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RESTRICTION ET RATIONNEMENT

 

Le temps des restrictions pendant l’occupation allemande

C'est le temps des vaches maigres. Des inspecteurs du ravitaillement. Le temps où, dans les prisons et les écoles, la nourriture devient une obsession, où, dans les foyers, elle ne cesse d'être l'unique pensée de millions de mères de famille soudaine esclaves de l'épicier, du boulanger. Du boucher, du crémier, de tous ces puissants barons qui ont pouvoir de vie et de mort sur une population tremblante, haineuse, courbée, révoltée. C'est le temps où les enfants apprennent à voler pour manger et où les pères se vantent des scandaleux tours de force qui ont amené jusqu'à la table familiale le pain et le vin.

Le temps des restrictions est bel et bien installé : les corbeaux et les pigeons remplacent désormais le poulet dominical, le haricot grillé, la fève cuite, l'orge et le gland à cochon relèguent bientôt le café au rang des souvenirs, les gâteaux sont servis en guise de plat principal.
Le rationnement des produits va se généraliser progressivement entre l'été 40 et l'automne 41. Il concerne non seulement la nourriture dans sa totalité, le tabac ou le vin, mais aussi les vêtements, les chaussures, le chauffage.

Restriction alimentaire de 1940-1941

Chaque Français reçoit de la mairie des cartes de rationnement à son nom, frappées de la lettre correspondant à sa catégorie. Des tickets sont joints par feuilles périodiquement renouvelables pour les principaux produits. Chaque mois, les services du ravitaillement fixent la quantité de denrées concernées, quantité à laquelle chacun de ces tickets donne droit. En échange des produits fournis, les commerçants prélèvent les tickets correspondants. Ceux-ci les reversent aux services économiques afin d'être réapprovisionnés le mois suivant. Si toutefois les arrivages - et les incohérences de l'administration le permettent. Ainsi, entre le moment de la distribution des cartes, de l'inscription pour une denrée et celui de sa distribution, il s'écoule souvent des semaines, parfois des mois.

Les Français vont apprendre à gérer ce quotidien extraordinairement difficile. Ils appliquent scrupuleusement deux grands principes sans cesse rabâchés par la presse : Ne rien perdre, faire durer. Ainsi apprennent-ils par exemple à n'utiliser qu'1 g du savon de 100 g auquel ils ont droit chaque mois. Les recettes de bonne femme triomphent. En séchant, l'ail soude aussi bien que la colle forte. En faisant bouillir du lichen blanc et des graines de lin dans de l'eau, que l'on écrase et que l'on filtre, on obtient de l'huile. Plus de chocolat ? Qu'importe, la France regorge de châtaignes dont la farine sert aussi à fabriquer, de l'eau de vie.

Réquisitions de l'armée allemande

Soldat allemand achète dans un magasin de souvenir de Paris

Les Français ne sont pas les seuls consommateurs. A côté d'eux, disposant de priorités indiscutables, de moyens d'achat puissants et d'un change scandaleusement favorable : l'armée allemande.
Non plus l'armée allemande de juin 1940, où des soldats de légende dévorent des omelettes de vingt-quatre œufs et meurent étouffés pour avoir mangé trop de pêches.
Mais, très vite, une armée allemande organisée qui, dès le 25 août 1940, à Bordeaux, réquisitionne caoutchouc et savon, et, le 12 septembre, commande 20 000 caisses de Bénédictine dont 300 livrables immédiatement. Ses réquisitions et ses achats ont pour but, non seulement de nourrir les troupes campant sur le sol français, mais aussi les civils allemands et, plus tard, les soldats de l'Est.
Lorsqu'on effectuera le recensement des denrées emportées (achats amiables, prises de guerre, réquisitions), on arrivera, pour la période allant de juin 1940 à juin 1944, à 2 845 000 tonnes de blé (la moitié d'une récolte annuelle) et presque autant d'avoine, 845 000 tonnes de viande (soit plus que la consommation de 40 millions de Français pendant l'année 1941), 711 000 tonnes de pommes de terre, 220 millions d'œufs, 750 000 chevaux, etc.

Réquisition de l’armée allemande 1940

Les représentants français à la Commission d'armistice de Wiesbaden ont beau attirer l'attention sur la disparité des rations françaises et des rations allemandes, réclamer l'arrêt des exportations hors de France de toutes les denrées alimentaires, solliciter une réduction des achats des troupes ainsi que des livraisons de compensation de pommes de terre et de sucre allemand, la plupart de ces réclamations restent sans effet. Elles provoquent même la colère du maréchal Göring qui, le 6 août 1942, expose, devant les commissaires du Reich pour les territoires occupés, sa conception de la situation alimentaire en France.

La France ? Il en vient. Les paysans français ? Tous des paresseux. Les citadins ? Des gens qui s'empiffrent de nourriture, que c'en est une honte. Le gros maréchal bien nourri tremble de colère et pointe un index accusateur.
J'ai vu des villages où ils ont défilé avec leurs longs pains blancs sous le bras. Dans les petites villes, j'ai vu des oranges à pleins paniers, des dattes fraîches d'Afrique du Nord. Je vais envoyer une quantité d'acheteurs en France qui auront tout loisir, d'ici Noël, d'acheter à peu près tout ce qu'ils trouveront dans les belles boutiques et les beaux magasins et, cela, je le ferai mettre en vitrine pour le peuple allemand dans les boutiques allemandes et il pourra se le procurer.

La pénurie de textiles

La pénurie de textiles durant le conflit militaire

La pénurie de textile touche de plein fouet la capitale coupée de ses approvisionnements habituels du nord et de la région de Lyon et de Roanne située en zone sud. La production des usines de la région parisienne ou de Normandie est en grande partie réquisitionnée par l'armée allemande.
 Les premiers tickets de textile apparaissent le 18 juillet 1941 et une réglementation sévère règle le volume de la matière première livrée aux fabricants d'habits et les lots d'habits distribués aux commerçants. Pour faire face à la pénurie, des ersatz très divers font leur apparition : tissus de remplacement fabriqués avec de la fougère, des poils de lapin, des crins d'acétate et même des cheveux dont un décret de mars 1942 ordonne la récupération, etc.

Le lanaté qui est sensé remplacer la laine se compose de 15 % de laine, de 80% de fibranne et de 5 % de poils de lapin. Mais les résultats sont généralement décevants. Les nouveaux tissus sont de très mauvaise qualité, ne sont pas chauds et ne résistent pas à l'eau...
Toutes les astuces sont bonnes pour faire face à la pénurie de textile. On rajeunit ou transforme ses habits. On utilise ses vieux rideaux pour tailler une veste, une robe. Edmond Dubois cite le cas de deux femmes de la même taille qui achètent à elles deux un seul tailleur qu'elles porteront à tour de rôle avant de se brouiller au bout de quelques mois ! Les vieux tissus sont récupérés. Ils peuvent être échangés contre des bons de textile. Le secours national organise des collectes de vieux vêtements qu'il lave, trie et recoupe avant de les distribuer aux plus nécessiteux.

Le ministère du Ravitaillement du gouvernement Vichy

Le premier rôle du ministère du Ravitaillement est d'interdiction et de rationnement. La liste des denrées alimentaires rationnées s'allongera avec les mois. Après le pain, les pâtes alimentaires, le sucre (2 août 1940), c'est le tour (23 octobre 1940) du beurre, du fromage, de la viande, du café, de la charcuterie, des œufs, de l'huile, puis du chocolat, du poisson frais (juillet 1941), des légumes secs, de la triperie (octobre 1941), des pommes de terre, du lait, du vin et même, à certaines époques, des légumes frais.
Les rations diminuent d'année en année, et les difficultés de production ou de transport entraînent souvent, en dehors de toutes dispositions légales, des restrictions supplémentaires.

Anodines, au début, les interdictions se précisent et se précipitent rapidement.
De plus en plus rare, le pain devient également de plus en plus noir. On institue des jours sans viande : les mercredis, jeudi et vendredi.
Peu de pain, pas de viande, et, lorsque les fruits sont abondants, peu de sucre. Dès le mois de juillet 1940, les consommateurs sont avertis qu'il leur faut renoncer aux confitures familiales. La confiserie est interdite, mais les mères de famille qui mettent au monde des jumeaux ont cependant droit à 2 kilos de dragées !

Denrées alimentaires rationnées

Rationnement de 1940 et 1941

Entre 1940 et 1941, la liste des denrées rationnées s'est allongée. Après le pain, c'est le sucre, puis le beurre, la viande, le café, la charcuterie, les œufs, l'huile, le chocolat, le poisson frais, le lait et, enfin, les pommes de terre.
Au cours du premier hiver les Français sont relativement favorisés pour les rations. Ils ont, par mois, 450 g de beurre et 1 kilo de viande, et par jour 350 g de pain. Mais ils sont peu à peu amenés à la portion congrue au cours des années suivantes : 150 g de beurre en 1943 et 50 g en 1944; 400 g de viande ; 275 g de pain ensuite.
Les Français ont d'abord une réaction psychologique qui se traduisent par un rush sur tous les magasins dans lesquels ils sont décidés à tout acheter, y compris les rossignols dont sont trop heureux de se débarrasser les vendeurs.
Mais qu'importe, pour les avoir, ils attendent leur tour ils font la queue.
C'est une sujétion, c'est parfois un amusement, mais cela devient aussi un métier puisqu'en le pratiquant on peut gagner 4 à 5 francs de l'heure si l'on remplace une personne que ce stationnement ne divertit pas. Les membres d'une même famille se relaient devant la porte de l'épicier en attendant que la voiture de celui-ci revienne de l'approvisionnement. Quelquefois le véhicule est vide, mais les heures passées en vain ont permis aux ménagères de bavarder, d'échanger des recettes et de tricoter en dépit du froid et de la pluie.

Le commerçant est roi

Les commerçants dans les années 1940

La fin du mois d'octobre, et surtout dès novembre 1940, avec l'apparition du froid et des journées plus courtes, voici le train des restrictions. Comme il arrive nécessairement dans les périodes de disette. L’Administration réglemente : les cartes d'alimentation mettent en évidence la raréfaction des denrées ; les prix étiquettent la réalité : trois jours sans viande ; on s'inscrit dans les boutiques pour essayer d'échapper à la queue ; les restaurants sont classés en quatre catégories.
Les commerçants prennent de l'importance. L'Etat se sert du commerçant comme d'un pourvoyeur, d'un répartiteur, d'un percepteur, d'un contrôleur ; et celui-ci saisit la balle du profit au bond. L'épicier, le crémier deviennent de petits princes : non contents de répartir, ils font la morale, au nom du Maréchal, leur grand homme ; n'est-ce pas lui qui est resté près d'eux, qui a prononcé les paroles les plus humaines, qui a révélé aux Français les fautes dont ils paient le prix amer ? Donc, finie la vie large, les vitrines garnies ! Se restreindre, calculer, économiser, faire des provisions, voilà la doctrine, et patienter, attendre d'être servi à son tour ; si on n'a pas sa ration aujourd'hui, tâcher d'être parmi les premiers à faire la queue demain. Oui, finie la vie de château, dont notre peuple n'a que trop joué (dixit Pétain) !

La vie de château, le mot le dit, sera réservée aux féodaux de cette nouvelle société les paysans et les commerçants, fournisseurs et distributeurs, avec la cohorte louche des intermédiaires. Contrairement à la courbe des échecs familiaux, la courbe des faillites commerciales tombera presque à zéro. Les épiceries, les entreprises de transport, les vendeurs de textile vont se multiplier. Dans cette nouvelle jungle, les lois ne sont pas appliquées, parce que la situation est fausse : l'Occupation n'a jamais été et ne sera jamais un régime normal ; le véritable maître, l'Allemand, se cache derrière l'Administration française à laquelle il n'a qu'apparemment confié les rênes. Mais il se sert d'abord et l'Administration ne dispose que des restes, sur lesquels des millions de Français se jettent voracement. Dans cette ruée, pas de sentiment Les plus malins l'emportent.

Pénuries de charbon

Pénurie de charbon pendant l’hiver 1940-1941

Aucune distribution de charbon n'a lieu pendant l'hiver 40-41, les Parisiens doivent vivre sur leurs réserves. En juillet 1941, les tickets de charbon sont institués mais tous ne seront pas honorés. Les rations sont de 300 kg pour deux mois en 1943 ce qui est tout à fait insuffisant. Les enfants de moins d'un an ont le droit à 50 kg supplémentaire par mois et les femmes enceintes à 100 kg au moment de l'accouchement. Les personnes qui travaillent chez elles comme les peintres, les écrivains, les musiciens, etc. sont obligées de faire des démarches interminables pour obtenir des suppléments d'allocation.
Ceux qui habitent de grands appartements sont beaucoup plus touchés que les autres. Les Parisiens équipés d'un chauffage au gaz sont un peu plus favorisés car le gaz manque moins que le charbon mais sa qualité a beaucoup baissé. Comme il chauffe moins bien, on en dépense beaucoup plus. Il est à son tour rationné à partir de 1943.
Le remplacement du charbon par le bois ne résous rien car il n'est pas possible de l'acheminer faute de moyens de transport. Des expériences d'ersatz comme le carbofeuille sont tentées mais sans grands résultats.
Le mieux reste de calfeutrer les pièces où l'on habite et de condamner celles qui ne sont pas indispensables ou trop dures à chauffer. Beaucoup de Parisiens souffrent du froid. En janvier 1941, une habitante de Paris avoue dormir dans une chambre ou la température ne dépasse pas un degré. Pour beaucoup, la meilleure solution dans la journée pour échapper au froid consiste à se réfugier dans les lieux publics comme les cafés, les bureaux de postes, les halls de banque, les serres du Muséum, les bibliothèques ou plus simplement le métro.

Les cartes d'alimentation

Cartes d’alimentation sous le régime de Vichy

Les possesseurs de cartes d'alimentation, 40 millions de Français, dont le plus connu, le maréchal Philippe Pétain à la carte n° 50 084 T, doivent tenir une très sérieuse comptabilité.
Entre le moment de la distribution (les cartes, de l'inscription pour une denrée et celui de la distribution, il s'écoule souvent des semaines, parfois des mois.
 Il faut donc veiller attentivement à ne pas égarer ces légers tickets de couleur qui, même inutilisés (mais non détachés par d'autres ciseaux que ceux de l'épicier) peuvent, un jour, se voir dotés de quelque valeur par un ravitaillement soudain généreux.
La perte des tickets représente, dans les foyers modestes, un véritable drame, et l'on imagine sans peine le désespoir de cette Parisienne, Mme Vicieux, qui, ayant déposé ses cartes d'alimentation près de son lapin domestique, arriva trop tard pour les disputer au rongeur.
Dans un très gros portefeuille, la mère de famille range donc, côte à côte, les cartes de vêtements et d'articles textiles, les cartes d'alimentation, les cartes de tabac, de jardinage, de vin, les bons d'achat pour une veste de travail ou une culotte de bain, les coupons permettant l'acquisition d'une paire de chaussures et de produits détersifs, les tickets pour les articles de ménage en fer et les articles d'écoliers, etc.
Il faut se tenir au courant des  déblocages  annoncés par la presse ou l'épicier, tenir à jour ses inscriptions, deviner l'heure à laquelle commencera la queue favorable, surveiller le compteur à gaz et le compteur d'électricité, marchander une fausse carte de pain moins chère qu'une vraie, mais plus difficile à faire passer.

Divers cartes et tiquets de ravitaillement en 1940-1941

Les cartes de ravitaillement classent les Français en huit catégories.
Désormais, on n'est plus bourgeois ou prolétaire, mais A ou T.
L'adolescence, cet anonymat aux frontières troubles, se voit arbitrairement découpé et le législateur, aidé par la longueur des restrictions, fera passer le mot J 3 du langage administratif à celui du théâtre et du cinéma.
Voici quelles sont les catégories de rationnaires :
E : Enfants âgés de moins de 3 ans.
J 1: Enfants âgés de 3 à 6 ans.
J 2 : Enfants âgés de 6 à 13 ans.
J 3 : Adolescents de 13 à 21 ans.
A : Consommateurs de 21 à 70 ans, ne se livrant pas à des travaux donnant droit aux catégories T ou C.
T : Travailleurs de force (de 21 à 70 ans). La carte T donne droit à des suppléments de pain, de viande, de vin, etc. Objet, à ce titre, de bien des convoitises, elle est attribuée suivant des règles parfois incompréhensibles. Y ont droit ceux qui fabriquent des billards ou des armures de théâtre, mais non les fabricants de parapluies : ceux qui travaillent dans une usine de conserves de poisson, mais non ceux qui sont employés par une usine de conserves de légumes ; ceux qui confectionnent des yeux de poupées, mais non les horlogers
C : Consommateurs de plus de 21 ans se livrant à des travaux agricoles.
V : Consommateurs de plus de 70 ans.

Le troc

Le troc sous l’occupation allemande

Le troc, aux lois mouvantes, naît avec les premières restrictions. Un chroniqueur de la Petite Gironde en révèle les mystères à ses lecteurs, le 26 septembre 1940 : Ma voisine, de retour de son voyage stratégique en Dordogne, a retiré 20 litres d'essence de sa voiture, vouée désormais au repos. 20 litres d'essence, c'est pour l'instant, une valeur-or, une petite fortune !
II est naturellement facile de trouver un acquéreur. Vendre de l'essence, vous plaisantez, c'est une monnaie d'échange trop précieuse ; j’aurai, en la divisant en plusieurs lots, des pôles, du beurre et ces merveilleuses denrées que sont le café et le sel !
Dans ces négociations ténébreuses, il doit y avoir, pensez-vous, quelques cours réglant les échanges ?
Détrompez-vous. Les cours s'établissent suivant la rareté momentanée des denrées en cause.

Cependant, les statisticiens essaient de saisir sur le vif, et de fixer pour la postérité, le cours de ces échanges. Ils ont entendu parler de ce négociant en vins de Sète qui expédie des fûts à Pau et les récupère lestés de jambon, de lard, d'avoine, de pommes de terre ; ils relèvent dans le journal de l'Indre, le Département, cette annonce significative : Échangerais belles oies contre poste T.S.F. avec ondes courtes. Ils savent que, dans le Puy-de-Dôme, on obtient un kilo de beurre avec deux kilos de sucre ou quatre paquets de cigarettes, un porc avec un costume, que l'on paie le menuisier, le maréchal-ferrant en lait, beurre, œufs. Mais, un jour ou l'autre, les ressources officielles, comme celles du troc, ne suffisent plus et les Français, tous les Français, riches ou pauvres, font connaissance avec le marché noir.

Expéditions de ravitaillement

C'est l'âge d'or des intermédiaires. N'importe qui trafique de n'importe quoi. Un Russe blanc, Szokolnikov, amassera, au service des Allemands, une fortune de 8 milliards de francs anciens ! Le commerce de détail prospère, de façon souvent paradoxale. L'irrégularité, au double sens du terme, des approvisionnements dirige la viande chez le mercier, les légumes chez le boucher. Parmi les temples parisiens du marché noir figurent en bonne place les loges de concierge.

Mais ravitaillement officiel et marché noir ne peuvent s'organiser en un jour. Et l'hiver 1941 est très dur.Aussi, dès le printemps, les habitants des grandes villes, ceux de Paris surtout, se souviennent de leurs parents et amis de province, ou s'en découvrent. Les week-ends sont consacrés aux expéditions de ravitaillement. Les trains du samedi partent, débordants de familles avec vélos, valises, havresacs. Il faut avoir vécu ces retours du dimanche soir, avec des voyageurs sur les tampons ou les marchepieds des vieilles voitures !
Le problème est de ne pas se faire prendre. Dans les campagnes, il y a les Feldgendarmen, avec leurs massifs hausse-cols. Les gendarmes français, eux, ferment volontiers les yeux. Mais l'octroi ceinture encore Paris ; les gabelous, surveillés par les Allemands et le réflexe professionnel aidant, se montrent parfois indiscrets. On descend à contre-voie, on cherche des sorties interdites. Gare Montparnasse, il est facile de se faufiler par le dépôt des bagages. Une fois en ville, on se heurte parfois à des contrôles de police. On ne se sent sauvé qu'une fois rentré. On se délasse enfin, car le trajet, souvent debout, dans des wagons bondés, ne repose pas des kilomètres à bicyclette, avec 40 ou 50 kilos de victuailles sur le dos ou sur le porte-bagages.

Tandis que les paysans améliorent leur régime, mangent de la viande, s'enrichissent, vendant le minimum au ravitaillement, le maximum au marché noir, remplissent leurs lessiveuses de billets de banque, et soutiennent les finances de l'État et l'industrie en souscrivant massivement aux emprunts publics et privés, les citadins, malgré leurs efforts, s'appauvrissent et sont réduits à la portion congrue. Avec leurs salaires gelés, les heures supplémentaires, les cantines assez bien fournies, les travailleurs des villes font difficilement face au coût réel de la vie.
Les colis familiaux ne sont qu'un palliatif, en dépit des 50 kilos de produits alimentaires autorisés périodiquement.
Naturellement, ce seront les faibles qui pâtiront le plus : les indigents, les vieillards, les inexperts dans la pratique du marché noir, considéré comme l'un des beaux-arts.

Le paysan devient roi

Famille paysanne durant l’occupation allemande 1940-1941

Les prélèvements de denrées alimentaires deviennent tels que la population commence à souffrir, dans les villes surtout. Le paysan devient roi. Pour se faire pardonner ses gains, il est relativement généreux : 300 000 Parisiens ont bénéficié en 1941 de ses colis familiaux. Les curés s'entendent fort bien à lui faire sortir un peu de ses surplus ; ne disposent-ils pas du secret de la confession ? Les paysans camouflent la plus grande partie de leurs réserves : il faut souvent la menace, surtout dans les régions ouvrières, pour les leur faire livrer.
Par contre, ils ne s'opposent jamais à la réquisition des occupants qui paient bien. Et, dans les trains, on les voit tailler à même des miches de pain blanc et piocher dans des pots de beurre. Le paysan a conquis une sorte de royauté ; il en profite comme d'une revanche sur les temps anciens où il était le parent pauvre. A partir de 1942, les départements agricoles sont les seuls où les naissances l'emportent sur les décès ; et même, la paysannerie se nourrissant mieux qu'avant la guerre, la proportion de la mortalité régresse en son sein.

Le retour à la terre

Le gouvernement prône le retour à la terre et, malgré l'absence des 700 000 paysans prisonniers, tout le monde s'y met avec enthousiasme.
Pendant quatre ans, être fermier sera la vocation rêvée. On élève des poules, on cultive des bacs de salades sur les balcons ; le rutabaga fleurit dans les jardins à la française ; au printemps, les jardins publics se hérissent de rames  à petits pois, on récolte des pommes de terre dans les jardins du Luxembourg et des Tuileries ; les fumeurs entretiennent amoureusement quelques plants de tabac.
Le Maréchal lui-même loue une propriété à Charmeil, près de Vichy, où il fait élever les agneaux enrubannés qu'on lui offre à l'entrée des villes.

Troquer devient une façon de survivre : un jambon peut favoriser une promotion, du blé apporte un manteau, du savon débloque des pommes de terre.
Les paysans deviennent rois, mais dans les villes, l'existence est pénible malgré des recettes de gâteaux sans sucre ni oeufs et de rôtis de pommes de terre. On fabrique des savonnettes avec des marrons d'Inde. Les femmes tricotent après avoir passé des heures à détricoter de vieux chandails.
La faim rend ingénieux : un jeune avocat du Nord, Philippe Lamour, arrivé à bicyclette à Bellegarde dans le Gard, crée les premières rizières de Camargue.
Mais les spéculateurs du marché noir commencent à bâtir des fortunes qui deviendront respectables  grâce à quatre années d'une disette de plus en plus complète.

Mise en culture de terres abandonnées

Vichy ordonne la mise en culture (volontaire ou forcée) des terres abandonnées et particulièrement des grands espaces de Sologne et de Grau. Les jardins ouvriers sont encouragés, dotés de subventions, de conseils, d'instruments. Sous la surveillance plus ou moins exacte de commissions de contrôle, on voit se grouper dans les établissements religieux, les usines, les bureaux, tous ceux qui n'ont pas oublié leurs origines paysannes.
Financièrement et psychologiquement, le gouvernement encourage également le retour à la terre.

Les journaux chantent le courage et l'intelligence de ceux (ils sont 25 000 paraît-il) qui ont su revenir à la terre pour mieux manger sans doute, mais aussi pour faire revivre une parcelle de sol français .
Afin de réduire le gaspillage, on mobilise les enfants des écoles pour la récolte des châtaignes et des glands. La lutte contre le doryphore est intensifiée. Le service civique rural organisé. Le remembrement favorisé.
Dans la volonté de ne laisser aucun lopin de terre inutilisé, on ira jusqu'à mettre en culture le jardin des Tuileries. Une fois mûres, les tomates, poussées à la place des fleurs, seront distribuées au Secours national.
Mesures spectaculaires à l'influence limitée.

De 1940 à 1944, les surfaces cultivées diminuent de 16 % pour le blé, de 22 % pour les betteraves sucrières, de 29 % pour l'avoine et l'orge. Elles n'augmentent sensiblement que pour les légumes frais et pour les cultures oléagineuses (colza, œillette, navette) où elles passeront de 9 000 hectares à 267 000.
Quant aux récoltes, comment ne diminueraient-elles pas dans un pays où les engrais font défaut ainsi que les machines neuves, l'essence, les semences sélectionnées et jusqu'aux fers à chevaux depuis que l'armée allemande s'est emparée des stocks de l'unique usine de Duclair ?

Vichy ordonne la mise en culture (volontaire ou forcée) des terres abandonnées et particulièrement des grands espaces de Sologne et de Grau. Les jardins ouvriers sont encouragés, dotés de subventions, de conseils, d'instruments. Sous la surveillance plus ou moins exacte de commissions de contrôle, on voit se grouper dans les établissements religieux, les usines, les bureaux, tous ceux qui n'ont pas oublié leurs origines paysannes.
Financièrement et psychologiquement, le gouvernement encourage également le retour à la terre.

Les journaux chantent le courage et l'intelligence de ceux (ils sont 25 000 paraît-il) qui ont su revenir à la terre pour mieux manger sans doute, mais aussi pour faire revivre une parcelle de sol français .
Afin de réduire le gaspillage, on mobilise les enfants des écoles pour la récolte des châtaignes et des glands. La lutte contre le doryphore est intensifiée. Le service civique rural organisé. Le remembrement favorisé.
Dans la volonté de ne laisser aucun lopin de terre inutilisé, on ira jusqu'à mettre en culture le jardin des Tuileries. Une fois mûres, les tomates, poussées à la place des fleurs, seront distribuées au Secours national.
Mesures spectaculaires à l'influence limitée.

De 1940 à 1944, les surfaces cultivées diminuent de 16 % pour le blé, de 22 % pour les betteraves sucrières, de 29 % pour l'avoine et l'orge. Elles n'augmentent sensiblement que pour les légumes frais et pour les cultures oléagineuses (colza, œillette, navette) où elles passeront de 9 000 hectares à 267 000.
Quant aux récoltes, comment ne diminueraient-elles pas dans un pays où les engrais font défaut ainsi que les machines neuves, l'essence, les semences sélectionnées et jusqu'aux fers à chevaux depuis que l'armée allemande s'est emparée des stocks de l'unique usine de Duclair ?

Ce sont sans doute les fumeurs qui déploient l'ingéniosité la plus étonnante pour satisfaire leur passion. Tabac et cigarettes sont sévèrement rationnés. Les femmes françaises (contrairement aux allemandes) n'y ont pas droit. Les fumeurs ramassent précieusement leurs mégot ou ceux des autres.

On vend de jolies petites boîtes pour les conserver et de petites machines à rouler les cigarettes, pour les maladroits. Il y a ceux qui cultivent du tabac dans leur jardin ou sur leur balcon et le préparent eux-mêmes. On voit, ou plutôt on sent pire : d'étranges mélanges de végétaux, offensants à l'odorat le plus endurci. Les Belges se vantent qu'aussi longtemps qu'il poussera de l'herbe en Belgique, les Français ne manqueront jamais de quoi fumer !

La pénurie de chaussures en 1941-1942

Les chaussures deviennent aussi très rares car le cuir fait défaut. En janvier-février 1942, Paris ne reçoit que 88 280 paires de chaussures ce qui est dérisoire pour une ville qui compte alors plus de deux millions d'habitants. Des tickets de chaussures font leur apparition. Une commission est même créée à l'hôtel de ville pour examiner les demandes d'attribution de chaussures. Les bottiers ont interdiction de fabriquer des chaussures montantes ou des bottes.

La santé de la population

 

Malgré les distributions officielles, la débrouillardise individuelle, le rationnement sévère de spiritueuse et autres mesures contre l'alcoolisme — qui le fera pratiquement disparaître avec ses plus graves séquelles, comme certaines maladies mentales, la santé de la population des grands centres urbains se détériore gravement, surtout en zone Sud, moins favorisée par la nature. La mortalité augmente, prélevant un lourd tribut sur les vieux, les malades, les jeunes enfants.
Les citadins perdent du poids, même à Paris, avec son énorme marché noir. 24 % des Parisiens adultes pèseront 8 kilos de moins que le poids normal, 38 % de 4 à 8 kilos : effet cumulé d'un régime insuffisant et d'un exercice inhabituel. Comparé aux années d'avant guerre, le taux de mortalité s'accroîtra également de 24 % pour le Grand Paris, de 29 % à Marseille et jusqu'à 57 % pour le Grand Lyon, entouré de vignobles et de montagnes. En revanche, dans les terres plantureuses de l'Ouest, la mortalité décroîtra de 11 %. La santé morale se détériore en proportion de la santé physique.

Le système D se joue des lois et des règlements, sans souci de leur origine française ou allemande. La génération des moins de vingt ans, souvent privée de père, prisonnier de guerre, s'y adonne allégrement. On peut encore s'estimer heureux si ces J3 ou zazous, avec leurs cheveux longs, leur pantalon trop étroit et leur amour de la musique américaine se confinent dans les activités excitantes du marché noir. Des individus jusque-là honnêtes se mettent à chaparder des produits alimentaires, surtout du pain, ou à acheter des cartes de pain volées, ou fausses dont la fabrication est passible de la peine capitale.
Les personnes de moralité irréprochable considèrent tous ces trafics avec indulgence. L'Église catholique pardonne à ceux qui ne le font pas à des fins lucratives. ils nous prennent tout s'ajoute maintenant c'est toujours ça qu'ils n'auront pas.

La règlementation des restaurants

La restauration pendant l’occupation allemande de 1940 à 1944

La réglementation des restaurants est d'une complication qui serait décourageante si elle était observée.
Classés en quatre catégories : A de 35,10 francs à 50 francs ; B de 25,10 francs à 35 francs ; C de 18,10 francs à 25 francs ; D égal ou inférieur à 18 francs, ils doivent afficher à partir de 10 heures, non seulement le menu, mais aussi la valeur des tickets à remettre par le client.
Pour la composition des menus (tout service à la carte étant interdit), quatre formules sont admises entre lesquelles le consommateur a le choix. La nature des hors-d’œuvre, qui doivent obligatoirement être servis froids; est déterminée : pas de poissons, pas de salades contenant des oeufs. Ni beurre, ni sucre à la disposition des clients. 20 centilitres de vin seulement à chaque repas. Enfin, le restaurateur n'a même pas le droit de tenter un éventuel client. Tous les fruits et plats doivent être rigoureusement invisibles de l'extérieur.

La première année de l'Occupation

Pendant la première année de l'Occupation, la société de marché noir se met en place, dans une immense combinaison clandestine qui n'a rien de politique. A côté des boutiques qui ont pignon sur rue, s'installe le troc ; quiconque a une monnaie d'échange finit toujours par dénicher l'objet ou la nourriture qu'il désire.
Dans les villes, chaque immeuble a son petit dépôt, chez le concierge, ou chez n'importe qui. Les commerçants eux-mêmes, s'ils vendent les produits pour lesquels ils paient patente, disposent des marchandises les plus diverses. D'une zone à l'autre, il y a un appel constant : dans la zone nord, pas de vin, ni d'huile, ni de savon ; dans la zone sud, pas de farine, ni de sucre, ni de pommes de terre, ni de graines fourragères, ni de charbon, etc. Quand la marchandise manque, apparaît l'ersatz ; c'est un mot allemand, car l'Allemagne a été obligée de fournir à ses citoyens des produits de remplacement. Chez nous, l'Occupation en impose la nécessité : la saccharine va nous donner l'illusion du sucre et des fabricants plus ou moins véreux vont, à coup de publicité éhontée, se gorger de profits avec des produits qu'ils vendront en réalisant d'énormes bénéfices, car les fonctionnaires du service des prix recrutés au petit bonheur la malchance, se laissent duper quant aux coûts de fabrication ou bien se laissent acheter.

Les protestations contre I’ insuffisance des rations se multiplièrent. Ainsi, en mars 1941, on lança des tracts dans les quartiers de Ménilmontant et de Belleville, qui mêlaient les premières accusations politiques à la disette: A manger aux Français. A bas le fascisme.

L’organisation du marché noir

L’organisation du marché noir sous l’occupation

L'organisation du marché noir est la parade indispensable aux ponctions exorbitantes des occupants, masse improductive, jouisseuse, insolente, volontiers abusive. Ainsi comprend-on mieux l'absolution préalable et générale que le cardinal Suhard donne aux pratiquants de ce système individuel : Ces modestes opérations extra-légales, par lesquelles on se procure quelques suppléments jugés nécessaires, se justifient tout à la fois par leur peu d'importance et par la nécessité de la vie. L'Etat lui-même ferme les yeux : la loi du 15 mars 1942 sur le marché noir précisera : Les infractions qui ont été uniquement commises en vue de la satisfaction directe de besoins personnels ou familiaux sont exemptes de poursuite.

Les cartes d'alimentation

En Alsace, la carte d'alimentation fut introduite par ordonnance de Wagner dès le 29 juillet 1940. D'abord pour la viande, le sucre et le pain (farine et dérivés). Par la suite, le rationnement fut étendu aux autres denrées alimentaires : matières grasses, lait, confiture, etc. Curieusement, pour les Allemands, une carte d'alimentation n'est pas valable pour un mois, mais pour quatre semaines. Cela représente donc treize distributions par an. Ce jour-là, tous les autres services des mairies sont fermés et tous les fonctionnaires s'emploient à la remise des cartes, un adulte par famille se charge de venir les chercher. Les tickets peuvent être honorés dans n'importe quel magasin du Reich. En revanche, pour les marchandises rares (Mangelwaren) irrégulièrement distribuées, il est nécessaire de se faire inscrire chez un détaillant.

Commerces et débrouille

Le comptoir de la petite épicerie Sadal, en face de la pharmacie, tenue depuis sa création en 1935 par Angèle Furstoss et sa fille Irène. En 1944, la pénurie se fait sentir, certains casiers sont peu garnis. Il faut dire aussi qu'à l'époque, de nombreux produits alimentaires sont vendus en vrac.

Quand tout manque

Pas facile en temps de guerre de trouver tout le nécessaire pour la vie quotidienne. Les importations sont interrompues, les transports et livraisons se font mal, des usines sont détruites.

En 1943-1944, la pénurie est telle que certains tickets d'alimentation ne pourront même pas être utilisés. On cherche à trouver des produits de remplacement pour les produits qui manquent le plus. Pour le café, les ersatz sont multiples. La chicorée bien sûr, mais aussi la carotte grillée, moulue ou pilée ! Les fumeurs se mettent à planter du tabac dans leur jardin voire à rouler dans leur papier à cigarettes les feuilles séchées les plus diverses. Enfin, le topinambour, qui a la faculté de pousser dans les plus mauvais terrains, remplace souvent la pomme de terre. On se met à cuisiner des soupes à l’ortie, aux feuilles de radis, à la luzerne.

Le savon manque ? On apprend à en fabriquer en mélangeant suif, cristaux de soude et résine. Autre recette possible : un plein seau de feuilles de lierre à faire bouillir deux heures dans cinq litres d’eau puis à mélanger, une fois filtré, avec un demi-paquet de lessive, permet d’obtenir, refroidi dans des petits moules, d’excellents savons ! Pour se chauffer, tout est bon : journaux, papiers mis en boulettes, boîtes en carton remplies de sciure et de poussière.

Les vêtements sont recousus sur l’envers quand l’endroit devient trop râpé ou bien sont teints pour donner l’illusion du neuf. Lorsqu’ils sont troués, les pull-overs, les chaussettes et même les bas de coton sont détricotés : on utilise ensuite leur laine ou leur fil pour refaire du neuf. Enfin, faute de tissus bien chauds pour l’hiver, on glisse du papier de journal dans les doublures de vêtement pour se protéger du froid.



27/02/2013
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