivistes qui, furieux, organisèrent un défilé sur les boulevards. Le calme ne revint que plus tard dans la soirée et, comme il avait été prévu, et malgré les barrages de police, une gerbe fut déposée au pied du monument aux morts.
Pour saisir l’attitude passive de l’envahisseur, il faut savoir que le colonel qui commandait les troupes était un certain Von La chaud, lointain descendant de huguenots émigrés, natifs de la Corrèze. Peut-être ne voulut-il pas mater une population dont il se sentait proche, mais il se rattrapa ensuite. D’ailleurs, et dès le lendemain, plusieurs manifestants furent arrêtés. La ville entière fut désormais suspecte aux yeux de l’envahisseur qui confia à sa Gestapo la charge de la débarrasser de ses brebis gaullistes, donc galleuses.
En décembre 1958, M. Edmond Michelet commente la victoire des L’U.N.R. devant les journalistes.
LA GESTAPO PERD LA PREMIÈRE MANCHE
L’envahisseur de la zone Sud compliqua beaucoup le travail clandestin. La Gestapo, à peine installée, se montra plus tenace et plus efficace que la police de Vichy. Néanmoins, Edmond Michelet persista à suivre la ligne qu’il s’était tracée, mais il sut bientôt que de lourds soupçons pesaient sur lui. Certes, il faisait maintenant tout pour donner le change, mais il en était au point ou bien rares sont les ruses qui peuvent encore tromper l’enquêteur. Vint le temps ou l se sentit épié, suivi et ou il dut prendre les plus invraisemblables précautions afin d’honorer ses rendez-vous. Ainsi un jour où il était dans l’obligation de contacter directement son cousin André Delon il dut, pour justifier sa visite dans la bijouterie, acheter la première bricole qui lui tomba sous la main (un affreux confiturier en pseudo-porcelaine). Cela lui permit de ressortir du magasin en portant, ostensiblement, le petit paquet alibi. Mais trop d’actions terroristes excitaient la hargne des vainqueurs pour que ceux-ci relâchent leur attention et soient dupes d’un tel procédé. En effet, André Delon et ses groupes francs entretenaient au mieux un climat d’insécurité : poteaux indicateurs inversés qui expédiaient les véhicules allemands dans de fantaisistes directions, paquets de journaux clandestins déposés dans la boîte aux lettres du commissariat de police; enfin, en pleine ville de Brive, c’était le jeune Champeval qui semait la perturbation en sabotant les câbles téléphoniques. Placée dans un tel climat, la Gestapo se devait de frapper un grand coup. Il fut désastreux pour le mouvement Combat qui, le 29 janvier 1943, vit arrêter vingt de ses membres et non des moindres puisque furent pris, entre autres : Renouvin, André Delon (qui ne Revin pas de la déportation), André Faure (alors chef régional de la propagande) Roubinet Madelrieux et Jarasse (responsables de Tulle ret d’Ussel).
Le 14 juillet 1958 : le général de Gaulle, ayant à ses côtés M. Edmond Michelet, ministre des Anciens combattants. S’adresse aux vétérans et aux jeunes d’Algérie rassemblé à Vincennes. C’est encore au temps de l’Algérie Française.
Dans l’étendue du désastre, Henry Frenay demanda alors à Duval de fuir au plus vite et d’aller se cacher à Montpellier ou, une fois oublié, il prendrait la place de P.H. Teitgen obligé, lui aussi de changer de secteur. Mais Edmond Michelet ne pouvait quitter Brive en laissant derrière lui sa femme et ses sept enfants, il ne ses serait jamais pardonné cet abandon de poste. Il refusa de partir et entreprit de réorganiser le mouvement. Il savait devoir agir rapidement, il se considérait en sursis et s’étonnait d’être encore libre. L’avertissement qu’il reçut le 2 février le renforça dans la conviction que l’heure des menottes était proche.
Ce soir-là, Edmond Michelet présidait une conférence à laquelle assistaient de nombreux agents commerciaux de la zone Sud. La séance était déjà avancée lorsqu’elle fut interrompue par l’arrivée de la police allemande. L’officier fit savoir qu’il venait pour procéder à l’arrestation d »Edmond Michelet. Celui-ci se piquant d’audace, prit la chose de très haut; loin de se laisser emmener, il attaqua :
Messieurs, dit-il, le droit international, les lois françaises et allemandes s’opposent à mon arrestation. M. le Maire et ses conseillers, qui sont là, vous diront que cette arrestation est illégale puisqu’elle se déroule dans un établissement public!
L’officier, interloqué, bafouilla quelque peu, puis se reprit, il ne comprit pas pourquoi la salle croula de rire lorsqu’il eut déclaré :
Ah? On ne m’avait pas dit que c’était ici la maison publique.
Mais les farces courtelinesques n’étaient pas de mise en 1943, la Gestapo prisait peu l’humour et Edmond Michelet fut conduit jusqu’à la Kommandantur. Il prit soin de se faire accompagner par le maire et nombreux furent aussi les amis qui lui emboîtèrent le pas. Les autorités allemandes comprirent sans doute qu’une arrestation aussi peu discrète risquait de réveiller la colère de ces Brivistes, dont il fallait se méfier, le 11 novembre n’était pas loin.Et Edmond Michelet fut relâché, il était trop connu, trop populaire, son arrestation devait être moins spectaculaire, elle le fut.
JUDEN ? NON CE SONT MES ENFANTS
L’heure du laitier. Ainsi Edmond Michelet dans son livre, Rue de la Liberté, baptisa-t-il l’heure de son arrestation. Il était environ 7 heures et il achevait sa toilette. Il avait déjà enfilé son pantalon et, une veste de pyjama, une serviette autour du coup, il se rasait. Comme tous les jours il serait prêt pour la messe de 7 heures et demie à Saint-Cernin. Sa femme préparait les petits déjeuners. Dans la chambre, ses trois derniers fils chahutaient dans le grand lit; ils s’y nichaient tous les matins dès que les parents l’avaient déserté. Edmond Michelet n’entendit pas la voiture de la Gestapo car, profitant de la rue en pente, elle glissa et s’immobilisa sans bruit devant la maison. Il n’entendit pas non plus la courte scène qui se déroula au rez-de-chaussée quand les policiers allemands se heurtèrent à Mme Michelet et à la femme de ménage. Elles tentèrent de retenir les Policiers, mais elles furent bousculées. L’un des hommes voyant que Mme Micheket se préparait à téléphoner (elle voulait alerter la sous-préfecture), lui arracha l’appareil des mains et débrancha les fils. Puis ils exigèrent qu’elle les conduisit jusqu’à son mari. Celui-ci finissait de se raser lorsque les quatre individus, en cirés noirs et chapeaux mous se précipitèrent dans la chambre.
Vous êtes Edmond Michelet? On vous arrête, annonça l’un d’eux.
Puis il aperçût le grand lit ou, apeurés, se pressaient les enfants. On ne prête qu’aux riches, aussi l’homme de la Gestapo pensa-t-il faire coup double et ouvrant le lit, il interrogea :
Jugen?
Non, ce sont mes enfants, dit Edmond Michelet.
Bon, dépêchez-vous on vous emmène.
Il lui laissa à peine le temps de finir de s’habiller, puis ils l’encadrèrent et le poussèrent dehors ou il faisait encore nuit et froid. Opération réussie car discrète. Michelet était pris. Maintenant il allait devoir fournir quelques explications.
La voiture démarra. Elle prit la direction de l’hôtel Terminus ou siégeaient alors ces messieurs de la Gestapo. C’était le 25 février 1943.
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